M. Hamon est venu expliquer les raisons de son départ à la télévision, affirmant que malgré les apparences, la rentrée avait été bien préparée et que dans le contexte de fracture socio-économique actuel, l’apaisement de la République viendrait de l’école. A vue d’oeil, posture idéologique et discours poli, peu convaincant.
Blues des profs vous avez dit ? Oui certainement, car les profs souhaiteraient avoir un ministre qui en soit un – non un pilote qui fait marcher le siège éjectable dès que son obédience partisane semble menacée. Quand on réfléchit à l’issue de ce passage à l’Education, on se demande pourquoi avoir mis M. Hamon a cette place – sinon orchestrer un jeu de dupes, donnant l’impression à la majorité que le Hollando-Vallsisme gardait un certain attachement à la gauche de la gauche. Quid de la raison d’être d’un ministre de l’Education – s’occuper principalement de questions d’enseignement ? Tout se passe comme si on ne pensait plus à l’enseignement en tant que tel, à cause de l’obsession économique court-termiste. Et il y a de quoi paniquer, loin de moi la volonté d’affirmer le contraire – mais ce ne peut être le seul axe de responsabilités du gouvernement, et si celui-ci doit parer aux urgences, il doit aussi travailler sur le long terme. L’Education Nationale, c’est du long terme.
Le long terme de l’Education Nationale pourrait être l’occasion de réconcilier pragmatisme économique et projet de société. Oui, n’est-ce pas la grande critique infligée à la classe politique ? Le manque de vision d’avenir, de positionnement idéologique pour les générations futures, qui elles ne manquent pas de matière à projets et réalisations, grâce aux nouvelles sphères technologiques et environnementales. Mais elles peinent à leurs donner une direction claire, durable, mal accompagnées qu’elles sont par des institutions écartelées entre passé, présent, futur, entre des valeurs que les générations nouvelles conçoivent davantage que les anciennes comme complémentaires.
En cette période de difficultés, le besoin est d’abord de complémentarité, de réunir les contraires plutôt que de les affronter brutalement. L’union nationale ne devrait pas être un principe réservé aux temps de conflit, comme l’illustrent les commémorations de la Première Guerre Mondiale. Elle devrait pouvoir se réaliser à l’occasion d’autres types de crise, comme celle de l’école... L’école relève de la survie sociétale, de la même manière que l’effort de guerre. Son évolution est bloquée depuis trop longtemps, à cause des courants idéologiques contradictoires qui l’animent.
Pourtant, à bien y regarder, ces courants traitent de parties différentes d’un même problème, la formation d’individus libres, responsables et civilisés. Peut-on imaginer qu’un discours parvienne à fédérer ces contraires, proposer une vision d’avenir, en transcendant les héritages multiples et en les mettant au goût du jour ? Ce qui est certain, c’est que ce discours doit s’inscrire dans la durée, dans une temporalité plus longue que la majorité des mandats électifs ; mais qui donc en aura le courage politique ? Qui aura la constance de perpétuer un travail par-delà les clivages politiques, en traçant une ligne directrice à la fois forte et consensuelle ? Je veux bien que l’école soit celle qui apporte "l’apaisement à la République" – voeux pieux, avec un sourire en coin –, mais il faut alors lui proposer un projet solide, une direction durable.
Qui aurait le plus à gagner dans une direction à la fois visionnaire et pragmatique de l’Education Nationale ? Les profs savent souvent ce qu’ils font là, et bien qu’on ne les y aide pas toujours, ils essayent de préparer le plus honnêtement possible leurs élèves au futur incertain. Ce sont surtout les politiques et la nation qui retrouveraient un élan puissant, en se dotant d’une vision dynamique de l’école, projet à construire non pas sur un quinquennat, ni même deux, mais sur deux décennies – le temps de, vraiment, réfléchir, essayer de mettre en pratique, revenir en arrière, réajuster, puis prendre le temps de transformer à l’échelle nationale.
L’école telle qu’elle existe aujourd’hui repose sur les bases des lois Ferry ; elle a connu des amendements nombreux, mais une étude de ses macro-objectifs – construire et reconstruire éternellement la nation française – montre que ses méthodes et moyens ont peu changé, se sont simplement étendus. Dans le fond, elle produit toujours le même genre d’acteur social qu’il y a un siècle – acteur de qualité certes, mais de moins en moins en phase avec les évolutions multiformes qui bouleversent la carte du Monde. Il faut penser un nouveau modèle, qui perpétue la saine tradition en étant capable de préparer aux défis du XXIe siècle, mondialisation, questions environnementales, démographiques... Les outils sont nombreux pour travailler à la résolution de ces problèmes, mais les compétences sont encore à travailler, les mentalités à changer, et l’école peut constituer à cet égard un incubateur puissant. L’école, pour conserver les acquis de la nation, doit faire que ses vieilles recettes ne soient plus exclusivement axées sur la formation d’un citoyen dont l’horizon, dans le temps, était peu ou prou limité à sa sphère nationale. Elle doit aussi forger de nouvelles recettes pour répondre aux nouvelles sphères de la contemporanéité. L’individu doit être, de nos jours, capable de dépasser la sphère nationale pour être en mesure, parrallèlement, de la sauvegarder.
A l’annonce de la nomination de Najat Valaud-Belkacem à la tête de l’EN, une avalanche de commentaires négatifs s’est produite sur les sites d’information ; d’autres s’illustraient par leur ironie, du genre : "Surtout, ne faites rien, c’est la seule façon, pour un politique, de survivre à un passage à l’EN..." Vous m’étonnez que les profs ont le blues de subir ces dénigrements permanents, sorte de sport national, avec lequel on est sûr de faire rire tout le monde – sauf les "aigris". Mais il y a justement beaucoup d’aigreur dans cette vision désenchantée des choses, qui salit les belles et innombrables réalisations de tous les jours dans la relation entre les élèves et les profs, surtout voile une réalité qu’il semble nécessaire de répéter, tant on y a renoncé : l’avenir, la société future se construisent à l’école.
On rend les enseignants responsables de tous les problèmes et ils le sont, pour partie, comme n’importe quel individu pourrait l’être dans n’importe quel système battant de l’aile. Mais l’école est un reflet de la société, de ses problèmes, et ils sont nombreux... En conséquence, c’est là que commence la résolution de ceux-ci ; il est illusoire de parler de durabilité économique, si on ne crée pas au préalable les conditions de cette perennité dans les modes d’éducation et d’enseignement... La France que nous aimons sera sauvée par son école ; sur le court terme, elle doit faire des économies mais ne doit pas oublier que sur le long terme, la meilleure solution pour parer aux catastrophes, est de s’appuyer sur son éternel trésor, sa jeunesse. Plutôt que de faire des discours éculés de politique générale, un candidat à la présidentielle ne se distinguerait-il pas par un discours d’avenir sur l’école, qui aurait l’avantage d’être un discours d’avenir en général... puisque les enfants d’aujourd’hui sont les individus, les citoyens, les travailleurs, les ministres, les créateurs de demain. Ne serait-ce pas joindre à une utile communication une saine réflexion ?
Dernière modification le vendredi, 03 octobre 2014