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Je me penche depuis quelques années sur le développement des compétences chez les enseignants. Je me suis aperçu de façon empirique qu’elles se développaient par l’usage, par la formation quand elle existe et par la démarche réflexive lorsque l’appétence est au rendez-vous.
Le métier d’enseignant se construit par articulation d’un ensemble de pôles d’une extraordinaire complexité. On ne naît pas enseignant, on le devient (je ne crois pas au concept de vocation qui renverrait à une forme d’immanence professionnelle). Cette construction professionnelle s’opère par l’assemblage d’un ensemble de briques, constituées par la somme des savoirs académiques, des connaissances en pédagogie, en didactique, par la maîtrise d’un ensemble de compétences fruits de ses apprentissages et de ses expériences et usages.
 
L’enseignant de ce début de siècle entre dans une phase de mutation forte. Il doit développer une multitude de compétences utiles à la bonne progression de ses élèves et étudiants. Il n’est plus "simplement" celui qui répète le livre comme dit Michel Serres. On peut constater cette évolution du métier mais … La compétence ne peut être analysée comme un simple élément nouveau car elle participe à un tout complexe, à un système d’interactions humaines qui devrait nous mener dans l’idéal vers l’intelligence collective. Il faut engager une réflexion. Or c’est peut-être là la faiblesse du système.
 
Entrer dans le monde de l’éducation c’est de façon générale s’inscrire dans un parcours universitaire long et complexe. Il faut être titulaire d’un master (bac +5) et décrocher le difficile concours pour les enseignants du secondaire, un doctorat puis le statut de maître de conférence pour les enseignants chercheurs. Pour les autres, non fonctionnaires il faut s’inscrire dans un parcours de contractualisation où l’aléatoire est une constante.
 
Le concours sésame de l’entrée dans la profession puis une carrière d’une quarantaine d’année et c’est là qu’entre réellement la notion de compétence. Bien que discrète dans la carrière des enseignants elle vient interroger la notion de concours, "L’alpha et l’oméga de la fonction publique". Mon propos n’est pas de remettre en cause l’existence des concours, je suis plutôt légaliste et persuadé qu’il est à bien des égards un garant de qualité des recrutements. Mon questionnement porte sur l’après concours, sur les évolutions de carrière, la période où se développent les compétences sur le socle du savoir académique constitué. Quelle est la part du concours, quelle est la part du développement des compétences après 15 ou 20 ans d’exercice ? L’intrusion du numérique est venue donner un coup d’accélérateur à cette réflexion pour la raison simple que le métier s’est transformé de façon radicale en quelques années. Nous ne pouvons de surcroît prédire les évolutions du métier quand les MOOC viennent inscrire dans notre paysage l’open education, les badges et autres certifications.
 
Je voudrais au sein de ce billet engager une réflexion sur la notion de compétence à l’éducation nationale et sur leur impact dans les carrières des enseignants. Je n’aborderai donc pas la question des compétences chez les élèves et étudiants qui est elle aussi un enjeu d’importance.
 
Il convient, avant toute tentative d’analyse, de cerner les contours de la compétence dans le domaine de l’éducation. Je me suis livré à une étude (trop) rapide des sites institutionnels de l’éducation nationale. Le terme et le concept y sontt très précisément décrits. Il est possible de s’y forger un image assez précise.
Le site eduscol donne à lire un grande nombre de ressources qui permettent de cadrer le concept. A l’occurrence compétence dans le moteur de recherche du site s’affiche 23 000 résultats.
 
Prenons parmi toute cette masse informationnelle le document intitulé "Pour aller plus loin sur la notion de compétences" de Compétice
 
"Dans le Traité des sciences et des techniques de la Formation, coordonné par Philippe Carré et Pierre Caspar, Sandra Bélier propose cette définition de la compétence :
 
"la compétence permet d’agir et/ou de résoudre des problèmes professionnels de manière satisfaisante dans un contexte particulier, en mobilisant diverses capacités de manière intégrée".
 
Elle réalise ensuite une étude comparative des cinq manières d’aborder les compétences :
 
Approche par les savoirs
Approche par les savoir-faire
Approche par les comportements et le savoir-être
Approche par les savoirs, savoir-faire et savoir-être
Approche par les compétences cognitives
Guy le Boterf (2) propose quant à lui une autre définition :
"La compétence est la mobilisation ou l’activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte données". Il distingue plusieurs types de compétences :
savoirs théoriques (savoir comprendre, savoir interpréter),
savoirs procéduraux (savoir comment procéder),savoir-faire procéduraux (savoir procéder, savoir opérer),
savoir-faire expérientiels (savoir y faire, savoir se conduire),
savoir-faire sociaux (savoir se comporter, savoir se conduire),
savoir-faire cognitifs (savoir traiter de l’information, savoir raisonner,savoir nommer ce que l’on fait, savoir apprendre).
 
Pour ces auteurs (Samurcay et Pastre), la compétence, en tant que rapport du sujet aux situations de travail, est ce qui explique la performance observée en décrivant l’organisation de connaissances construites dans et pour le travail. Les compétences sont donc : finalisées : on est compétent pour une classe de tâches déterminées opérationnelles : il s’agit de connaissances mobilisables et mobilisées dans l’action et efficaces pour cette action apprises, soit à travers des formations explicites, soit par l’exercice d’une activité.
 
Elles peuvent être aussi bien explicites que tacites : le sujet n’est pas toujours en mesure d’expliciter les connaissances opérationnelles qu’il met en œuvre dans l’action" Source -Pour aller plus loin sur la notion de compétences (3)- Compétice
 
Le ministère de l’enseignement supérieur a publié un dictionnaire des compétences très détaillé. Il est destiné à un public large, à ce propos le ministère précise qu’il est destiné :
 
aux citoyens qui "peuvent y trouver des éléments d’information sur les métiers du MEN et du M.E.S.R. et appréhender leur diversité. Ils peuvent aussi s’y appuyer dans la perspective de passer un concours."
 
aux agents du MEN/M.E.S.R. " avoir une vision plus complète et plus précise des métiers existants et élaborer sur cette base sur leur évolution professionnelle"
 
Les organisations syndicales " disposer d’un outil de connaissance des métiers partagé avec l’administration qui peut, de fait, faciliter le dialogue social."
 
L’encadrement"Il dispose d’un répertoire et d’un dictionnaire des compétences lui permettant d’élaborer plus aisément les gfiches de postes et de conduire un entretien professionnel annuel sur des bases précises.x services des administrations centrales, déconcentrés et les établissements publics "disposent d’un outil facilitant le pilotage des ressources humaines"
 
Les ministères et les fonctions publiques "Elles ont à leur disposition un outil au service de la mobilité interministérielle ou inter-fonction publique."
 
Il est établi, à la lumière de ces lectures que la notion de compétence est inscrite dans le paysage de la formation. Un enseignant qui se forme au sein des ESPE doit comprendre les enjeux des compétences dans sa formation. On peut imaginer que la conception d’une fiche de poste serait une aide précieuse pour l’exercice du métier.
 
Il semble donc évident que la question des compétences est une donnée importante dans la carrière des enseignants. On peut s’accorder à penser que la pratique de terrain permet d’accroître ses compétences. Cet accroissement est la résultante de la formation continue soit dans le cadre formel des plans de formation, soit dans le cadre de la formation informelle (auto-formation). Ce dernier point est particulièrement vrai pour ce qui concerne la e.education. Le terme d’enseignant innovant est le terme généralement utilisé pour formaliser cet apprentissage sur le tas, mix de bricolage (4) et de démarche réflexive.
 
Intégrer la notion de compétences comme élément de référence du métier d’enseignant c’est redéfinir la place du concours et ce pour plusieurs raisons :
 
La compétence est par définition évolutive dans un contexte de révolution numérique. Le savoir, les apprentissages s’insèrent de plus en plus dans un contexte technologique fort. On peut difficilement distinguer le contexte pédagogique du contexte technologique. Nous passons de l’ère des machines à communiquer à l’ère des machines à transmettre. Les évolutions technologiques prévisibles augurent des compétences à acquérir.
 
La compétence ne peut plus être distinguée des questions d’évaluation. A partir de l’instant où l’on place la compétence comme un élément de la carrière des enseignants, il faut revoir les grilles d’évaluation. il faut définir précisément ce qu’est la compétence, qu’elle est la compétence attendue et son mode d’évaluation. Nous entrons ici dans une zone de turbulence où le concours est assis sur le savoir académique et l’évaluation professionnelle sur la compétence. Il faut tenter de répondre à un ensemble de contradictions structurelles :
 
Quel est le poids du concours sur une carrière ? A ce jour il conditionne fortement l’évolution professionnelle du fonctionnaire, il en est l’épine dorsale, il détermine notamment le mode de rémunération, l’évolution salariale selon une grille prédéfinie. Le mode de progression reste essentiellement le mode d’entrée dans la profession, soit le concours.
 
La question qui se pose donc, est la façon dont on peut évaluer une compétence professionnelle en appui à la référence du concours ? La réflexion, doit porter, me semble t-il sur les modes d’évaluation et le positionnement de la compétence. L’inspection ponctuelle sur site est -elle encore adaptée ? Doit-elle, peut-elle rester la seule référence d’évaluation ? Comment les enseignants peuvent-ils faire valoir l’accroissement de leurs compétences ?
 
A ce stade il faut envisager la place du portfolio dans les constructions des évaluations. On peut imaginer d’inverser le principe de l’évaluation par l’intégration d’une démarche réflexive. Cet ensemble de question renvoie bien évidemment à des débats idéologiques ou le collectif tangeante l’individuel. Évaluation collective ou évaluation individuelle, mélange subtil des deux. Le numérique met sur le devant de la scène cette question extrêmement sensible car quand il est question de pédagogie, l’idéologique n’est jamais loin.
 
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(1) CARRE (P) et CASPAR (P), Traité des sciences et techniques de la formation. Paris, Dunod, 1999
(2) LE BOTERF (G), 1995, De la compétence, essai sur un attracteur étrange,Paris, Éditions d’organisations. LE BOTERF (G), 1997, compétence et navigation professionnelle, Paris, Éditions d’organisation.
 
Photo Credit : //www.flickr.com/photos/36443769@N06/4402645865/" class="spip_out" rel="external" style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; color: rgb(25, 64, 182); text-decoration: none; font-weight: bold;">♥beryl via Compfight cc
Article publié sur mon blog le 24 septembre 2013
Dernière modification le mercredi, 17 septembre 2014
Moiraud Jean-Paul

Cherche à comprendre quels sont les enjeux des perturbations du temps et de l'espace dans les dispositifs de formation en ligne. J'observe comment nous allons passer du discours théorique sur les bienfaits des modes collaboratifs à l'usage réel. Entre collaboration sublimée et usages individualistes de pouvoir, quelle place pour le numérique ?
 
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