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Publié par François-Bernard HUYGHE, Docteur d’État en Sciences Politiques - Habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Information et Communication - Formateur et consultant (HUYGHE INFOSTRATÉGIE) - Chercheur à l’IRIS
    
 « Devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique, capable d’une croissance économique durable… » tel est l’objectif que fixait à l’Europe le sommet de Lisbonne de 2000.
Or la notion d’économie de la connaissance, comme celle de société de l’information renvoie visiblement à plusieurs composantes qui se recouvrent partiellement :

- une économie où l’innovation technologique, mais aussi la capacité humaine d’exploiter cette technologie, de se réadapter à la complexité et de créer des structures apprenantes confère un avantage compétitif. Bref une économie du changement perpétuel reposant largement sur les technologies de l’information et de la communication (cf La série sur les pouvoirs d’Internet : I, II, III, IV )
 
- une économie de l’immatériel où les richesses les plus désirées ne sont pas tant des choses au sens strict, tangible, mais des informations ou des facilités d’accès àl’information et à la communication. La production de connaissances, de spectacles et expériences psychiques, contenus culturels ou cognitifs et services serait bien davantage désirée par une population dont une très large fraction travaillerait elle-même à manipuler des signes et non plus à produire des choses comme aux temps où l’agriculture ou l’industrie prédominaient. Tout cela n’est pas sans rappeler la « société post-industrielle » imaginée aux États-Unis dans les années 70.

- une économie où le capital intellectuel est le plus productif. Ce capital intellectuel consiste pour une entreprise, non seulement dans sa capacité à accéder à de l’information rare (scientifique par exemple) ou à maîtriser des techniques intellectuelles (par la recherche et le développement, les brevets, les technologies de l’information et de la communication) ; il s’agit aussi du comportement, pour ne pas dire de la culture, du personnel, de sa capacité de développer des relations internes ou externes efficaces et de la faculté de faire circuler efficacement le savoir au sein de l’entreprise : gestion de la connaissance et intelligence collective jouent un rôle fondamental
 
Que la connaissance ait une valeur semble évident. Elle est désirable puisqu’elle sert à réaliser une performance, une action qui n’était pas possible auparavant ou pas aussi facilement. Ainsi, telle formule d’une molécule permet désormais de guérir telle maladie. La connaissance est également désirable à mesure de ce qu’elle nous fait : ainsi la compréhension de telle théorie nous rendra, pensons-nous, plus savants, plus conscients de la beauté, du sens ou de la complexité du monde.
 
Le problème commence quand nous voulons mesurer cette valeur en termes monétaires. Or, nous vivons à la fois dans une société où la production de connaissances nouvelles (ou la gestion intelligente des connaissances préexistantes) est le premier facteur de puissance et de prospérité, mais aussi dans un monde de l’échange et de la circulation où tout se monnaie. Les travaux sur l’économie de la connaissance mettent en avant les avantages de sa production et de sa diffusion en gains de productivité, ou cohésion sociale.
 
Mais la connaissance est immatérielle et peut d’autant plus facilement s’approprier par celui qui ne l’a pas produite qu’elle peut être codifiée. Plus elle est formalisée (facile à résumer en suite d’instructions ou en informations susceptibles de figurer sur un document) et plus elle est facile à stocker, traiter et transporter (une facilité qui augmente avec les TIC et le code numérique). Bref, plus il suffit d’un simple cerveau pour se l’approprier, plus il est difficile d’en conserver l’exclusivité. Même les stratégies sophistiquées du secret ne servent qu’à gagner un temps d’avance dans la rétention du savoir qui sera finalement diffusé et dont le taux d’accroissement et de renouvellement (donc d’obsolescence) est une des caractéristiques.
 
La connaissance ne s’use pas si l’on s’en sert. Le même récepteur peut l’employer plusieurs fois et la répandre à son tour ; sa nature n’est pas changée par son nombre d’utilisateurs, entendez par ceux qui la possèdent. Cet emploi est sans rapport avec le coût d’ailleurs très difficile à mesurer de sa production : coût financier bien sûr (frais de Recherche et Développement par exemple) mais aussi coût humain ou coût collectif (l’excellence du système d’éducation d’un pays,…).
 
Enfin, la connaissance est plus un bien de production que de consommation : elle est productrice de connaissances qui s’appuieront sur ses acquis pour se développer à leur tour. Ce qui a été découvert par l’un deviendra tôt ou tard non seulement le bien de tous, mais aussi participera du mouvement d’accroissement exponentiel de la somme des connaissances accessibles. Cela ne contribue pas non plus à en faciliter l’appréhension chiffrée ou économique. Ces caractéristiques (les « externalités de la connaissance » en termes savants) font de son économie le domaine des stratégies collectives, mais aussi également offensives.
 
François-Bernard Huyghe
Dernière modification le vendredi, 08 décembre 2017
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