afin de répondre à nouveaux frais à la question contemporaine simple : quelle est la réponse des appareils culturels à l’ampleur et à la radicalité du bouleversement en cours ? Nous avons apprécié cette question comme prioritaire, toutes affaires cessantes : acceptons de faire de l‘attention aux nouvelles donnes « la seule », le pivot principal de tout ce qui en découle.
Acter
La fin des années 80 a vu se déployer un triple bouleversement lié aux techniques : informatisation ((cybersphère), médiatisation (médiasphère) et réticularisation (plexosphère) de la sociétéprésageaient désormais une nouvelle capacité de civilisation. Portant des caractéristiques de la culture impliquant des modes de pensée inédits, touchant le mode d’intelligibilité, affectant profondément le sujet le sujet de l’éducation, et singulièrement l’enfant. Au passage, rappelons que nous avions pris appui sur cette tripartition en ingénierie pédagogique il est en effet tout à fait possible de concevoir et de mettre en place des objets et des programmes pédagogiques compatibles avec ce nouveau paysage. Dans ce mouvement, l’apparition du phénomène Internet marquait le triomphe de la “ télématique ” et de la conjonction de l’écriture, de l’image, et de la communication, en même temps qu’il déplaçait les données par un changement d’échelle. Changement prodigieux, accélération vertigineuse, en si peu de temps. Nous voici en tous cas bien au-delà de simples outils performants, au sein d’un nouveau milieu ainsi créé : cette « mésosphère" est le dernier cri de notre propre artefact.
Cette mutation invalide une grande part des efforts soutenus pour sauver la mise et sauvegarder le statu quo. Logiquement, on ne peut pus dès lors enseigner ni avec les mêmes moyens, ni les mêmes contenus, ni selon la même pédagogie. Ainsi, la référence aux « pédagogies de la réussite », soucieuses de prendre en compte les paramètres culturels de leur temps, est nécessaire : mais elle doit être actualisée.
Il devenait notamment difficile de se raccrocher de manière conventionnelle aux catégories scolaires relatives aux textes et aux images, aux écrits comme aux écrans : c’était de leur articulation qu’il était désormais question, comme de celle des logiques de représentation et de transfert, de distance et d’interprétation. D’un point de vue sémiotique notamment, la concrétion des moyens s’exposait dans l’amalgame d’un discours désormais complexe. On comprend qu’alors l’univers dont désormais l’Internet est tout à la fois la métaphore et l’anamorphose, a constitué la promesse d’un nouvel eldorado pour l’intelligence collective.
Mais cette conjoncture est celle de formidables contrastes : les détresses et les errances du quotidien, les pathologies ordinaires (errements, perte des repères, captations, addictions), les nouvelles inégalités, les indifférences publiques, y sont d’autant plus sensibles.
Ces considérations sont présentes dans les années 80, pour ce qui est de prendre acte du “ poids des médias ” dans la modification de notre rapport au monde, et de la nécessité d’une réponse éducative rigoureusement renouvelée.
Il s’agissait de mesurer l’importance de la médiasphère et d’en tirer un parti éducatif cohérent, notamment à partir de l’approche active qui consiste à articuler compréhension et production, mais jamais indépendamment d’un contexte et d’une perspective qui motive ces actions en termes de communication authentique, et leur donne sens. Les quelques avancées d’un moment ont périclité dans le tourbillon des « trente piteuses », et cette perte a été lourde de conséquences. La question est encore aujourd’hui noyée dans un flot de réflexions, de témoignages et de positionnements. L’école s’est désarmée elle-même, au profit de faux-semblants : le système éducatif, mis à mal et aiguillonné de plus belle, semble peu convaincu de répondre. « Où est le problème ? » semblent nous dire les managers et les penseurs de la gouvernance scolaire. Mais s’« il y a urgence », nous répète-t-on, on ne voit pas se forger le fer de lance de cette promesse.
Pour simplifier, les « nouvelles technologie n’engendrent pas la mutation, elles y participent, la technique ne crée pas le milieu : elle y contribue. Elle ne produit pas de communication humaine… Autant fleurissent les accompagnements du « numérique » dans les sciences humaines, autant l’articulation de considérations utiles à l’éducation fait défaut.
L’espace des « nouvelles donnes »
C’est bien par métonymie que l’on désigne l’univers dans lequel nous sommes entrés par le « numérique ». Cette image est l’indice de notre attachement au prestige de la technique. Mais elle est aussi limitative, portant sur une des dimensions de la mutation. Celle-ci peut être décrite en des termes divers, selon l’angle choisi. L’engouement pour le numérique, ne doit pas servir d’écran de fumée pour le caractère multidimensionnel de la mutation en cours, et, qui plus est, pour ce qu’elle charrie de plus profond, quand il s’agit de la distorsion du sens traditionnel.
Les contours des nouveaux espaces ne s’arrêtent pas à la question technique. Les nouvelles donnes, c’est sur tous les plans : les changements de repères se lisent dans les domaines de la représentation, des techniques, de la communication, des valeurs… Le monde du virtuel, de la réalité et de l’imaginaire global, du marché, de l’énergie, des communications, de l’information, de la culture, etc. n’est plus celui des catégories encore en cours. Nous nous reposons sur des acquis fragiles : psychologies, conceptions, valeurs - anachroniques… Nous nous référons à des « phares » qui ont hélas accompagné la crise quand ils ne l’ont pas provoquée.
Comment nous qui n’avons pas encore changé de logiciel pourrions-nous statuer sur les logiciels du futur ?
Activer
Nombreux discours, innombrables exemples de travaux d’enseignants consciencieux. Toutefois, on ne peut s’intéresser aux « nouvelles donnes » :
- sans prendre en compte les acquis du passé dans ce domaine – la réflexion ne date pas d’hier, elle peut nous instruire parfois beaucoup mieux que les belles envolées contemporaines. remémoration actualisation sont nécessaires. Il s’agit de refuser et de dépasser une crise profonde de la transmission ;
- sans engager une réflexion profonde d’ordre philosophique sur le sens de l’homme dans son milieu. C’est la conception sous-jacente à l’organisation générale des études qui est en question. Aucune entreprise de rénovation sur le fond ne peut en effet se mener sans un « changement de paradigme du sens », non pas venu de l’extérieur, mais produit par notre propre effort, conjoint : enseignants, parents, société dans son ensemble), comme nous produisons l’artefact de la mutation industrielle et culturelle.
Je souhaite donc toujours me référer encore aujourd’hui au terme de médias, qui, à condition qu’on le soustraie à ce qui a pu le limiter ou le dévoyer, implique l’articulation profonde du système et du discours, de la communication et de la valorisation, etc. ; de préférence au « tout-numérique » recouvrant une pluralité d’objets.
Le terme de médias renvoie lui au milieu de vie (et il est en ce sens, mésologique). Lorsque nous nous occupions de pédagogie des médias, nous avons dû affronter quelques questions difficiles telles que : - quels sont les contours de la médiasphère ?cette définition est loin d’être arrêtée, entre acception restrictive (journalistique par ex.) et holistique (tout est possiblement « médias » ; L’univers des médias ne se réduit pas aux « mass media » ou aux moyens d’information, disons à ce que l’ « opinion courante » en juge),et, partant, comment affronter le « poids des médias » en éducation scolaire ? comment traiter de la complexité entre systèmes, supports, discours ? comment envisager une formation aux médias normale et intégrée aux curricula ? quelles recherches et quels programmes pédagogiques spécifiques mettons-nous en œuvre ?
etc.
Toutes questions en suspens. Et il est dangereux, du point de vue de la transmission, qu’aucune passation n’ait lieu entre les développements importants de la pédagogie des médias du 20è siècle, et les interrogations actuelles sur les espaces du numérique à l’école.
Une pédagogie des médias bien comprise touche les domaines principaux de notre activité : pour faire court, langage, technique, communication, valeurs… Il est toutefois à haute teneur en enjeux symboliques : en ce sens, le numérique, même objet de fétichismes techniques et porteur de fantasmes de modernité industrielle, semble plus prudent. Mais le risque reste nécessaire.
Nous avons, en éducation scolaire, à imaginer un dynamisme comparable à celui de l’inventivité matérielle et économique, alors qu’aujourd’hui comme devant, les progrès spirituels et éducatifs sont toujours inversement proportionnels aux avancées techniques et aux créativités culturelles. Bien loin, tellement loin, des idéaux pédagogiques du passé.
Il s’agit donc de mettre en jeu nos certitudes pour, encore et toujours, « partir en reconnaissance. « Allons-y » ? Oui, mais à une condition, c’est que nous y allions ensemble » !
Post
Longtemps après, il me semble, toujours aujourd’hui, que l’émergence d’une pensée à la hauteur des nouveaux enjeux ne peut se faire que dans une entreprise collective partagée, selon une recomposition des mœurs de la communauté scientifique et éducative. « Il faut » changer de méthode, à moins de nouvelles et durables désillusions. A n’en pas douter, les “ efforts réunis ”, les “ flux croisés ” et autres synergies ne manqueraient alors pas d’impact.
L’acuité de la mutation s’est accrue au point que nous sommes convaincus d’être entrés dans un autre univers, par exemple dans la “ troisième galaxie ”, après celles de Gutenberg et de Marconi (McLuhan) ou, sur un autre plan, dans la “ troisième révolution industrielle ” (Rifkin). Ce qui est nouveau, c’est la nature de la mutation, sa puissance. C’est-à-dire que par rapport à la période précédente, nous avons affaire à un changement d’échelle…
Notamment dans le développement du concept PMR (Programme, Médias, Réseaux, 1994).
Ce qui est le thème principal des échanges et des travaux inauguraux du Clemi (à l’époque « centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information », Ministère de l’éducation, France) entre 1982 et 1984. Il en reste peu de traces publiques, sinon peut-être un résumé évocateur dans l’introduction de notre ouvrage de référence « Apprendre avec la presse » (édition originale de 1988).
Par exemple, L’école, le numérique et la société qui vient- Kambouchner, Meirieu, Stiegler, Gautier, Vergne.
Forte fulguration du tout-numérique. Sous la bannière du numérique, un formidable grouillement de propos, réunions, idées, réalisations, initiatives, informations…