Nous n’avons pas encore pu lire cette étude de la DEPP, mais nous nous interrogerons sur cette question de la « justesse » de l’évaluation. Dans notre système scolaire, et en particulier au collège,l’évaluation peut-elle être juste ?
De l’objet de l’évaluation à son objectif
L’étude de la DEPP porte sur l’acquisition du socle commun de connaissances et de compétences. L’outil aujourd’hui utilisé dans les collèges français est le LPC (livret personnel de compétences). On trouvera sur Eduscol une présentation de ce livret, et de son utilisation.
Nous retiendrons dans cette présentation une petite phrase, anodine apparemment, mais qui signale toute l’ambiguïté dans laquelle évoluent les enseignants : « Le livret contribue à l’évaluation des élèves, comme le bulletin scolaire. ». Nos enseignants sont toujours amenés à utiliser deux systèmes d’évaluation : le livret et le bulletin.
Si le LPC porte sur l’acquisition de compétences définies par le socle commun, que fait le bulletin scolaire ? Non seulement il parle dans un autre code, celui des notes, mais il parle d’autre chose, il parle de la place relative de l’élève dans la classe. On est là typiquement dans le « classement », dans l’impérieuse utilisation de la constante macabre (Antibi). Classer suppose une diversité mais surtout une diversité ordonnée des élèves entre du mauvais et du bon.
Dans les deux cas, LPC et bulletin, il y a communication aux parents. Quelle est cette utilité ? Pourquoi communiquer avec les parents ? Il y a bien sûr l’aspect collaboratif autour de l’élève, de l’enfant. Parents et enseignants sont autour de l’élève, de l’enfant. Les deux outils permettent d’abord d’informer les parents, mais aussi d’en attendre leur action en retour auprès de l’enfant.
Mais ce discours de la collaboration parentale nécessaire ne justifie pas à lui tout seul l’existence de ces outils. Ils servent aussi à justifier des décisions prises à l’encontre de l’élève :
- l’attribution ou non de l’attestation du socle, puis l’attribution du diplôme national du brevet (DNB) à la fin du collège ;
- la proposition d’orientation, aux différents paliers d’orientation.
Autrement dit, l’évaluation de l’enseignant est non seulement complexe car elle se fait par deux canaux d’évaluation, mais en plus cette évaluation servira à justifier plusieurs décisions concernant l’élève. Il y a là une affaire de responsabilité sociale de l’enseignant, une responsabilité à justifier.
La justification de l’évaluation
Si l’évaluation doit donc être justifiée, comment dès lors peut-elle être juste ?
Dans un premier niveau de compréhension, la justesse renverra à l’idée d’une incontestabilité de cette évaluation. Il y a un système de mesure, il y a un étalon. Il y a donc un pouvoir-évaluer incontestable, qui ne trompe pas. On peut refaire trente fois la même mesure, on trouvera toujours le même résultat. Et bien même dans les actes de mesures physiques, on observe des écarts, et c’est cette question, de l’erreur de la mesure, qui a produit les statistiques (MOYENNE, MEDIANE, ECART-TYPE. Quelques regards sur l’histoire pour éclairer l’enseignement des statistiques. Anne BOYÉ, Marie-Céline COMAIRAS, Irem des Pays de la Loire ), mais qui a aussi produit la psychologie expérimentale.
Dans un deuxième niveau de compréhension, apparaît l’idée de la « justification à qui ? ». Au fond à quelle condition une évaluation, un jugement, une appréciation… serait-elle acceptable ? Et là nous avons trois dimensions : le social, le groupe, la personne.
Il y a la justice. Cette évaluation suit une procédure claire, qui s’impose à tous, partout et de la même manière. Et en matière humaine, c’est bien entendu une fiction, une convention. Il y a une tension vers cette « perfection ». Dans le domaine de l’éducation, cette notion de « justice » est relativement neuve. L’idée que le jugement professoral est pris dans une procédure qui le contraint et notamment qui le soumet d’une certaine manière à un extérieur de l’éducation est relativement neuve. C’est dans le cours de la deuxième partie du XXème siècle que l’institution éducative se trouve sécularisée. Les droits, timides, des parents s’élaborent et ouvrent l’institution.
Il y a la justesse. Ici on la comprendra comme la qualité d’un jugement qui le fait accepter par le groupe. L’autorité de l’enseignant ne suffit plus. Le jugement ne peut plus être « absolu », il se négocie, il se modifie, il varie. Le piédestal a sauté depuis belle lurette tout comme l’estrade. L’acceptation ne va plus de soi.
Enfin il y a la pertinence. Le jugement se doit d’être personnel, spécifique, bien correspondre à la personne évaluée. C’est la pertinence de l’évaluation qui aura un effet bénéfique pour la personne concernée. Ce jugement est-il bon pour elle ? C’est la question de la pertinence. L’éducation de qui, pour qui, pour quoi ? Notre éducation est-elle centrée sur la personne. On a bien aujourd’hui un discours qui agite « personnalisation », « individualisation »… mais se traduit-il vraiment dans les pratiques ? On y verrait même une preuve de l’envahissement de notre système par l’idéologie libérale.
Comment une évaluation qui doit se justifier, qui doit justifier les décisions qui seront prises grâce à elle, peut être juste lorsqu’elle doit combiner ces trois exigences ?
Bernard Desclaux