Si les engagements affichés sur la restauration d’une formation des enseignants et sur les moyens marquent un virage, le flou domine le reste du texte permettant à chacun d’y retrouver ses propres positions. C’est tout l’art de la littérature ministérielle qui permet les interprétations les plus divergentes. Ainsi, les acteurs les plus zélés des politiques ultra libérales autoritaires qui ont sévi au cours des années écoulées, confortés par la recommandation implicite de garantir voire de renforcer la continuité à la rentrée de septembre, peuvent y trouver des raisons de continuer à exercer leur zèle, les partisans d’une réforme du système éducatif et les acteurs engagés malgré tout dans la préparation du renouveau peuvent y trouver des propositions intéressantes et de l’espoir.
Le renforcement annoncé de l’encadrement hiérarchique et la reprise, peu ou prou, du pilotage par les étages supérieurs de la pyramide, sous-estimant la richesse potentielle des enseignants à la base et de leurs partenaires négligent le besoin évident de développement de l’horizontalité, du travail d’équipes accompagnées par des inspecteurs qui auraient abandonné pour un temps leur rôle de censeur et de contrôleur, pour soutenir, analyser, expérimenter des projets venus de la base. Aucune réforme ne peut réussir si elle est imposée.
C’est sans doute la règle incontournable pour cet exercice complexe qu’il faut bien replacer dans le cadre contradictoire mais évident d’un électoralisme à court terme qui fait que les politiques cherchent davantage à ne pas perdre de voix qu’à en gagner, et du besoin, pour avancer, d’un accord pour transcender les clivages politiques et syndicaux.
Considérant l’impérieuse nécessité de raisonner pour le long terme – il faut plusieurs générations pour mettre en œuvre une véritable réforme de l’Ecole -, le consensus est indispensable. De ce point de vue, le projet de loi est une réussite. Pourtant, la refondation appelle des choix déterminants, des ruptures, un grand courage politique. François Mitterrand avait su imposer l’abolition de la peine de mort contre l’opinion de la majorité des citoyens.
La loi de 1989, dite loi Jospin, avait eu ce courage en imposant un virage historique, un peu plus de cent ans après la création d’un système, le « système Jules Ferry », qui, malgré les soubresauts et les critiques, avec tous les projets avortés (Jean Zay, Langevin-Wallon), s’est développé en cohérence avec une société relativement stable, avant de s’épuiser lentement. Il est vrai que la loi de 1989 a été abandonnée rapidement, y compris par les amis de ses auteurs, pour être définitivement enterrée sans protestation en 2005. Le projet de V. Peillon confirme d’ailleurs cet abandon, par exemple en ne survolant que de très haut, la question de la place de l’élève dans les apprentissages scolaires. Il s’agit pourtant d’une question centrale, d’un indicateur essentiel de la réalité de l’ambition gouvernementale.
On peut donc faire le pari et s’en réjouir que, excepté quelques réactions corporatistes ou épidermiques, le projet sera accepté, mais, en l’état tout au moins, il ne risque pas de soulever les enthousiasmes nécessaires à la réalisation d’une vraie refondation.
Il faudra donc attendre les décrets, attendre les décisions dont la mise au point nécessitera encore bien des négociations et bien du temps. La continuité imposée et souvent exacerbée depuis la rentrée confortera son œuvre, entretenant le doute et l’amertume. Le temps, dans un contexte où l’opinion publique, dramatiquement sous-informée sur les questions d’éducation, ne lit la refondation qu’à travers les débats sur l’aménagement du temps scolaire, est une donnée qui peut être dramatique pour une école bout de souffle.
Sept questions clés demeurent soit en suspens, soit avec des propositions dont la faiblesse ne pourra pas ne pas être remise en cause :
- La place de l’élève dans les apprentissages. L’évocation fréquente de la pédagogie dans le texte et dans les discours ministériels, avec une approche souvent ambiguë, ne saurait suffire. La question de l’élève acteur de ses apprentissages n’est pas traitée. Le principe « un enseignant/une heure/ une discipline/une classe » demeure la règle alors que l’hétérogénéité des savoirs des élèves d’une classe ne cesse de croître.
- Le problème du développement exponentiel des savoirs de l’humanité et de la place des disciplines scolaires dans cette explosion. On évoque un socle, un livret, les finalités… mais on évite de remettre en cause, au moins en termes de réflexion collective, le choix des disciplines pérennisé, les savoirs nécessaires à l’éducation du futur, les outils de compréhension du monde qui entoure les élèves
- La place du numérique comme outil de transformation fondamental des pratiques et non comme facilitateur de la persistance des pratiques classiques. On modernise en apparence sans changer le fond. Ce chapitre ne manque pas d’intérêt mais la possibilité enfin offerte d’utiliser le numérique pour changer les méthodes d’apprentissage elles-mêmes n’est qu’effleurée. Le modèle pédagogique reste le même, immuable comme s’il était universel et éternel
- La continuité de la maternelle à la terminale et en particulier le problème du ravin entre l’école et le collège. Incapable de toucher aux structures, on ajoute de l’administratif, du papier et des réunions, et des incantations, là où il faudrait oser enfin franchir ce pas décisif, celui de l’école de la scolarité obligatoire, qui aurait du être pris dès les années 1960 en conséquence de la prolongation de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans.
- La formation des enseignants. Il n’y aura pas de refondation de l’Ecole sans refondation de la formation. Si l’on fait « de la même chose qu’avant » ou presque, si les formateurs veulent et obtiennent de pouvoir faire les mêmes cours, les mêmes stages avec les mêmes méthodes dans des bâtiments dont seul le frontispice aura changé, si les disciplines scolaires sont toujours dominantes, si le problème de l’articulation théorie/pratique que nous sommes incapables d’assurer, n’est pas traité, il n’y aura pas de refondation. Pour former un enseignant pour le 21èmesiècle, il faut de la philosophie, de la psychologie, de l’anthropologie, de la sociologie… et de la pédagogie !
- Le rôle des collectivités territoriales. Alors qu’elles paient et paieront toujours davantage, leur rôle reste réduit à celui de banquier qui paie mais qui ne peut pas être associé à la réflexion sur la mise en œuvre des projets et la régulation des projets
- La relance de l’éducation populaire en vue des projets éducatifs territoriaux. La conception de l’école reste fortement scolaro- centrée. La notion d’éducation globale reste dans l’ombre comme si l’Ecole pouvait se refonder sans s’intégrer dans son milieu et comme si le temps post ou péri scolaire n’était qu’un accompagnement en termes de services et non en termes d’éducation informelle ou non formelle.
Le projet de loi vient au terme d’un processus intéressant de concertation nationale, de négociations essentiellement avec les syndicats d’enseignants. Il ne manque pas d’intérêt mais il faudra encore bien des décrets et bien du temps. Si durant ce temps, c’est la continuité qui s’impose, le beau projet que nous étions en droit de rêver, ne sera qu’un pas en avant qui sera vite oublié.
Attendons donc les décrets… en sachant que pendant cette attente, la désastreuse continuité s’installe, durablement, avec un encadrement fortement soumis au régime précédent, qui pense et ose dire que les politiques dont ils ont été d’ardents propagandistes étaient déjà de la refondation et qu’il suffit de continuer avec un peu plus de moyens.
Et espérons que la représentation nationale, où les conservateurs de tous bords dominent les débats n’affaiblira pas encore les propositions.
Attendons, espérons et agissons pour une véritable refondation.