En effet, les initiatives réitérées du ministère pour prévenir la fraude, ces dernières années, s’avèrent si rétrogrades et en décalage tant avec les pratiques numériques habituelles des élèves qu’avec l’avancement de la société et du fonctionnement du monde du travail qu’elles suscitent généralement l’hilarité de ceux qui sont concernés, candidats, surveillants et correcteurs. Quoique…
Il faut imaginer le spectacle d’un proviseur de lycée arpentant avec vigueur les couloirs de son lycée centre d’examen avec, dans ses bras, un détecteur de smartphones faisant bip-bip à chaque fois que l’un d’entre eux, appartenant la plupart du temps à un professeur surveillant, est détecté. Il faut voir aussi l’un de ces surveillants s’interroger et interroger ses collègues pour savoir si la montre que porte tel ou tel élève et qui lui donne l’heure — incroyable ! — est connectée ou pas…
Quelles connaissances et quelles compétences ?
Partout, sous l’influence et l’avancée du numérique dans les pratiques sociales et professionnelles, on s’attache à observer que « collaborer » devient une compétence essentielle. Au baccalauréat, on l’interdit. De même, les jeunes, les citoyens, les systèmes sont toujours connectés au monde qui les entoure et entre eux, les échanges ainsi mis en œuvre participant, dans ce flux numérique, à l’enrichissement mutuel de chacun et au progrès collectif. Au baccalauréat, c’est interdit.
Cet examen, censé valider la fin des études secondaires, est devenu une sorte de fossile, la trace d’un temps révolu, un cœlacanthe pédagogique.
Bon, je l’admets et conçois bien que l’affaire n’est pas aisée, que le bastion est difficile à prendre tant le rituel du baccalauréat et son décorum académique et médiatique imprègnent depuis des lustres les pratiques pédagogiques et les modes d’évaluation. Il va sans doute encore passer pas mal de berlines ministérielles sous le porche de la rue de Grenelle avant qu’un rapport de l’inspection générale souligne le décalage en question et s’interroge sur l’opportunité de la mise en place d’une commission qui pourrait envisager de réfléchir à une légère inflexion, quelques années plus tard, des modalités d’évaluation des lycéens et de la manière d’autoriser leur passage dans l’enseignement supérieur.
J’avais promis pourtant de n’en plus parler tant cette affaire suscite chez moi, en cette période, année après année, de prurits sans grand rapport pourtant avec la libération des pollens (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9). Mais tant pis, vous allez encore m’entendre râler… ou plutôt, à l’image de ce qui se fait ailleurs, faire à ce sujet une proposition honnête et quasi miraculeuse.
L’idée de génie qui nous vient d’ailleurs
Nos amis irakiens ne s’embarrassent pas. Quand vient la saison des examens, en l’occurrence l’entrée au collège, les Irakiens coupent l’Internet. Partout, dans tout le pays. Trois jours de suite, pendant trois heures. Libération nous raconte tout ça en faisant référence aux données BGP relevées par Dyn Research :
3rd 3hr blackout in 3 days as #Iraq continues attempts to block cheating on exams. More outages expected.. pic.twitter.com/culrbXPH9m
— Dyn Research (@DynResearch) May 16, 2016
Étonnant, n’est-ce pas ? Terriblement efficace en tout cas. Il faut dire que l’Irak n’est pas pionnier en la matière. Comme je vous l’avais raconté (6), l’Ouzbékistan a commencé à faire la même chose en 2014.
En France, le SIEC, année après année, communique beaucoup sur le sujet des fraudes, de manière parfois fort risible, notamment à propos des montres connectées (6) ou en publiant, comme l’an dernier (7), un triptyque navrant que certains chefs d’établissement n’ont même pas distribué aux élèves, tant ils avaient honte. Cette année, le SIEC a embauché un graphiste, semble-t-il. On admirera la grande qualité iconographique de l’infographie ci-dessous qu’il a produite, disponible en téléchargement pour affichage dans les lycées, et surtout le sens aigu des rédacteurs concepteurs pour une bonne pédagogie, qui tient les élèves en haute considération. Comme on s’adresse aux jeunes et qu’on sait communiquer, on utilise les icônes que ces garnements suspectés d’être des fraudeurs comprennent, bien sûr.
Il est temps de passer aux choses sérieuses. Il y a deux ans, je proposais, à lire la liste des interdits vestimentaires :
Une suggestion, plus adaptée à nos mœurs permissives : pour éviter la répétition et l’augmentation des comportements de fraude chez nous, le meilleur moyen serait peut-être que nos bacheliers soient… nus. Une table, un stylo, une feuille, c’est tout. Chiche !
Il faut aller plus loin et prendre exemple sur les Ouzbeks et Irakiens : coupons l’Internet en ce beau mois de juin ! Nul doute que les opérateurs adhéreront à ce beau projet salvateur des valeurs de l’école républicaine. Et, en enlevant une épine du pied des services d’examens, on aura presque éradiqué la fraude.
Pour le moment.
Crédit photo : via Pixabay en licence CC0 et par Citron / CC BY-SA 3.0
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Article paru sur le site : http://www.culture-numerique.fr/?p=4991
Michel Guillou @michelguillou
Dernière modification le lundi, 20 février 2017