Qui peut aujourd’hui dire ce que fait un conseiller d’orientation-psychologue (COP) ? Qui peut aujourd’hui dire ce que fait un directeur de centre d’information et d’orientation (DCIO) ? Qui peut dire ce que fait un inspecteur de l’éducation nationale charge d’information et d’orientation (IEN-IO) ? Le problème du défloutage et de la visibilité des actions des personnels d’orientation n’est pas récent (cf. Ballion 1987[i]), mais, il s’est renforcé dans les années 2003-2014…
Cette situation d’incertitude permet entre autres toutes les projections. En soi elle est très dangereuse pour l’évolution des personnels d’orientation. Nous essayerons dans ce qui suit de suivre quelques pistes d’explication.
Individualisation et émiettement des pratiques
Une première explication peut se trouver dans l’observation de l’histoire et de l’évolution du métier de conseiller/ère, mais il en est de même chez les directeurs/trices de CIO et chez les IEN-IO auquel un IA-DASEN disait un jour : « Vous, les IEN-IO, vous pratiquez votre métier de manière bien différente entre vous… ». Et les chefs d’établissement en disent autant des conseillers qui se succèdent. Mais on risquerait de stigmatiser les professionnels de l’orientation si, en contrepartie, on omettait qu’individualisation, urgentisme et émiettement caractérisent aussi probablement bien d’autres métiers… Et pas seulement dans le champ éducatif…
Au CIO, dans les années 1950-60, les conseillers/ères recevaient leur emploi du temps de la semaine des mains du directeur de centre (CIO). Après les événements de mai 1968, la réunion de centre fut instituée et la notion de secteur d’intervention du conseiller est apparue. Jusque dans les années 1980, les activités étaient relativement standardisées et, le 25 février 1980 paraît la dernière circulaire nationale sur les activités des CIO, et avec lui, le Programme annuel d’activités du CIO ; leurs déclinaisons régionales seront de plus en plus rares[ii].
Vers la fin des années 1980, la notion de projet d’établissement apparaît, et à sa suite celle du projet de centre. Dès lors que les établissements se différenciaient de plus en plus, il était normal que les interventions des conseillers se différencient également selon chaque établissement singulier. Ainsi, progressivement, chaque conseiller a-t-il construit ses interventions au plus près des singularités des établissements scolaires dont il avait la charge. Le projet de centre, le projet d’établissement ont un double objectif. D’une part il s’agit d’adapter les pratiques aux particularités du local. D’autre part, il s’agit également d’éviter une trop grande individualisation des pratiques des conseillers et d’inscrire dans un collectif de travail les pratiques individuelles. Dans les établissements scolaires comme dans les CIO, le projet dans ce deuxième objectif a été suspecté par certains de réduire la liberté des pratiques individuelles.
Cette différenciation des pratiques a permis sans doute une meilleure adaptation aux situations concrètes, mais elle a eu certains effets dangereux. L’absence de typification des pratiques accentue la responsabilité personnelle et le risque d’isolement du conseiller. La typification des pratiques permet aux acteurs de prévoir ce qui peut être attendu de l’autre professionnel. Cette diversification a « flouté » l’image de la profession.
Ce mode d’exercice du métier pourrait risquer de s’accentuer pour plusieurs raisons : l’autonomie pédagogique des établissements ira en s’accroissant ; la taille des CIO va changer par le regroupement des CIO (effet de la fermeture des CIO départementaux) ; un nouveau mode d’organisation se mettra sans doute en place avec une responsabilité individuelle plus importante encore. La taille du groupe des professionnels réduira ce qu’on appelle la « pression de groupe à la conformité ». Mais cela peut constituer également une chance de plus grande richesse d’individualités et de collectif. Et il y aura également sans doute une gestion différente du temps de travail, beaucoup moins répétitive.
Ce mode d’exercice du métier pourrait risquer de s’accentuer pour plusieurs raisons : l’autonomie pédagogique des établissements ira en s’accroissant ; la taille des CIO va changer par le regroupement des CIO (effet de la fermeture des CIO départementaux) ; un nouveau mode d’organisation se mettra sans doute en place avec une responsabilité individuelle plus importante encore. La taille du groupe des professionnels réduira ce qu’on appelle la « pression de groupe à la conformité ». Mais cela peut constituer également une chance de plus grande richesse d’individualités et de collectif. Et il y aura également sans doute une gestion différente du temps de travail, beaucoup moins répétitive.
Du spécifique au partagé
Dans ces mêmes années, on est passé d’une activité spécifique de chaque professionnel de l’éducation nationale à des fonctions partagées. En particulier dans l’orientation, le thème de l’orientation éducative avec le temps scolaire pour l’information et l’orientation (1986), puis l’éducation à l’orientation (1996), et aujourd’hui le parcours (depuis 2008), l’action éducative est à réaliser par tout le monde, quel que soit son statut professionnel[iii].
Les actions menées par les COP, hors les examens psychologiques, sont toutes « floutées ».
- L’entretien ? Tout le monde fait de l’entretien : le professeur principal, l’assistante sociale, l’infirmier, le CPE, le proviseur, etc. Mais qu’est-ce qui caractérise vraiment l’entretien des COP ? Qu’est-ce qui distingue, selon la terminologie officielle jamais explicitée, l’entretien d’orientation approfondie des conseillers/ères et l’entretien personnalisé d’orientation des professeurs principaux ? Qui le dit ?
- La séance d’info ? Idem et… Internet a envahi ce champ ; il n’est pas près de le lâcher ! Que peut l’information papier contre l’Internet envahissant, exponentiel, permanent ? Comment ne pas reconsidérer nos espaces documentaires en CIO, et surtout nos manières de (re)construire et mettre en œuvre une véritable psychopédagogie de l’orientation qu’appelait déjà de ses vœux Antoine Léon en 1956 ? En prend-t-on le chemin ? Et qu’est-ce que les COP, les DCIO, les CIO et les IEN-IO (oui, les IEN-IO !) peuvent y apporter ? Et dans quelle mesure vont-il désormais s’y investir au temps, qui advient, des Parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP) ?
- Le conseil technique aux EPLE ? Où a-t-il été typifié, caractérisé ? Quand et où y travaille-t-on[iv] ?
- L’accompagnement ? Tous les travailleurs sociaux en font chacun dans leur coin, conseiller/ère d’orientation inclus/e.
On pourrait répondre que cette base repose sur la qualité des actions réalisées. Mais justement, il y a interrogation sur celle-ci, et la plupart des résistances menées par les intéressés contre ce « partage » met justement en avant l’absence de formation des personnels sur le champ de ces actions qu’ils sont supposés « partager ». Et puis tout de même : jusqu’où le COP est-il censé se substituer au professeur dans sa classe pour faire « une séance d’info » alors qu’il ne peut être présent au mieux que deux à trois demi-journées par semaine dans les plus gros établissements ? Est-ce bien raisonnable et sérieux ? Et encore : former les professeurs à l’entretien, comme on l’a demandé aux COP depuis les années 2006, n’est-il pas en soi source de floutage et d’émiettement des compétences de psychologue ? En même temps, est-il pertinent de laisser les enseignants réaliser ces entretiens sans un minimum de formation sur cette pratique ?
La distanciation entre les corps… et les esprits
Progressivement, le champ d’action des uns se sépare subrepticement puis se fracture des champs d’action des autres :
« Le terrain, Môssieur, vous ne savez plus ce que c’est, et depuis longtemps ! » Ce à quoi rétorque l’offensé : « Mais, Monsieur, sachez reconnaître la diversité et la légitimité de la différenciation des terrains… » Dialogue de sourds…
Chez les directeurs de CIO, on est de plus en plus happé par les commandes institutionnelles (Service public régional de l’orientation, Plate-forme de suivi et d’appui aux décrocheurs, Animation des bassins d’éducation et de formation) au risque d’oublier que le cœur de métier consiste dans les arts de faire et les pratiques des conseillers/ères en CIO et en établissement. Du coup, il est temps de réinvestir ce chantier majeur au moment même où l’Etat peine à indiquer aux directeurs/trices ce qu’il attend d’eux[v]…
Chez les IEN-IO, on a depuis longtemps abandonné le travail auprès des conseillers/ères et l’on préfère jouer au quasi faisant fonction d’adjoint/e du second degré plutôt que de labourer, ensemencer, sarcler, cultiver le champ de l’orientation telle qu’elle se fait, se pense, se dit, se construit, se vit et s’interagit dans les classes, les disciplines scolaires, les forums, les entretiens menés par les conseillers/ères d’orientation-psychologues et… les autres !
Le discours hiérarchique absent
L’attribution du titre de psychologue aux conseillers d’orientation (1991), a remis en question le statut de l’inspection. N’étant pas eux-mêmes psychologues dans leur statut, les inspecteurs pouvaient difficilement inspecter des « psychologues ». Mais certains inspecteurs rappelaient qu’ils n’inspectent pas des psychologues, mais des fonctionnaires de l’éducation nationale appelés d’ailleurs non pas « psychologues » mais « conseillers d’orientation-psychologues », ce qui constitue beaucoup plus qu’une nuance… Un certain nombre d’entre eux ont, depuis 1991, poursuivi ce travail d’inspection : notamment des « inspections inspectantes » en cas de problèmes graves ou encore des visites-conseils aux néo-cop et aux intérimaires de plus en plus nombreux.
La vraie vérité qui a fait que les IEN-IO n’ont pas « inspecté » est ailleurs : ils étaient sur des missions de faisant fonction d’adjoint du second degré et… ne s’intéressaient pas plus que cela à l’orientation mais davantage à leur « noble » et « grande » carrière… Pour le reste, ils peuvent former, animer des groupes de travail inter-CIO, organiser des colloques, produire des publications, etc. sans « inspecter » ou… en inspectant… [vi]
Ceci a pu expliquer leur éloignement progressif mais inéluctable des personnels d’orientation, mais aussi des classes et des professeurs. À cela, il faut ajouter que ces inspecteurs sont occupés à tout sauf à travailler l’orientation. Ils ont, eux aussi, de plus en plus de missions transversales à tel point que l’on se demande si la spécificité « orientation » des IEN en charge d’information et d’orientation est encore pertinente.
À l’étage du rectorat, il en est de même pour le Chef du service académique d’information et d’orientation (CSAIO) et pas chef des services académiques d’information et d’orientation comme certains CSAIO le disent. Pour qui fréquente et a fréquenté cet échelon, on voit combien on est passé d’une organisation très bureaucratique du rectorat avec des départements aux champs d’action parfaitement délimités, à un fonctionnement beaucoup plus en réseau qui remet en question ces frontières de compétences. Sur le plan opérationnel, cela est sûrement plus pertinent, mais pour ce qui concerne le CSAIO, cela a également un effet de distanciation avec les services d’orientation et leurs personnels.
Qui aujourd’hui dans la hiérarchie tient réellement un discours sur l’action des services ? On ne saurait qu’être surpris par le fait que ni les rectorats-SAIO, ni les IEN-IO (sauf exception), ni même l’ ACOP-F ne prennent le soin de caractériser les différentes formes caractéristiques prises par les activités des COP.
Typifier l’action en orientation, une nécessité impérieuse
Typifier l’action, la caractériser suffisamment au point qu’elle soit reconnue quand elle se présente, se fait, se construit : cet événement, cette action d’une personne, d’un professionnel peut dès lors être reconnue comme appartenant à un type, à une classe d’action, à un genre professionnel, ce qui suppose que les choses se ressemblent. La diversification a cassé ce système de reconnaissance des actions de l’autre. Chaque action a tendance à se présenter comme “originale”, particulière, spécifique.
Il faut dire aussi que cette diversification des pratiques s’est probablement accentuée du fait de l’air du temps qui privilégie l’instant, le présentéisme, mais que, surtout, elle a fait son lit sur l’absence de cadre qu’aurait proposé de manière suffisamment explicite une institution qui, depuis plus d’une décennie, se plaît à souffler sur les CIO et leurs professionnels le chaud et le froid : régionalisation (2003, 2012) vs étatisation avec « carte-cible » des CIO (2013), mission adéquationniste des CIO au service direct de l’emploi régional vs lutte contre la grande difficulté scolaire et le décrochage (2011).
Comme si les deux missions étaient en soi compatibles, conciliables, et nécessitaient l’emprunt des mêmes outils, des mêmes démarches, méthodes et pratiques… et du même type de rapport aux personnes.
[i] Ballion R., L’évolution de la fonction d’orientation, (1987), MEN/DLC, oct. 1987
[ii] Par exemple : Cinq CIO en Sarthe, cinq priorités (1997, 2003, 2008) : http://www.ia72.ac-nantes.fr/1200568688203/0/fiche___document/&RH=ia72_edcref
[iii] Bernard Desclaux, Tendance de fond : l’aide à l’orientation est attribuée aux enseignantshttp://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2010/09/07/tendance-de-fond-laide-a-lorientation-est-attribuee-aux-enseignants/
[iv] A propos de conseiller technique
Sur le blog Propos orientés de Jacques Vauloup, une série de quatre articles : Conseiller technique, conseiller éthique :
Bernard Desclaux : Pilotage et conseil technique dans l’établissement scolaire, nouvelle organisation, nouveaux rôles, http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2010/09/07/pilotage-et-conseil-technique-dans-letablissement-scolaire-nouvelle-organisation-nouveaux-roles/
[v] Vauloup J., Réorienter nos manières de travailler, juin 2014
[vi] Vauloup J., (Projet de) Code de déontologie des inspecteurs en orientation, avril 2011
Dernière modification le mardi, 02 septembre 2014