fil-educavox-color1

Réflexions sur les savoirs ... nouveaux et anciens... à travers un moment de vie privée
J’ai récemment eu l’occasion d’aller revoir l’Aquarium de la Rochelle pour ses 10 années d’anniversaire....Et comme pour tout visiteur, ce temps fut un temps d’apprentissage : toutes générations confondues, nous découvrons les couleurs d’un spécimen réputé ou inconnu, ses conditions de vie marine, son développement, sa contribution à la chaîne alimentaire... Nous apprenons... en admirant ces multitudes de poissons dans les aquariums, lisant tantôt les informations communiquées par l’Aquarium de la Rochelle sous forme de pancarte, tantôt en écoutant les commentaires d’une visite guidée par un animateur, ou profitant d’interpellations réciproques et partagées avec d’autres visiteurs ... nous apprenons.

Mais voilà apparu devant quelques aquariums, un spécimen inconnu il y a alors 10 ans, qui fit fureur, sur ce moment de visite, auprès des plus petits : une console ! En effet, un ordinateur interactif placé à hauteur d’yeux de bambins permet à ces derniers d’accéder à tout un tas d’informations complémentaires en cliquant tactilement sur les espèces de poissons de leur choix, afin de découvrir par eux-mêmes l’information qui les intéresse, cheminant vers un terrain de connaissances ludiques, comportant couleurs, animations musicales, formes en dessins animés. 

Je suis restée un peu plus d’un quart d’heure devant cet aquarium et cette console interactive et j’ai souvent observé la même situation, me ramenant à la considération des nouveaux apprentissages en formation et des nouvelles technologies. Quelques observations sur cet instant de "pause" : 

- Tous les enfants ont immédiatement été attirés par l’écran de la console, certains se sont même jetés dessus, repérant sa présence de trés loin.

- Chacun a passé entre 2 à 4 minutes, scotché sur l’écran, cherchant à tapoter sur le maximum d’informations

- Souvent, le même scénario s’est produit : les enfants sont attirés par la console sans prendre la peine de regarder le vrai aquarium avec les vrais poissons

ci, on dirait Némo !".Trés peu d’enfants ont écouté leurs parents (même en parlant de Némo !)

-Quelques enfants ont regardé rapidement l’aquarium après la consultation de la console

-Certains enfants sont restés trés longtemps sur la console et certains parents ont du inventer une histoire pour arracher l’enfant à la console

-Un seul adulte a regardé la console avec l’enfant, en lui montrant le même poisson dans le vrai aquarium.

Cette observation a été pour moi trés apprenante... car elle m’a remis en réflexion la question des "médiateurs" des savoirs : qui sont, de nos jours, les acteurs de la transmission des savoirs en formation des adultes comme en éducation pour les enfants ? 

Qui sont de nos jours les acteurs de la transmission des savoirs ? 

L’enseignant transmet un savoir, les parents transmettent des savoirs, le formateur transmet un savoir, le tuteur en entreprise transmet un savoir, le maitre d’apprentissage transmet le savoir à l’apprenti...

Mais pour la transmission de savoirs auprès des enfants comme auprès des adultes, il faut compter à présent sur d’autres acteurs de la transmission des savoirs, à côté de l’enseignant, des parents, du formateur : la transmission des savoirs et des informations s’effectuent par la télé, la radio, et surtout internet. Vous en conviendrez, internet a révolutionné la transmission des savoirs : nous obtenons quantité d’informations, vous pouvez capter des informations trés variées, écouter de la musique, lire un journal sur internet, compiler des savoirs, accéder à de nouveaux savoirs, les enfants trouvent leurs sources d’exposés sur internet, vous pouvez également vous former sur internet...Celles qu’on appelait une quinzaine d’années en arrière les NTIC ont modifié la transmission des savoirs, au point, dans certains cas, de supplanter les parents, l’enseignant, le formateur quand l’adulte ou l’enfant capte plus d’informations par ces nouveaux biais.

Quel est l’impact des nouvelles technologies sur la pédagogie et les mécanismes d’apprentissage ?

Il est clair que de nos jours, dans l’éducation comme en formation professionnelle, les nouvelles technologies ont un impact sur la pédagogie et les mécanismes d’apprentissage chez les enfants comme chez les adultes. De trés nombreuses réflexions sur la pédagogie et l’apprentissage existent en ce sens, à visée théorique ou à visée pratique.

Pour nous convaincre de l’impact des nouvelles technologies sur la pédagogie et les mécanismes d’apprentissage, remémorons-nous les propos de Michel Serres dans son discours "Petite Poucette" - mars 2011 (le texte peut être consulté en intégralité sur ce lien) :

"Ne dites surtout pas que l’élève manque des fonctions cognitives qui permettent d’assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support. Par l’écriture et l’imprimerie, la mémoire, par exemple, muta au point que Montaigne voulut une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine. Cette tête a muté. De même donc que la pédagogie fut inventée (paideia) par les Grecs, au moment de l’invention et de la propagation de l’écriture ; de même qu’elle se transforma quand émergea l’imprimerie, à la Renaissance ; de même, la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies." (...)

"Oui, nous vivons une période comparable à l’aurore de la paideia, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; comparable à la Renaissance qui vit naître l’impression et le règne du livre apparaître ; (...)

Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites et nos projets."

Puis, pour identifier l’impact des nouvelles technologies sur pédagogies et apprentissages, rappelons-nous qu’il y a 10/15 ans, on parlait seulement d’e-learning et qu’à présent, on compte plusieurs variations de ce terme : mobile learning, blended learning, microlearning, rapide learning, social learning... tous pour favoriser à la fois les souhaits des entreprises de voir un salarié se former de manière moins onéreuse et sur un temps limité (pour enfin pouvoir sortir du carcan traditionnel des 3 jours de formation d’affilée !) mais aussi pour permettre d’intégrer entre les temps de formation, expérience, pratique professionnelle, pratique collaborative, suscitant l’apprentissage informel.

Les jeux sérieux et serious games se développent également à une vitesse impressionnante pour favoriser l’interactivité d’une formation sur la base de la réalité d’un environnement professionnel.

Alors évidemment oui, avec l’apparition de nouvelles technologies, la pédagogie et les mécanismes d’apprentissage évoluent : c’est pourquoi il convient toujours de s’interroger sur le rôle du formateur ou de l’enseignant dans ce cadre, qui est tantôt médiateur, facilitateur, tuteur accompagnant à distance.

De nombreuses réflexions ont lieu en ce sens. Mais quel impact cette évolution a-t-elle sur les savoirs eux-mêmes ? 


Quel est l’impact des nouvelles technologies sur les savoirs eux-mêmes ? 

La transmission des savoirs change, elle évolue avec l’avènement et le développement des nouvelles technologies, mais on peut se demander si les savoirs sont les mêmes qu’avant ou s’ils sont différents.

Le savoir par les nouvelles technologies : effet de mode ou alternative au changement ?

La question est de savoir si lors de la visite de l’aquarium, les enfants auraient capté moins ou plus d’informations et de savoirs, avec ou sans la console interactive ? Certes, la manière de capter les informations est différente, mais la quantité et la qualité de ces informations retenues sont-elles différentes selon qu’elles viennent de papa ou maman ou de la console interactive ? Le savoir retenu est forcément différent mais le résultat parait difficilement mesurable.

Si vous travaillez en autoformation et que vous consultez plusieurs blogs, que vous intégrez une plateforme collaborative, ou que vous participez à une formation avec des "capsules" ou "grains" de formation, il est difficile de dire si vous apprendrez mieux ou moins bien, avec ou sans les nouvelles technologies, en présentiel ou en lisant un ouvrage, vous apprendrez différemment.

Si vous commandez un e-learning, vous apprendrez peut-être moins ou plus ou autant qu’une formation en présentiel, cela est difficilement mesurable mais vous apprendrez différemment, dans un autre contexte que le présentiel et vous ferez appel à vos ressources internes en priorité mais aussi à d’autres ressources.

En cela, l’utilisation des nouveaux procédés d’information, de formations, et de transmissions de savoirs est bien loin de constituer un simple effet de mode car ces procédés constituent une réelle alternative au changement(même si certains prestataires le voient eux, comme un effet de mode et uniquement un effet de mode - il est important de s’assurer de la qualité de la prestation de formation achetée par les nouveaux modes de communication).

L’utilisation des nouvelles technologies est loin de constituer un simple gadget mais il convient en même temps de les utiliser en conservant une pédagogie, et non de faire du "serious game" pour "faire moderne" ou du "mobile learning" pour "être dans le vent" : il convient de donner un autre sens à la mission de formateur mais aussi de se poser les bonnes questions plutôt que d’inonder l’e-apprenant de tas d’informations. Voir notamment pour l’e learning, l’article "Top 5 et flop 5 du e learning 2.0" et pour les jeux sérieux, un article de Monsieur Eric Sanchez "La réussite d’une pédagogie ludique dépend davantage des conditions de simulation que du jeu en lui-même".

Il convient donc de réfléchir sereinement à son e-pédagogie car, comme pour une formation en présentiel, il ne doit pas exclusivement s’agir d’une transmission de contenus et de savoirs à travers les nouveaux moyens pédagogiques mais bien de réfléchir à un accompagnement pédagogique de l’apprenant dans un but précis à travers une e-ingenierie pédagogique.

Alors, oui, en utilisant de plus en plus les nouvelles technologies, nous n’apprenons plus de la même manière mais les savoirs, eux, ont-ils changé d’aspect ?

Le savoir a-t-il changé d’aspect ? 

Internet et l’inflation communicationnelle augmentent la compacité des savoirs : ils sont plus nombreux, plus denses, en tout cas, en apparence, proportionnellement à la période située avant internet. L’accès aux savoirs est dorénavant facilité, mais il existe aussi des dispositifs pour accompagner le public dans l’utilisation de ces nouvelles technologies, car, pour certains, les nouvelles technologies se présentent aussi comme des difficultés d’accès aux savoirs. Enfin, les savoirs se sont aussi diversifiés et multipliés entre le passage du 1.0 au 2.0 : avec le web 1.0, on obtenait des informations, dans sa version 2.0, les communautés se créent et partagent des informations par la création des réseaux, des blogs, des communautés de pratiques...puis le 3.0...

Alors, oui, les savoirs ont changé d’aspect, qu’on les envisage sous l’angle de leur compacité, de leur accès ou de leur diversification. Et les savoirs se transforment certainement à travers les âges et les générations...

Le savoir s’est-il transformé à travers les générations ? 

Indubitablement, l’afflux d’informations a inversé les apprentissages entre générations car les enfants entrent dorénavant plus vite et plus tôt que leurs aînés dans la sphère de communication : il savent manier les tablettes trés tôt dans l’enfance, en passant par les jeux multimédias, ils se montrent plus performants que les adultes dans l’utilisation de tous ces nouveaux procédés. Alors les enfants apprennent-ils plus et plus tôt que leurs aînés ?

Se pose déjà la question de l’écart entre les techniques d’apprentissage d’un tuteur en entreprise qui doit "apprendre le métier au jeune" : avec quels moyens ? Nouvelles technologies ou moyens non technologiques ? Les nouvelles technologies constituant dorénavant un moyen d’apprendre, à part entière, le formateur ou l’enseignant doit pouvoir lui aussi les utiliser car il convient d’entrer en communication avec un jeune, notamment par le biais de son mode favori de communication. Mais en complément de méthodes non technologiques ou en substitution de méthodes non technologiques ? Quelle doit-être sa pédagogie ?

Rappelez-vous la console devant l’aquarium : peu d’enfants ont regardé l’aquarium, ils ont appris par la console seul en auto-information, mais disons-nous qu’ils auraient aussi pu apprendre par le livre, une bande dessinée. Et puis, papa, maman, un enseignant, aurait aussi pu vérifier les informations acquises par l’enfant grâce à la console intéractive, en comparant ses connaissances nouvelles et en demandant à l’enfant de repérer le vrai poisson concerné dans le véritable aquarium, et l’enfant aurait ainsi pu confronter sa connaissance à la réalité. De manière identique, papa, maman ou l’enseignant, aurait pu inviter le frère et la soeur qui ont passé 5 minutes sur la console interactive, à partager entre eux les informations récoltées par l’un ou l’autre, et ainsi permettre à papa ou maman d’être aussi bien informés, bien "sachant"...les nouvelles technologies peuvent constituer un moyen pédagogique à coupler avec d’autres moyens pédagogiques non technologiques (exemple : quand twitter donne le goût de lire et d’écrire).

Ou bien alors les nouvelles technologies doivent-elles tendre vers un mécanisme d’apprentissage exclusif ? Ou constituent-elles un moyen d’entrée, pour dériver sur d’autres moyens ou techniques d’apprentissage ? Le cadre de ce billet est trop court, posons-nous seulement ces questions et vous trouverez beaucoup de renseignements ou d’idées à ce sujet en parcourant la toile.

En tout cas, le savoir s’est transformé à travers les générations par les nouvelles technologies... alors que d’autres se demandent si, de la sorte, le savoir n’aurait pas perdu de son pouvoir sacré...

Le savoir a-t-il perdu de son pouvoir sacré ? 

Le savoir s’est modifié à travers les générations, il a changé d’aspect, mais certains se demandent si le savoir perd de son pouvoir sacré par l’utilisation des nouvelles technologies.

Ainsi, Jean Pierre Boutinet explique que des paroles qui auparavant auraient acquis le statut d’expertise sont de plus en plus relativisées ; que les nouvelles technologies permettent un débat d’idées, mais parfois sans hiérarchie. Pierre Dominice évoque une mise en cause de l’autorité de référence et exprime aussi : "Certains intellectuels interprètent ce phénomène de mise en cause de l’autorité de référence comme trait caractéristique de la post-modernité. Dans tous les cas, il faut bien admettre que chacun est désormais tenu de construire sa vérité, ce qui a pour effet de favoriser la simplification ou de restreindre l’enjeu des débats". 

Il est clair que le savoir n’est plus le même, peut-être a-t-il perdu de sa sacralité ? Ceci reste à méditer ...

Personnellement, j’ai appris grâce à la console interactive, j’ai obtenu d’autres informations en regardant les poissons dans l’aquarium, car j’adore les regarder évoluer dans l’aquarium... et vous savez quoi ? Je rêve même un jour d’aller nager avec des poissons dans une mer transparente comme on peut les contempler dans les magazines de voyage, et je suis sûre que j’apprendrai encore... différemment ! Un modeste billet (car il existe des articles extrêmement riches de réflexions sur les e apprentissages) pour prendre du recul sur nos pratiques professionnelles... la pédagogie et les apprentissages à travers les nouvelles technologies.

Valérie Gabillard

Article initialement publié sur Pedagoform Dernière modification le mercredi, 24 septembre 2014
PEDAGOFORM

PEDAGOGIE ET FORMATION - Echanges, partages d’expériences et d’idées autour de la Pédagogie et de la Formation professionnelle continue.