On connaît aussi la circonspection des philosophes quant aux retombées négatives des médias - traditionnellement réduits aux mass-media (« l’éducation par les médias ») -, et d’autre part les réserves avancées par les « penseurs » de la technique.
Ces questions ont pu jadis recouper l’opposition entre partisans d’un enseignement traditionnel et pratiquants d’une pédagogie active en prise sur les « lectures réelles » des médias. Il fut un temps, pas si lointain, disons avant le milieu des années 70 du siècle dernier, où on discutait encore de la nocivité des bandes dessinées ou de la télévision, plutôt que de s’employer à fonder une véritable « pédagogie des médias ».
Il fut aussi un temps où le rapport éducatif aux médias était celui d’une utilisation instrumentale, adjuvante[1]. Et puis, un temps où l’on se préoccupait de la manière dont on pouvait se protéger, d’opposer une résistance à l’invasion du discours et des valeurs médiatiques, ou bien d’en « réparer les impérities »[2]… On trouve même encore aujourd’hui des sorties opposant les médias au livre ou aux nouvelles formes techniques.
J’ose pourtant espérer que nous que nous n’en sommes plus là ! Sur le papier, l’attitude de compréhension des médias pour eux-mêmes semble acceptée. Mais si le précepte en est banalisé, est-elle pour autant profondément acquise ? Travaillée en pratique et suffisamment propagée ? A voir la dispersion régnante, l’absence de cohérence d’ensemble, la tendance actuelle à transformer les travaux pionniers en slogans superficiels, ou en prescriptions générales, il n’est nullement certain que nous ayons franchi définitivement cette étape.
Le sujet des médias
Car il ne s’agit pas de fermer les yeux sur la réalité des difficultés liées aux usages des médias, comme à leurs propriétés. Les repères ont-ils volé en éclat, l’évidence d’un « pouvoir des médias » tient moins donc à leur capacité, ou à leur utilité sociale, qu’à leur simple omni-présence : quand on parle des « médias », il faut en tous cas se garder d’en limiter la définition.
On trouve en effet encore aujourd’hui des postures liées à une définition restrictive qui réduirait la médiasphère à une conception antérieure à celle de Mac Luhan (1964 !) par exemple, à une vision finalement… immédiate, où les médias se réduisent à la conjugaison industrielle de systèmes et de supports spécifiques. J’entends donc toujours « médias » au sens plein, en ce qu’ils forment le « milieu » de vie. C’est en effet parce qu’ils véhiculent l’articulation de la technique et du discours que les médias constituent toujours la priorité absolue de l’éducation contemporaine. Dans la logique PMR (Programme Médias Réseaux 1994) les trois dimensions « computationnelle » (liée aux développements de l’informatique), « médiatique » et « plexique » (liée aux réseaux) en réalité s’influencent et s’interpénètrent mutuellement, et, dans ce schéma, les médias forment bien « mi-lieu ».
Y a-t-il une vie au-delà de la médiasphère[3] ? Bien sûr que non ! Si l’on considère alors l’ensemble actuel des « nouvelles donnes », les conséquences de la production d’un « nouveau milieu » culturel est subordonné à un fait fondamental : dans le processus en cours c’est le sujet lui-même qui est affecté, différent, et il s’agit d’une mutation anthropologique, que l’on ne peut réduire à quelques altérations psychologiques.
Autant il nous appartient de mesurer les possibilités nouvelles, autant il importe de comprendre les nouvelles donnes « pour elles-mêmes », et de ce que la mutation implique dans les attentes du sujet contemporain. Aujourd’hui, le « sujet de l’éducation », c’est « le sujet des médias ».
C’est bien en effet d’éducation globale qu’il s’agit. Pour autant, la mue en effet ne semble guère s’être opérée, ni dans les repères, ni dans les mœurs. Il faudra sans doute en cela encore plus d’une génération, comme il a fallu plus d’un quart de siècle pour revenir, sans état d’âme, à des données déjà bien établies précédemment, avec les reculades et la perte de temps qui ont marqué cette période, notamment dans le domaine du rapport éducatif aux nouvelles donnes. Au point de repasser par la case départ.
Pour les précurseurs, les inventeurs, c’est en effet décourageant, et quelques-uns, et quelques avancées, donc, ont disparu bel et bien de la circulation, sans pouvoir « faire passer le message ». Aujourd’hui, nous en payons le prix. A suivre.
Malgré tout, c’est le sujet lui-même dans sa totalité qui fera - espérons-nous encore - l’objet du « soin éducationnel », en l’acceptant tel quel dans le milieu dont nous sommes partie prenante. Nous sommes nous-mêmes inclus dans le processus. La pédagogie vise alors à aider non seulement à se situer, mais à exister dans un « nouvel univers ». Cette détermination change tout.
Simple constatation qui relève de la préoccupation « mésologique ». Qui invalide bien des déclarations supérieures, promptes à donner leçon « comme de l’extérieur » de la question : tout au contraire, dans ce domaine, la plus grande humilité, le travail collaboratif et l’exigence de réflexivité seraient de mise.
Serons-nous des « mutants heureux » ?
Or, la culture scolaire peine toujours à intégrer ces dimensions, ou le fait-elle, c’est trop souvent par la petit bout de la lorgnette. Ou aux termes d’une procrastination systématique. Ce à quoi nous avons été assez habitués : il y a pourtant déjà largement de quoi faire en investissant en pédagogie les principales leçons d’études déjà anciennes… Où en sommes-nous ? Il n’est pas d’hier que l’on constate que le « grand chambardement » (Louis Porcher) en cours s’accompagne de toutes manières d’importantes perturbations : nous traversons depuis longtemps une « zone » à haut risque, du fait que la maîtrise des questions inédites qui sont posées n’est pas assurée. Cette histoire se joue sur une échelle pluridécennale : tantôt des retraits, parfois des avancées décisives…
Et l’on en appelle toujours « au futur » : la transformation « doit » s’opérer… et « comment faire »… Tout en répétant à l’envi des mots d’ordre que nous avons formulés… il y a plus de vingt ans, et en les adaptant au goût du jour.
Non, la « phase de recomposition » en cours, soulignée à leur tour par les hiérarques, n’est pas une donnée récente, mais pourrait déjà se nourrir de l’expérience des décennies précédentes et de nouveaux travaux déconcentrés qui ne manqueraient pas de motiver les professionnels de l’enseignement.
L’école n’est pas prédominante dans la construction du sujet contemporain ? cela non plus n’est pas d’hier, mais une pédagogie « inclusive » - et non pas « surérogatoire » ( !) - des médias pourrait enfin là jouer sérieusement son rôle. Nous en sommes loin. Car si l’idée n’est pas nouvelle, d’une intégration dépassionnée (mais non édulcorée) des médias dans l’enseignement, de la même façon, l’aspiration à un humanisme actuel, lié aux nouveaux espaces de la culture. Ce qui le serait viserait à inverser les points de vue traditionnels, toujours en vigueur. Dans ce domaine, tout reste à faire.
Ce qui s’est inventé de grand en pédagogie ne tient pas aux recommandations, mais aux enthousiasmes. A condition de renoncer à la culture de l’atermoiement, de travailler à la prise de conscience commune, pourquoi ne pourrions-nous pas passer aujourd’hui du sentiment de fatalisme des évolutions, à l‘esprit de la mutation heureuse ?
Textes de recherche
Prendre soin du sujet des médias, 2007 http://leportique.revues.org/1341
Le divin milieu, au sein des médias (Philosophie des milieux),Transverse 1, 2011. Tiré à part sur mon blog : 19 Août 2013
Article d’actualité
Jean-Michel Le Baut, Grenoble : Les chemins numériques du savoir, Le Café pédagogique, 24/01/2014
[1] Nombre d’entre nous nous souvenons de la glorieuse période de l’Audiovisuel, porté notamment par S, Strasvogel. Toutefois, ce n’était sans doute pas si simpliste…
[2] On trouvera un intéressant développement sur ce point dans le chapitre « L’éducation et les médias », in : Blais., Gauchet, Ottavi, Pour une philosophie politique de l’éducation, Paris, Bayard, 2002.- pp. 177-180
[3] L’utilisation de ce mot doit être précisée, notamment depuis que R
Dernière modification le dimanche, 29 mars 2015