La première est d’une évidence simplissime : pour s’intéresser à une solution, il est nécessaire qu’il y ait un problème !
- Si je suis capable de suivre et aider les élèves de ma classe, de leur proposer des activités diversifiées, adaptées à chacun d’entre eux, avec un manuel scolaire, des fiches d’exercices et en circulant entre les tables, pourquoi m’encombrer de tout un tas d’écrans qui feront … écran entre les élèves et moi.
- Si je suis capable de faire mon cours efficacement dans un amphi de 200 étudiants attentifs alors que mon seul outil est la voix, pourquoi m’intéresserai-je à des outils tels que microphones, vidéoprojecteur, plateforme pédagogique, boîtiers de réponses ?
La deuxième raison du refus des éventuelles solutions numériques est tout aussi évidente : il ne faut pas que la « solution » apporte encore plus de problèmes.
- Si je suis dépendant de la technique, de l’administrateur, du matériel oh combien peu fiable, du réseau, de la connexion internet, la probabilité que tout fonctionne est tellement faible qu’il est inutile de perdre son temps.
- Si j’utilise des technologies pointues, je risque d’être désemparé si tout ne se passe pas exactement comme prévu. Et je vais me retrouver en échec devant mes élèves ou mes étudiants.
Désolé si ma formulation comporte quelques éléments ironiques, mais c’est pour faire apparaître que, dans le premier cas, il arrive parfois qu’un peu de lucidité change la donne, et que dans le deuxième, c’est l’absence de compétences numériques qui est souvent la véritable source du refus.
La réponse, c'est la formation bien sûr, mais quelle formation ? Il y a en matière de numérique toute une série de fausses oppositions entre les usages et les outils, entre les objectifs pédagogiques et les contraintes technologiques, entre la théorie et la pratique. Pourtant, en matière de formation initiale des enseignants, l'objectif est clairement double :
- se construire un bagage théorique permettant de choisir ses pratiques pédagogiques en fonction du contexte dans lequel on exerce ;
- acquérir les compétences qui permettront de mettre en œuvre les pratiques adéquates.
Il faut bien accepter une certaine discordance entre ces deux exigences mais il y a une évidence : si l'on admet que le numérique apporte des solutions, on doit aussi admettre qu'elles ne peuvent pas être figées, qu'elles sont appelées à évoluer. Ce qui est important, ce n'est donc pas de les enseigner, mais d'en permettre l'expérimentation.
Pour cela, il faut :
- mettre en évidence les apports théoriques permettant de dépasser la simple reproduction des situations connues en tant qu'apprenant, et dégager quelques pistes où le numérique apparaît comme un levier pour l'innovation pédagogique,
- créer les conditions de l'expérimentation de ces pistes (mise en place d'un environnement technologique, acquisition des compétences nécessaires à son utilisation)
- provoquer la réflexion individuelle et collective sur les pratiques de chacun, faire la part suivant les contextes entre les apports réels et les gadgets contre-productifs.
Ce dispositif sera source de discordances car en fonction des contextes et des compétences de chacun, il créera plus de débats que de consensus. Mais il permettra à chacun d'initier une démarche d'utilisation des outils numériques qu'il pourra consolider par la suite.
Dans le C2I2E mis en place à l'UPMC en 2011, ma démarche allait dans ce sens. Les étudiants devaient expérimenter deux outils numériques choisis parmi quatre : TNI, boîtiers de réponses, vidéos d'écran et un serveur d'exercices (WIMS). C'est le côté pratico-pratique de cette exigence qui a provoqué un changement de regard des étudiants : ce qui leur apparaissait au départ comme une contrainte artificielle est devenu une mise en situation (parfois ludique) qui les a conduits à se poser des questions et à proposer des éléments de réponses. Si je devais recommencer aujourd'hui, les outils seraient sans doute différents (j'ajouterais probablement un outil pour l'écriture collaborative), mais la démarche serait la même.
L'un des défis de la masterisation, c'est d'avoir des enseignants ayant un aperçu de la recherche : quel beau terrain que le numérique pour se livrer à une recherche expérimentale !
Thierry Marchand
Dernière modification le mercredi, 18 février 2015