En plus d’être superflue, cette notion est floue, car elle couvre, non seulement la sphère pédagogique, mais aussi la sphère éducative : ce que le même jargon nomme le savoir-être, respect des autres, de leurs paroles, de leurs différences, et, est-il besoin de le préciser, respect du professeur.
En d’autres termes, il est question d’éthique – comment définir son rapport aux autres, comment se positionner dans le groupe-classe – préfiguration de la société – comment se connaître pour cultiver sa capacité de communication avec autrui, qui est le pendant nécessaire d’une existence individuelle assumée, sinon épanouie ?
Parlons d’éthique
Un des plus grands philosophes a consacré un traité à cette question : l’éthique à Nicomaque. Suivant ses vues, l’éthique est rien moins qu’accessoire, elle ne sert pas simplement à former de dociles citoyens, elle est au contraire de nature hautement philosophique. Elle mérite à elle seule un effort cohérent et concerté.
Elle ne peut être traité par-dessus la jambe, comme c’est le cas aujourd’hui, car servant essentiellement à la "tenue de classe". Les profs ont juste le temps de faire de l’éducatif, pour pouvoir caser tant bien que mal leur enseignement. Cet éducatif mal pensé se transforme souvent en discipline sourde, creusant toujours plus le fossé entre le système éducatif et ceux qui le rejettent.
Entendons-nous bien, dans la plupart des établissements difficiles, les élèves qui auraient besoin d’un aliment éthique ne sont pas la majorité, parfois même ils sont seulement quelques-uns : mais le mode de fonctionnement uniforme des classes fait qu’ils ont un pouvoir d’influence important, car ils sont en permanence mis avec et considérés comme des "élèves normaux", c’est-à-dire des élèves qui ont les idées en place sur la question de l’éducation.
On en arrive à des situations ubuesques où la construction de la personnalité de ces élèves se fait systématiquement en contradiction avec les exigences de la scolarité, cependant que les encadrants s’obstinent, en se disant qu’à terme, dans dix-vingt ans, il en ressortira malgré tout forcément quelque chose.
Ne perd-on pas beaucoup de plumes à se bercer de certitudes aussi illusoires ? Pourquoi ne pas s’engager à fond dans les besoins réels de ces élèves, engagement qu’eux-mêmes réclament pour les plus clairvoyants ? Car beaucoup, l’exprimant de manière confuse, ont le souci de s’en sortir – mais tout simplement ils ne savent pas y faire ; on ne demande pas à un oiseau de voler, alors que ses ailes n’ont pas encore poussé.
De bonnes intentions qui ne marchent pas
Le collège unique est un idéal qui vaut la peine de se battre, mais ceci en bonne intelligence : l’excès de missions qui s’imposent à un prof tout seul dans une classe nuit à cette bonne intelligence, génère forcément malentendus et contre-productivité, quand bien même ne serait-ce qu’à l’endroit de certains élèves : est-ce éthique, professionnellement, de préférer en neutraliser certains, en les laissant inactifs dans leurs coins – pas de problème tant qu’ils ne m’empêchent pas de dispenser mon cours au 90 % restant de la classe ? S’il y a dans cette situation un principe de réalité incompressible, il est tout aussi certain qu’en développant davantage les méthodes de proximité avec ce genre d’élèves, on arriverait à en "sauver" davantage.
C’est un crève-cœur de voir ces gamins passer leur journée assis comme des plantes vertes, laisser le caviar de notre jeunesse à la cochonnerie de la passivité et de l’ignorance. Ils veulent apprendre et en ont besoin, mais de manière différente. Il y a des dispositifs qui existent : par exemple, on les sort pendant six semaines de classe, on les met entre eux et on essaye de leur redonner le goût de la scolarité, du respect de soi-même et des autres… Mais ce système est encore plus discriminatoire, réussit sur une ultra-minorité qui a dans le fond des facilités et s’en tirera toujours.
Le reste continue de se mettre à l’écart, ce système ne fait que renforcer leur stigmatisation – parfois à leur bénéfice, car ils acquièrent le statut de caïd, mais jamais au bénéfice de l’intelligence, de la société et surtout de leur propre individualité. Ils se construisent des certitudes en carton, qui vont contrarier par la suite indéfiniment leur existence, sans qu’ils ne puissent jamais rien y changer puisqu’elles leur sont inoculées à un âge où se construit la personnalité.
De bonnes intentions qui marchent
Un dispositif nous a montré qu’autre chose était possible : les itinéraires de découverte, terme mignon, mais un peu obscur donné à des dispositifs d’heures supplémentaires au cours desquelles deux profs de matières différentes s’entendent pour dispenser un cours transdisciplinaire.
Le savoir étant rien moins que compartimenté, et les profs mieux formés qu’on veut bien le concéder, il est très simple pour eux de s’entendre sur des thèmes communs, même en réunissant ce qui peut paraître superficiellement contraire : par exemple l’histoire et les mathématiques, la géographie et la technologie, etc.
Entre matières de même genre, par exemple dite de "science humaine", la passerelle est encore plus facile à jeter. Notre propos n’est pas de parler du contenu pédagogique de ce dispositif, mais de la dimension éducative transformée qui ressort de cette présence de deux adultes au sein d’une même classe : presque naturellement, tandis que l’un présentera sa partie enseignement, l’autre, en bonne intelligence, volera au secours de son propos en s’attachant à l’éducatif.
Puis quand il y aura lieu, les rôles s’inverseront. De la même manière qu’avec deux parents, la tension d’un élève avec un adulte pourra être désamorcée avec un autre adulte, le premier prenant le relais – en cas de crise – du second dans la tâche à laquelle il était occupé.
Dernière modification le lundi, 29 septembre 2014