J’étais en collège avec comme souvent une « bonne » classe et une autre « plus difficile » qu’un chef d’établissement bien avisé préférait confier à des enseignants volontaires plutôt qu’au dernier arrivé. Il s’agissait de construire une équipe pédagogique et un projet. Bien entendu, dans ces classes difficiles plus encore que dans les autres, le numérique apparaissait comme un levier pour l’innovation pédagogique et on arrivait à trouver des moyens. Mes cours de maths avaient lieu dans une salle équipée d’ordinateurs. Je les préparais avec des consignes et des ressources que je mettais sur un réseau local.
Un jour, je découvre l’hypertexte ! Oh, pas le html (encore à la version 2, car l’anecdote se passe en 1994) mais le format hlp, celui des aides des logiciels sous Windows. C’est une révélation et je passe du document linéaire, le classique page après page, aux liens qui nous font avancer par sauts, ce qui facilite l’accès rapide à l’information. Le lecteur définit lui-même son cheminement, sans rester coincé dans un couloir qui l’oblige à passer par toute une série d’étapes dont il n’a pas forcément besoin.
Avec tout l’optimisme du néophyte fasciné par sa découverte, je me lance avec mes 4°AS et patatras, la séance loin de tenir ses promesses, me met face à l’échec de mes élèves, perdus dans un labyrinthe sans attrait. Ils étaient habitués à travailler sur ordinateur, avaient pris leurs repères et lisaient l’intégralité des documents que je préparais, travaillant en même temps pas à pas sur l’exercice en cours.
Mais là, les repères avaient disparu : sur quel lien faut-il cliquer ? Faut-il revenir en arrière ou poursuivre sur un autre lien ? Ai-je lu tout ce que j’avais à lire ?
Je me souviens avoir évité la catastrophe en ayant repéré rapidement les signes de désarroi. J’ai très vite renversé la vapeur, d’abord en donnant davantage d’indications moi-même, sans renvoyer aux ressources disponibles ; puis en plaisantant sur cette nouvelle façon de faire qui, au lieu de simplifier les explications, les rendait encore plus obscures.
Si j’ai laissé tomber cette forme de travail avec cette classe, je n’ai pas abandonné complètement mon idée. Je l’ai par la suite reprise dans d’autres contextes, mais en me posant pour chaque document la même question : doit-il être lu entièrement ou permettre une navigation rapide ?
De cette séance ratée, j’ai retenu au moins trois leçons concernant l’innovation :
- Il faut être particulièrement attentif aux réactions des élèves.
- Il faut savoir, en cas de problème, prendre la responsabilité de la situation et dédouaner les élèves d’un échec qui n’est pas le leur.
- Il faut utiliser les difficultés rencontrées pour se poser les bonnes questions.
Mon objectif est triple :
- leur permettre d’avoir une certaine maîtrise de quelques outils numériques,
- les mettre en situation d’avoir une pratique pédagogique avec ces outils
- engager une réflexion collective à partir de ces pratiques.
C’est ce retour, amorcé par une réflexion collective, qui est le plus important, car c’est lui qui peut initier une démarche d’appropriation.
Pour être honnête, on ne peut pas exiger des futurs enseignants qu’ils réussissent tout de suite avec le numérique ce que la plupart de leurs enseignants ne tentent même pas.
Mais ce qu’on peut demander, c’est qu’ils surmontent au moins les premiers obstacles pour ensuite être capable de discernement. Et c’est plus tard, dans le quotidien de leur environnement pédagogique, qu’ils pourront se dire que dans telle situation, tel outil, utilisé de telle manière les aidera probablement à résoudre telle difficulté.
Former les enseignants au numérique, c’est avant tout les mettre en situation d’avoir une pratique qui déclenchera leur réflexion.
(Cet article est tiré de plusiers billets publiés sur http://onef.fr/blog)