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Demain, l’Ecole... Je pense que plus d’un des amoureux de l’école, ceux du dedans et ceux du dehors, ont poussé un gros OUF ! dimanche dernier à 20h.
Mais je pense aussi que leur soulagement, s’est vite teinté d’inquiétude devant l’état de cette école qui nous est si chère, et, telle la femme Narsès de l’Electre de Giraudoux (oui, je sais, il n’est guère à la mode ne ce moment, mais rassurez-vous, il va y revenir, impossible autrement !), on a bien envie de s’écrier :
« Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ? »
A quoi le mendiant répond (avec l’inimitable phrasé de Louis Jouvet, bien sûr) :
« Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.

Certes, la ville ne brûle pas, les innocents ne s’entretuent pas et les coupables, heureusement, n’agonisent pas, mais le gâchis est bien là et l’aurore est vraiment bienvenue... Alors, pour l’école, comme pour beaucoup d’autres domaines, il est urgent de lui donner ses couleurs : comme le dit superbement Pierre Frakowiak : "Education : tout reste à faire" :http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/education-tout-reste-a-faire

C’est ce que je voudrais tenter de faire, au lendemain de ce lever de soleil... encore un peu brumeux.
Avez-vous remarqué que notre nouveau Président de la République a souvent utilisé le verbe "rêver" (ce qui a bien fait ricaner ses adversaires !) ?
Eh bien rêvons, nous aussi.

Une école rêvée, une école à construire, une école possible.
Une école, comme celle que décrivit Laurent Carle dans un de ses textes : qui travaille « dès les premiers jours avec des élèves actifs, interactifs et autonomes ; (qui sait) les déranger dans leurs postures habituelles d’attente et de soumission aux décisions de l’adulte ; (qui sait) leur donner le sens de l’initiative, de la solidarité entre pairs, du projet personnel et collectif ; (qui sait) faire émerger un sentiment d’appartenance sociale, et dont le souci sera d’apprendre à vivre ensemble »
 
Une école qui ne repose pas sur des « réformes », mais sur un virage à 180° de nos mentalités.
Une école future, qui s’impose au présent.
Une école dont le but n’est pas de « former » des enfants, mais de réunir les conditions pour qu’ils se forment eux-mêmes, — en matière d’éducation, le verbe « former » se doit d’être pronominal — et qu’ils construisent leur dignité de citoyen.
Une école bien différente de celle que l’on connaît, — vous savez, celle où l’enseignant travaille en faisant son cours (son show ?), tandis que les élèves écoutent. Une école où ce sont les élèves qui travaillent, tandis que le maître observe et écoute.
 
Une autre école.
Une école AUTRE.
Une école où le maître n’est pas le patron, mais le responsable, dont le pouvoir n’est que celui du savoir, et qui est là pour aider.
Une école où les élèves sont des partenaires, différents, mais égaux en droits, et où les enseignants sont des experts, responsables, solides sur les savoirs qu’ils ont à faire construire, et maîtres d’eux-mêmes, sans vouloir l’être des enfants.
Une école donc qui a su aider les enseignants à se former dans ce sens, qui leur a permis de développer toutes les formes de leur personnalité, de se connaître, et de savoir comprendre les autres.
Une école d’intelligence, de culture, de partage et d’entr’aide.
Une école qui nourrit et n’impose pas.
Une école de rigueur, sans indulgence, mais toute en bienveillance.
Une école de l’empathie, où l’on cesse d’interroger (cela ne sert à rien !), pour aider et répondre seulement à ceux qui questionnent.
Une école où l’on ne confond pas « agitation » et « apprentissage ». Ce n’est pas l’activité qui permet d’apprendre, c’est le travail : chercher, comparer, analyser, réfléchir sur ce qui se passe, et non réciter du tout fait par d’autres.
Une école où l’on n’évalue que ce qui a été appris, et après l’avoir appris.
Une école où « autorité » n’est pas « sévérité », où « évaluation » n’est pas « jugement ».
 
Une école ouverte, où l’on transmet, non des savoirs tout faits, mais les outils qui permettent de les construire.
Une école où le travail est plaisant, détendu, agréable, où l’on joue, mais qui n’est pas un jeu.
Une école où l’on s’amuse à être sérieux, où l’on crée, où l’on admire et analyse pour admirer davantage.
Une école où l’on apprend à oser, et à être responsable de ses audaces.
Une école où l’on sait qu’il faut se tromper pour apprendre, qu’il faut savoir perdre parfois, que cela n’a rien de grave et qu’il suffit de recommencer… autrement.
Une école qui n’enseigne pas à faire semblant, mais travaille sur du vrai, du valorisant, de l’utile.
Une école où l’on sait distinguer les « opinions » qui gèrent des valeurs, forcément variables et objets possibles de discussions, et les « faits », soumis toujours à vérifications…
Une école où le doute « méthodique » est toujours disponible, où l’on apprend à se méfier du premier mouvement, de la première interprétation, presque toujours à revoir.
 
Une école de l’honnêteté intellectuelle, de l’honnêteté tout court.
Une école où l’éducation morale se fait par l’exemple et le vécu, non par des « leçons ».
Une école où l’on dit ce que l’on fait et où l’on fait ce que l’on dit.
Une école dont les contenus d’enseignement sont à la fois larges et précis, définis avec rigueur, toujours ouverts aux remises en question des apports scientifiques, aux objectifs bien précisés, déterminant directement les moyens à mettre en œuvre.
Une école qui fait grandir et accompagne le petit jusqu’à l’homme.
 
Une école qui réfléchit à la manière de commencer, avec une école maternelle ambitieuse, qui, avant les savoirs, pense, comme le fait tout bon artisan, à faire construire aux petits les outils nécessaires à leur travail.
 
Une école qui, ensuite, n’oublie ni les savoirs « institutionnellement requis », ni les savoirs sur les savoirs.
Une école qui sait qu’un enfant devient un ado, dont les besoins sont tout autres et qui lui propose alors ce qu’il attend : découvrir la vraie vie, en comprendre les rouages, dans des recherches, où les savoirs scolaires prennent toute leur signification sociale, où l’on découvre les professions d’hier et d’aujourd’hui, où l’on pressent celles de demain, où l’on teste et expérimente l’adulte qu’on devient.
Une école où l’orientation prend un sens positif.
Une école qui peut enfin ouvrir la porte d’études professionnelles, longues ou courtes, librement choisies.

 
Bref, à la question que tous se posent : « A quoi ça sert d’aller à l’école ? », une école qui a su leur permettre de construire la vraie réponse. : « Il faut y aller pour apprendre, parce qu’apprendre, c’est le seul moyen de savoir, que savoir, c’est le seul moyen d’avoir du pouvoir, et qu’avoir du pouvoir, c’est le seul moyen d’être libre. Il faut aller à l’école pour y construire sa liberté de citoyen. »
 
Construire à l’école, sa liberté de citoyen : une utopie ? Un rêve ?
Un projet.
Charmeux Eveline

Ancienne élève de l’ENS, professeur à l’EN d’Amiens, puis au CRCEG de l’EN, entre 1956 et 1971.

Nommée ensuite à l’ENG de Toulouse, puis à l’IUFM de cette ville jusqu’en 1993, date de mon départ en retraite, j’ai parallèlement travaillé à l’INRP, en tant qu’Enseignant chercheur associé, depuis 1966 jusqu’à mon départ en retraite. J’ai publié de nombreux ouvrages sur la pédagogie du français à l’école primaire et au collège.