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Crédit photo JR Brousse An@é
 
Dans un premier temps, j’ai été un peu scotché face à l’un des multiples ballons d’essai qu’a semblé tester Vincent Peilhon, le nouveau ministre de l’Education Nationale : faire appel à des retraités de l’enseignement afin qu’ils transmettent leur expérience. 
D’un côté, cette piste frisait la provocation en une période, où de nombreux étudiants sont, soit au chômage, soit coincés dans la précarité, du fait du manque de postes de titulaires. De plus, elle sentait très fort l’odeur d’une formation par compagnonnage, qui, si elle représente un outil parmi d’autres, a montré ses énormes limites pour préparer des enseignants à affronter un monde complexe et en évolution permanente.
 
Mais dans le même temps, je me disais qu’une idée forte pouvait peut-être sortir de la gangue de cette piste saugrenue. Quelques semaines plus tard - alors que ce débat semble passé aux oubliettes -, je commence à mieux décrypter mon malaise initial
 
 
La situation actuelle de l’enseignement dans notre pays m’inquiète. Je ne développerai pas ici toutes les raisons qui me font dire que, dans certains cours, dans certains établissements, dans certains quartiers, nous sommes face à des situations critiques, voire sans issue. Je n’en pointerai que deux. D’abord, la faiblesse grave de la formation initiale des enseignants et la quasi disparition de la formation continue des personnels de l’éducation. Attention : la question ne date pas de la période Sarkozy et de sa réforme dite de « la mastérisation », qui n’a fait qu’aggraver une situation préexistante. Ensuite, le glissement progressif, surtout depuis l’arrivée de la droite au pouvoir en 2002, vers une conception ségrégationniste de l’Ecole, qui a éclaté au grand jour sous Sarkozy, mais qui se cachait déjà derrière la réforme Fillon et l’imposition du concept « de socle commun »… sans oublier les suppressions de postes.
 
C’est pourquoi, je suis assez d’accord avec le ministre pour relancer, collectivement, un vaste effort de refondation de l’école... si celui-ci est toujours dans ses intentions ; dans ce vaste effort, peut-être que les retraités pourraient trouver une place. On va voir laquelle. Pour me faire comprendre, je prendrai trois comparaisons d’importances, de lieux et d’histoires très différents. La première situation, je l’ai « ressentie » au Nicaragua lors d’un voyage, disons d’étude, en 1982. Ce peuple, qui venait de se libérer en 1979, au prix de nombreux martyrs, de l’infâme dictature de Somoza, avait décidé de deux urgences : supprimer la peine de mort et… lancer dans une vaste campagne d’alphabétisation. Pour se faire, une mobilisation populaire de « toutes les bonnes volontés » avait été initiée.
 
 
Deuxième situation : la libération de notre pays en 1945. Des ruines matérielles et morales de la guerre est sorti (entre autres) le plan Langevin Wallon ; certes, il ne sera jamais mis en œuvre pour des raisons politiciennes. Mais je suis encore sidéré par cette volonté - et sans doute cette nécessité -, de repenser l’avenir de A à Z, alors que les ruines sont encore fumantes.
 
Enfin, plus récemment, j’ai encore en mémoire, pour l’avoir vécu de l’intérieur, l’engouement collectif de nombre d’enseignants et de pas mal de parents, à partir de 1983, lors de la consultation sur la réforme des collèges, dite « Legrand ». Certes, le coup de barre de l’austérité et l’abandon, par le président Mitterrand, du projet Savary d’un vaste service public de l’éducation, intégrant les écoles confessionnelles sous contrat, en ont considérablement limité les impacts sur le terrain et, surtout, ont quasi tué l’espoir, né en 1981, de vivre un pas en avant décisif au sein du système éducatif Français.
 
Il est bien possible qu’actuellement nous payons très cher cet abandon. Certes, on ne peut jamais refaire l’histoire. Vivrions-nous les mêmes ghettos scolaires si un grand service public de l’éducation avait vu le jour en 84 ? Le dilemme sur le caractère contraignant ou non de la carte scolaire se poserait peut-être tout autrement, si l’existence de l’enseignement privé sous contrat ne faussait pas le jeu des décisions parentales. Et surtout, les dramatiques ignorances mutuelles, entre jeunes vivants dans des mondes trop différents, plomberaient peut-être moins les chances du « vivre ensemble ».
 
 
Pour moi, la nécessité de refonder l’école d’aujourd’hui impose une mobilisation comparable - mais évidemment pas identique – aux exemples cités plus haut.
 
 
Elle implique d’abord l’affirmation forte d’un cap clair sur le plan politique : réduire les inégalités… vers le haut (et non en s’alignant vers le bas). Je ne développe pas ici. Cet objectif me semble fédérateur de tous les autres ; mêmes de ceux qui peuvent en sembler très éloignés. Exemple : la réussite économique de notre pays passe, sans doute, plus par une réduction des inégalités que par une modernisation radicale des technologies ; la « fracture numérique » en étant l’exemple frappant.
 
Elle implique aussi de la durée. Donc, des engagements budgétaires mais aussi stratégiques, qui permettent à tous les acteurs de s’engager en connaissance de causes. Exemple : après avoir validé les grands objectifs de l’école, un plan pluriannuel de recrutement des personnels deviendrait la pierre angulaire de la confiance et de la lisibilité à moyen terme.
 
 
Une refondation implique donc une haute ambition pour l’école pour tous du XXI° siècle. A ce propos, il peut, certes, exister plusieurs lectures de la tension - pour le moment réservée aux appareils militants et politiques -, qui semble s’installer entre les partisans de « l’école du socle commun » et ceux (dont je suis) de « l’école de la culture commune pour tous ». J’accepte tous les débats épistémologiques, didactiques, pédagogiques, etc. sur cette tension. Mais je ne voudrais éviter deux erreurs.
 
La première : l’abandon d’une ambition juste, au nom d’un réalisme à court terme. L’expérience m’a appris qu’en politique « qui peut le plus, peut le moins ! » et surtout que l’Homme a besoin d’objectifs horizons pour piloter son action au quotidien. D’un côté, il sait que ses attentes risquent de s’éloigner au fur et à mesure qu’il se rapproche de leur satisfaction, car la vie est toujours plus compliquée que les idées. Mais avoir cet horizon comme cap lui évite d’handicaper l’avenir par ses décisions du quotidien et de l’immédiat. A grands traits, il me semble qu’il s’agit de la ligne de fracture qui sépare (depuis la nuit des temps) la social-démocratie des forces partisanes de ce que j’appellerai « un vrai changement »… pour ne pas dire révolutionnaires, comme avant.
 
La deuxième est plus médiocre. Je crains que ce débat ne soit la simple traduction tactique d’un clivage artificiellement réveillé. Sarko a construit sa stratégie sur des clivages. Il a failli gagner. J’espère que certaines forces proches du nouveau pouvoir n’en font pas autant, dans un autre domaine (celui de l’école) et évidemment sous un autre ton (celui du débat). Cet emballement soudain pour l’école du socle commun (invention de Fillon rappelons-le !) me fait parfois penser à une tentative de revanche des nostalgiques de l’ex-FEN et de son ex-tendance UID. Ressortir le concept d’école « fondamentale » sous un autre habillage ne me parait pas à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui, si c’est uniquement pour « casser du SNES-FSU »
 
 
Mais, comme je suis optimiste, je fais l’hypothèse que, comme toute refondation de l’école implique un vrai et grand débat de fond, cette antinomie - aussi artificielle soit-elle -, va permettre de creuser les enjeux, les pistes et les ébauches de solutions. Et c’est là que je voudrais mettre en avant « les retraités », surtout les plus militants d’entre eux, aussi bien sur le plan pédagogique que syndical. Je sais que ce ne sont pas toujours les mêmes. Mais, quand c’est le cas, par exemple au sein du SNEP-FSU, leur parole pèse encore plus.
 
 
Dans le cadre d’un vaste débat sur « la refondation de l’école », lançons donc un « atelier » d’analyse de mémoires et de témoignages de ces retraités sur « ce qui a marché et pas marché » dans les diverses tentatives de transformations de l’école qu’ils ont vécues. Avec le recul, comment expliquer l’échec des MAFPEN ? Si allègre les a fermé sans réaction vive, c’est qu’elles n’étaient pas très costaudes. Comment expliquer les limites des IUFM, fragilisés avant même que Sarko ait cru les avoir fermés ? Quelles leçons tirer des propositions de rénovations pédagogiques - connues pour certaines depuis avant guerre (celle de 39/45) -, qui n’arrivent pas à entrer dans les faits ? Quels bilans des divers positionnements syndicaux face aux multiples réformes ? Idem, pour nombre de mouvements pédagogiques, qui semblent piaffer d’impatience aux portes de l’école ? Idem, évidemment, pour les positionnements des partis politiques. Le tout avec le recul du temps…
 
 
Bref, mon idée est simple : utiliser la mémoire vivante (pour un temps du moins) des retraités pour aider les actifs d’aujourd’hui à ne pas faire « du passé table rase », mais au contraire à penser l’avenir en ayant au moins conscience des pièges qu’il peut receler ; ce qui ne permet pas toujours de les éviter. Mais au moins de l’espérer… à un certain horizon.
 
Pour donner un simple exemple, je lancerai bien la bouteille à la mer suivante. En 1974, j’ai cosigné, au titre du SNEP, avec l’administration et l’université (UEREPS à l’époque), un plan d’action pluriannuel qui lançait la formation continue de masse de tous les enseignants d’EPS de l’académie de Lyon (avec les moyens nécessaires). Objectif commun : « Lutter contre la sclérose ! »…. Est-ce qu’une signature de ce type n’aurait-pas de « la gueule » ? Objectif d’aujourd’hui : « Refonder l’école pour que les enseignants puissent enfin faire leur métier et ainsi réduire de façon radicale… les inégalités ! » ?
 
 
Jean Paul Julliand
Retraité depuis 2006
Militant syndical et pédagogique
Julliand Jean Paul

Professeur retraité