Il très vite devenu le réseau mondial que nous connaissons aujourd’hui et a colonisé nos vies en les rendant numériques.
Pour avoir vécu la folle ascension de l’Internet et du Web depuis deux décennies, je peux vous avouer que ce réseau n’a pas intégré dés le départ la dimension sécurité et qu’aujourd’hui, ce qui est en train de nous arriver est en grande partie le fruit de notre responsabilité.
En effet, dans cette société immédiate, jamais une génération n’aura été aussi consciente du monde qui l’entoure et jamais elle n’aura été aussi aveugle, vulnérable et crédule à propos de l’information qu’elle recherche, qu’on lui véhicule ou qu’elle relaie.
Alors que l’essence même de notre vie sociale avait toujours été basée sur la confiance comme le signale Gérald Bronner dans La démocratie des crédules (Chez Puf en 2013), Nous allons désormais apprendre à faire sans sans elle.
Un Chaos numérique annoncé
Quelque 40% de la population mondiale, soit 2,7 milliards de personnes, seront connectés à l’Internet d’ici la fin de l’année 2013, selon les estimations de l’Union internationale des télécommunications (UIT[1]) publiées le 7 octobre 2013. Restera donc encore 1,1 milliard de ménages dans le monde, issus à 90% de pays en développement, qui ne sont pas connectés à l’internet. Fait tout aussi marquant, presque toute la planète a accès à la téléphonie mobile, avec 6,8 milliards d’abonnements au cellulaire mobile.
Tout ce monde connecté est source de nouvelles données et de nouveaux liens qui se créent sur la toile. Et Le Monde Diplomatique de juillet 2013 (n°712) de nous parler de « Mise en données du monde, un déluge numérique ».
Big Data, Open Data, ou encore « Big Buzz » pourrait-on dire. Voilà où nous en sommes.
Un récent rapport de la société WD[2] évoque qu’aujourd’hui » La France est un pays en plein« chaos numérique », où la conservation des données personnelles des Français tient majoritairement au facteur chance. « C’était à prévoir car la toile grossit et se mesure désormais en zettaoctets qui représente environ 1000 milliards de gigaoctets.
Le trafic sur le Web, en 2016, atteindra 1,3 zetaoctets[3], c’est à dire qu’il aura été multiplié par quatre par rapport à 2011 : on comptait alors 10,3 milliards de connexions. Sont comptabilisés dans cette prospective l’ensemble des appareils connectables à Internet, y compris ceux à venir dans un futur très proche : lunettes, liseuses, véhicules, avions de ligne, appareils électroménagers, équipements domestiques…
Toujours selon ce blog, d’ici les quatre années qui viennent, les spécialistes prévoient 18,9 milliards de connexions réseau : soit environ 2,5 connexions par individu sur la planète. Les internautes sont de plus en plus connectés, ils sont aussi de plus en plus nombreux : en 2016, les internautes seront 3,4 milliards, soit environ 45% de la population mondiale. L’augmentation de la vitesse du haut débit et celle du nombre de vidéos visionnées sur le Web sont également à prévoir. D’ici à 2016, l’équivalent de 833 jours de visionnage d’images sur le Web circuleront sur Internet chaque seconde. Par ailleurs, le trafic IP mondial moyen devrait passer à 150 pétaoctets par heure en 2016, soit l’équivalent de 278 millions de personnes regardant simultanément en streaming un film au format HD, à une vitesse moyenne de lecture de 1,2 Mb/s.
35, c’est le nombre, en zettaoctets qui composera la connaissance écrite sous diverses formes (textes, sons, vidéos,…) en 2020, d’après une projection de EMC CDC[4]. Ce nombre était de 1,8 zettaoctets en 2011, et on avance le nombre de 2,9 zettaoctets pour 2015.
La bonne nouvelle est qu’une grande partie de cette connaissance pourra être traitée avec les technologies du Big Data (ou déferlante informationnelle) et restituée, grâce à ces technologies émergeantes, pour fournir une information « utile » signale Gérard Peliks, Président de l’atelier sécurité de Forum ATENA.
La moins bonne nouvelle nous dit-il est que l’on a tout à craindre pour la préservation de sa vie privée, son anonymat et son droit à l’oubli sur Internet. Alors dès à présent, commencez à vous méfier de ce que vous entrez, en particulier sur les réseaux sociaux, et de ce que vous faites avec les applications gratuites (google, yahoo,…) car quand c’est gratuit, le produit… c’est vous !
Nos vies sont devenues numériques.
« Les frontières entre notre intimité et notre extimité poreuses« comme le signale déjà en 2002 Serge Tisseron (Psychiatre et Psychanalyste) dans son ouvrage sur l’intimité surexposée. Il ajoute que le phénomène s’est en plus étendu à l’ensemble des pratiques de mise en scène de soi dont les pratiques nouvelles sur Internet et plus particulièrement, celles des jeunes.
Je souhaite donc revenir ici sur ce phénomène de plus en plus inquiétant qu’est notre identité numérique. Il mérite, en effet, d’être considéré comme l’une des plus grandes menaces de notre siècle. Certains en ont déjà pris conscience, d’autres commencent à comprendre et à tenter de »nettoyer » leurs murs alors que tout ceci est en réalité ndélébile.
Rien à cacher, rien à vous reprocher ? Ecoutez cela pour vous en convaincre …
Snowden nous annonce même lors de ses voeux le 24 décembre qu’en l’état actuel des choses [« Un enfant né aujourd’hui n’aura aucune conception de ce qu’est la vie privée [...] et ne saura jamais ce que c’est que de passer un moment privé, d’avoir une pensée non enregistrée, non analysée->http://citizenpost.fr/snowden-un-en...] »
Les compagnies d’assurance comme AXA ont même déjà pris le pas sur cette problématique en proposant dans leurs contrats des solutions autour de la e-réputation de leurs clients. Celles et ceux qui ont été touchés dans leur réputation doivent ainsi faire appel à des avocats, à des nettoyeurs de murs … Seule l’obfuscation ou la manière de publier des informations en masse en vue de repousser les plus mauvaises plus loin sur la toile semble être encore demeurer la meilleure solution à ce jour.
Bref les mesures techniques et légales ne pourront suffire pour régler car le sujet doit être attaqué sur tous les fronts !
Pour beaucoup d’entre nous l’anonymat sur la toile devrait être une possibilité accessible à tous. Cette notion n’a pourtant pas la même perception en fonction de la personne, de la société, du public qui en parle. L’anonymat devrait être pourtant l’outil essentiel par excellence de la sécurité et de la liberté sur Internet mais il n’en va pas ainsi.
J’animais un atelier expert justement sur ce sujet lors 6 ème Forum International de Cybersécurité de Lille les 21 et 22 janvier 2014 et je souhaitais ici vous faire partager les points qui y ont été débattus.
Perçu comme le dernier garant de la liberté individuelle et de la vie privée sur Internet, l’anonymat est de plus en plus complexe à mettre en œuvre. Grâce aux cookies et autres obligations de conservation de données de navigation, les internautes sont aujourd’hui tracés, à des fins commerciales, d’enquêtes judiciaires ou de simple optimisation de la navigation. La fiabilité des VPN (Virtual Private Network) est remise en cause et le réseau Tor, longtemps considéré comme outil d’anonymisation par excellence des échanges, voit son efficacité discutée. Les outils d’anonymisation sur Internet sont-ils fiables ? Peut-on encore prétendre à l’anonymat sur Internet ?
L’avenir de notre identité
Pour tenter de donner des réponses à ces interrogations et aller un peu plus loin, je veux partager avec vous une partie de l’ouvrage de Eric Schmidt et Jaerd Cohen [5 ] qui abordent dans un premier temps Internet et l’évolution de notre avenir personnel. Dans uns second temps ils parlent de l’avenir de l’identité numérique au travers de ce que les auteurs appellent « un réseau omniprésent et mulifacétique de canalisation de l’énergie et de l’expression humaine ».
Anatole Muchnik qui a traduit l’ouvrage de l’américain a adapté dans sa traduction la phrase d’origine prononcée par Eric Schmidt en 1997 à San Francisco :
« Internet est la première création de l’homme que l’homme ne comprend pas , la plus grande expérience d’anarchie que nous ayons jamais connue » par « Une des rares créations que l’homme ne comprend pas tout à fait » car il il ne s’agit pas de la première. Ils parlent aussi du plus vaste espace non gouverné du monde.
Dans cette révolution de données, l’individu sera sommé de déterminer jusqu’où il est prêt à aller pour reprendre le contrôle de sa vie privée et de sa sécurité car à l’avenir. Nos identités se définiront de plus en plus en fonction de nos activités et de nos associations virtuelles. Et pour celles et ceux qui voudront se cacher, nos états auront du mal à accepter qu’ils demeurent anonymes, intraçables et non identifiés. Le véritable prix de l’anonymat qui risque donc d’être l’inanité précisent les auteurs de l’ouvrage.
« Pour les citoyens, les Etats et les entreprises qui entreront dans le nouveau monde numérique, passer de la situation où l’on forme son identité hors ligne pour la projeter en ligne sera lourd de répercussions »
L’identité sera la plus précieuse des marchandises et c’est essentiellement en ligne et dans l’infonuagique qu’elle existera. Les technologies invasives feront que notre identité sera de plus en plus précoce sur la toile et bien avant la naissance pour certains. Nos données maillées, réseautées, et parfois déformées sans une régulation extérieure constitueront « un gibier facile pour les employeurs, le personnel des admissions universitaires ou les diffuseurs de ragots » et « même les rumeurs seront éternelles ! » nous rappellent aussi les auteurs.
Il y a fort à parier que les systèmes scolaires auront un rôle important à jouer. Des cours seront consacrés à la confidentialité et à la sécurité des données ainsi qu’à l’optimisation des préférences de ce qu’il convient de faire ou pas dans le monde virtuel. Le rôle des professeurs pourrait aussi aller dans le sens d’une mise en garde à l’aide d’exemples illustrant ce qui arrive lorsque que l’on ne gère pas dés le plus jeune âge son identité.
Tout ceci générera une prolifération d’entreprises consacrées à la confidentialité et à la réputation.(Ex : Reputation.com) ainsi que d’assureurs évoqués au début de cet article. Leur but sera de nettoyer, de diluer , et d’obfusquer l’information pour la repousser sur la toile tout en diffusant aux intéressé(e)s des rapports réguliers, preuves du travail effectué.
Il faudra craindre alors un marché noir de l’identité qu’ill sera possible d’acquérir , réelle ou fabriquée. Son acquisition pourra s’effectuer dans une monnaie virtuelle difficilement traçable comme précisent les auteurs de l’ouvrage.
La crainte de voir apparaître de nombreuses plateformes de type Wikileaks ainsi que des sites de donneurs d’alerte ne sont plus à écarter, bien au contraire.On l’a bien compris, il restera à inventer d’autres recours pour garantir l’anonymat de ces donneurs d’alertes.
Il n’est donc pas trop tard pour commencer à entretenir votre réputation !
[2] www.wdc.com/fr/
[5 ]Eric Schmidt et Jared Cohen, A nous d’écrire l’avenir : Comment les nouvelles technologies bouleversent le monde, traduit de l’original « The New Digital Age », Editions Denoël, 2014, 379 pages
Article initialement publié sur mon blog :
Dernière modification le lundi, 05 janvier 2015