Je les ai côtoyés avec des points de vue différents : comme enseignant, en tant qu’auteur et développeur, formateur, administrateur de réseau, responsable de service informatique. Et aujourd’hui, je vois deux mondes distincts, voire antagoniste, celui de l’informatique dure et celui de l’informatique molle.
L’informatique dure, c’est celle qui normalise les procédures, automatise les tâches, trace les activités, augmente la productivité. On passe par elle pour s’inscrire dans un établissement ou une structure, déclarer nos revenus et payer nos impôts, gérer les feuilles de paye et les emplois du temps, vérifier les présences et les services faits.
L’informatique molle, c’est celle qui évolue sans cesse, de la communication, des loisirs, des réseaux sociaux, de la publication accessible à tous, des rencontres et contacts en tous genres, de l’improvisation et de la diversité.
La première est construite autour de logiciels aux objectifs précis, réalisés à partir de cahiers des charges très élaborés, essayant d’éviter toute surprise.
La seconde est faite sur la base d’innombrables services, la plupart éphémère, dont quelques-uns suscitent l’engouement d’utilisateurs imaginant toutes sortes de détournement pour inventer de nouveaux usages, imaginer de nouveaux modes de relations, de nouveaux types d’interactions.
La première est définie en amont, avant la diffusion des logiciels ou la mise en place des services, la seconde se réalise en aval, lorsque les internautes se les approprient.
Et dans l’enseignement, quelle informatique voulons-nous ?
C’est là que la dichotomie apparaît : quand l’institution s’en mêle, elle est naturellement du côté de l’informatique dure, celle de la gestion et des ENT. L’enseignant de terrain essaye quant à lui de dynamiser sa classe, susciter la curiosité de ses élèves, provoquer des interactions de toutes sortes (hum, pas sûr que ce tableau reflète la réalité de toutes les classes). Il souhaite une informatique molle, qui s’adapte, pousse à échanger au-delà de la classe, à travailler en équipe, à découvrir de nouvelles ressources.
L’enseignant rêve d’un espace pédagogique qu’il pourra façonner, où il pourra expérimenter ; l’institution lui fournit un ENT dans lequel il n’a pratiquement aucun droit, si ce n’est celui de s’adresser à l’administrateur pour savoir s’il est possible de…
Mon rêve à moi, c’est que dans l’enseignement, en matière de numérique, différents niveaux puissent s’articuler :
- un niveau purement institutionnel, où l’enseignant se contente d’appliquer des procédures pour répondre à des exigences principalement d’ordre administratif,
- une plateforme pédagogique, dans lequel l’enseignant gère des ressources, des devoirs, des évaluations, dans un cadre offrant davantage de souplesse, mais dans la limite des fonctionnalités prévues,
- un espace de liberté et d’initiative, dans lequel les contraintes viennent du métier et non des choix techniques d’une administration.
Pas simple à mettre en place ce 3° niveau : il faudrait donner la possibilité à l’enseignant de créer lui-même des cours, des espaces de partage, de publication dont il assumerait la responsabilité. C’est carrément utopique, et cela ne concernerait qu’une petite minorité d’enseignants.
Certes, mais tant qu’on ne saura pas, au moins s’en approcher, les enseignants les plus moteurs, ceux qui savent déjà que le numérique transforme la façon d’enseigner, créeront leurs espaces ailleurs que dans les ENT. Bref, ils resteront des marginaux et nous continuerons à nous plaindre que vraiment, les enseignants n’arrivent pas à se mettre au numérique.
Billet issu et remodelè d’un billet paru sur onef.fr/blog
Dernière modification le samedi, 10 janvier 2015