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Notre métier d’enseignant nous amène régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement, à aborder la notion de coopération. Si l’on tape sur le moteur de recherche Google le terme « coopération pédagogique » on peut consulter 11 700 occurrences. Le sujet est d’importance parce que l’introduction du numérique transforme (fissure) la façon dont nous construisons les savoirs, la façon dont nous enseignons et la façon dont nos élèves/étudiants apprennent.
J’ai déjà abordé cette question en essayant de délimiter les contours de cette définition. Je me suis aperçu, au grè de mes interventions, que mes collègues enseignants parlaient abondamment des enjeux de la coopération et de la collaboration sans avoir toujours la capacité d’en donner une définition. J’avais rédigé un billet pour tenter de donner quelques éléments de cadrage terminologique. Il est politiquement correct de parler de coopération et de collaboration « La collaboration est assurément un thème à la mode, un point de passage obligé du discours politiquement et pédagogiquement correct » (Chaptal 2009)

Dans ce politiquement correct, il est aussi de bon ton de parler positivement de la coopération, est ce toujours le cas ? La coopération entre individus est-elle toujours désirée ? Y a t-il une coopération qui serait subie ? Il me semble qu’il est utile que nous nous posions cette question parce qu’au – delà de nos expérimentations, de notre enthousiasme technophile brandi en étendard, il y a des réalités sociales qu’il faut prendre en compte, y compris celle qui consiste à refuser la coopération ou la subir.

Je ne suis pas enseignant chercheur, je ne peux pas consacrer l’essentiel de mon temps à analyser, lire décortiquer, proposer (malheureusement !) pondre des dossiers pour l’AERES (heureusement), je me contenterais donc d’appuyer mes propos à partir d’une lecture qui me paraît très utile pour jalonner ma réflexion sur le coopératif.

Je viens de lire le livre de Christophe Dejours « le travail vivant » Tome 2 « travail et émancipation » (petite bibliothèque Payot). Le chapitre 3 est intitulé » Une autre forme de civilité : la coopération« . L’idée soutenue par l’auteur est qu’il y a « Un pouvoir émancipateur du travail et tenter de l’articuler avec la théorie de la reconnaissance » et que l’on peut définir le travail collectif comme « un travail vivant » qui « repose sur l’intelligence et la mobilisation de l’intelligence » (page 81)

L’auteur nous donne une définition de la coopération :

« Coopérer c’est en fait, comme le montre Nicoas Dodier, rechercher des compatibilités entre instances. Une instance peut dans ce cadre être constituée par un collègue, un subordonné, un chef, un objet technique, voire un client. Apporter une contribution à la coopération consiste ici à ajuster son propre mode opératoire en sorte qu’il soit compatible avec les autres instances avec lesquelles chaque opérateur est en relation directe, qu’elles soient humaines ou machiniques« 
La coopération se caractérise par deux dimensions selon l’auteur à savoir, la liberté de délibération et la convivialité. Il précise que la coopération « suggère que son ressort fondamental est la liberté de la volonté au niveau de chaque individu, la formation d’une volonté d’agir ou de travailler ensemble au niveau du collectif » (page 89). Il poursuit son argumentation en disannt que : « Si la coopération repose sur la mobilisation libre de la volonté, alors ce qu’il faudra évaluer en priorité, c’est la liberté effective à l’intérieur de l’organisation du travail, d’une part, la façon dont les individus usent de cette liberté d’autre part » (page 89)
Christophe Dejours poursuit son argumentation en disant « mais la thèse selon laquelle la coopération repose en son principe même, sur la liberté de la volonté peut être contestée. La puissance d’une organisation du travail ne se mesure t-elle pas à l’aune de son pouvoir de faire travailler ensemble des individus, quand bien même, ils n’en aurait pas le souhait ? » (page 90)

J’invite les lecteurs à lire les ouvrages de Christophe Dejours pour se forger une idée personnelle, mais il me semble indispensable de fournir cet effort si on se questionne sur les enjeux de notre métier notamment pour la coopération.

La question que je me pose à l’aune de cette lecture est la suivante, la coopération entre les enseignants est – elle toujours voulue, est -elle parfois imposée ? Je lance ici une réflexion que je développerai dans de futurs billets. À cet instant de mon propos il me semble que l’analyse portera sur les structures et les travaux des communautés librement constituées qui partagent un intérêt commun (elles peuvent être pérennes ou fugaces) d’une part et les communautés partageant un intérêt commun mais constituées par décision supérieure d’autre part.

Je ne fais ici que me questionner, cependant ces communautés sont identifiables et c’est la seconde qui m’intéresse le plus parce que la question centrale est la suivante peut-on imposer la coopération et la rendre féconde sans qu’il y ait renonciation à certains éléments du pouvoir ?

Comme toujours je suis ouvert au débat et à la controverse dans la mesure où les arguments sont étayés par des lectures, des théories et enrichiront le propos par mode … coopératif
Initialement publié sur mon blog mars 2013
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Moiraud Jean-Paul

Cherche à comprendre quels sont les enjeux des perturbations du temps et de l'espace dans les dispositifs de formation en ligne. J'observe comment nous allons passer du discours théorique sur les bienfaits des modes collaboratifs à l'usage réel. Entre collaboration sublimée et usages individualistes de pouvoir, quelle place pour le numérique ?
 
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