Enseignant en DUT depuis maintenant presque 10 ans, j’attaque demain (refonte des "programmes pédagogiques nationaux" oblige), un nouveau cours intitulé "Culture numérique". 12 heures en amphi sur le sujet avec des étudiants de première année. Wesh gros. Impression étrange de ne pas trop savoir pourtant par quel bout l’attraper, cette "culture numérique". Surtout que du numérique et de la culture, j’en fais déjà un peu dans tous mes autres cours, y compris ceux qui pourraient paraître de prime abord s’y prêter le moins, par exemple celui de "catalogage".
Impression étrange parce que le dernier cours de culture numérique auquel j’ai assisté était dispensé magistralement par Hervé le Crosnier. Et qu’il est toujours en ligne. Et me semble à peu près indépassable sur la question.
Impression étrange également parce que je ne sais finalement pas trop ce que c’est que cette "culture numérique". Pas convaincu d’ailleurs qu’elle existe réellement. Enseignant je vois au quotidien ce que sont les pratiques numériques des étudiants que je fréquen
te et comment elles évoluent d’année en année, changeant d’outils, gagnant en maturité, profitant toujours du "plus offrant", fréquentant assidûment les mêmes autoroutes attentionnelles mais débusquant également chacun leurs propres chemins de traverses. Chercheur je vois des collègues sociologies, psychologues, spécialistes de médias décortiquer les pratiques des mêmes étudiants, leur donner le nom de génération y ou z, puis déconstruire le mythe générationnel des "natifs du numérique".
Troublant enfin de voir ce que le numérique n’a de cesse de changer précisément dans nos pratiques de l’enseignement. Etre ami avec ses étudiants ou pas. Autoriser l’usage des ordinateurs en cours ou pas. Faire ou non un "pacte de silicone". Ce que c’est que de faire cours "avec le réseau".
S’il existe une culture du numérique, mon opinion sur le sujet est relativement connue et déjà formalisée au travers de l’essentiel des billets publiés sur ce blog ou parfois repris dans la presse, comme celle-ci par exemple : "Et si on enseignait vraiment le numérique". Au travers également des textes, diaporamas et conférences données sur le sujet ("Une histoire du web"). Au travers du passage des NTIC aux NTAD.
Alors pour ce cours là, voilà comment je vais procéder. Puisque ceux que j’aurai demain en face de moi sont cette génération numérique, je vais leur demander, d’abord, à froid, de réfléchir et de me dire ce qu’ils perdraient, eux, s’ils perdaient l’accès à internet. Non que la "culture numérique" se résume à l’accès à internet, mais parce qu’il faut bien partir de quelque chose. Ce qu’ils perdraient culturellement, mais aussi, socialement, familialement, ce qu’ils perdraient du plus essentiel au plus inessentiel. Et puis aussi ce que "les autres" perdraient. On jettera ces idées là au tableau et on en discutera.
Une fois que ce sera fait, dans la liste des pertes affichées, on essaiera alors de trier le bon grain de l’ivraie, de hiérarchiser les pertes : des plus cruciales, des plus vitales aux plus accessoires.
Et puis alors on se demandera qu’est-ce qui pourrait être fait, individuellement et collectivement pour éviter que ces pertes ne se produisent. Ce qui devrait logiquement nous amener à réfléchir sur ce que j’appelle "l’attention au réseau".
Et puis si ça rame trop, si ça s’amorce mal, si la mayonnaise ne prend pas, on se regardera LE documentaire sur le sujet : "Une contre-histoire des internets". Et on recommencera. On verra si le web a tenu ou non sa promesse. Et on essaiera surtout de comprendre pourquoi. Et puis à la fin de cours je reviendrai par ici vous raconter ce que eux m’ont appris de la culture numérique.
Ertzscheid, Olivier (le 18 mai 2014).
“Culture numérique”. Affordance.info [carnet de recherche]. ISSN 2260-1856.
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Dernière modification le vendredi, 10 octobre 2014