sont moins de 2 % à avoir recours à leur inspecteur en cas de difficulté — très précisément, la question évoque les aspects pédagogiques liés à l’« utilisation » du numérique dans l’enseignement. Les guillemets sont de moi, les enquêteurs ne pouvant s’empêcher de mettre des outils là où il n’y en a pas forcément.
Deux pour cent ! Cette enquête ne concernant que le second degré, il s’agit des IPR-IA ou des IEN de l’enseignement technique.
Deux pour cent ! Pour quelles raisons ?
Bien entendu, la question n’est pas posée dans l’enquête en référence. Si j’en crois les documents présents en ligne sur le site du ministère, ces tâches de conseil et d’animation pédagogique sont pourtant pleinement de leur ressort, que cela concerne les inspecteurs du second ou du premier degré. C’est écrit de manière très précise dans leurs lettres de mission.
On peut néanmoins essayer de formuler quelques hypothèses pouvant expliquer le fait qu’on ne les sollicite que rarement à ce sujet :
- il est souvent très difficile de les joindre directement, très peu d’entre eux acceptant — si, si, c’est vrai ! — de communiquer leur adresse académique professionnelle de courriel, préférant qu’on les joigne par téléphone via leur secrétariat ;
- ceux d’entre eux qui ont affiché ou communiqué leur adresse de courriel ne répondent que rarement à des questions directes posées par cette voie ;
- l’inculture numérique étant très importante chez les cadres pédagogiques — si, si, c’est vrai aussi, même si, bien entendu, elle n’est pas générale —, ces derniers préfèrent renvoyer ces questions incongrues à des « experts » ou conseillers pédagogiques spécialisés qu’ils ont désignés et qui sont généralement débordés ;
- il n’est pas dans les gènes de l’encadrement pédagogique de communiquer voire, pire !, d’échanger de manière horizontale avec les professeurs car il n’est de bonne communication institutionnelle que verticale, du haut vers le bas, cela va de soi ! ;
- conseiller, animer, cela s’apprend ; or les corps d’inspection n’ont été que rarement formés pour ce faire, ni en formation initiale ni en formation continue ;
- enfin, et c’est à mon avis la raison principale, quand on est professeur et qu’on veut avancer sur le sujet, demander des conseils à son inspecteur, c’est à la fois se placer dans une posture difficile et, quand il s’agit du numérique, porteur d’innovation, c’est prendre un risque considérable à la fois pour la mise en œuvre de son projet comme pour la poursuite de sa carrière.
Par ailleurs, les inspecteurs, IPR ou IEN, sont fort occupés par des tas de missions académiques fort importantes, personne n’en doute, qui les empêchent de mener à bien ces tâches de terrain si peu gratifiantes. Pourquoi s’embêter à animer la réflexion pédagogique avec une équipe d’école ou de collège alors que la participation, au même moment, à un groupe de réflexion ou de pilotage académique, en présence du recteur, du DASEN ou des membres de leurs cabinets, peu importe, peut être autrement plus importante pour la carrière ?
Changer l’approche et les postures
Les cadres pédagogiques ne peuvent plus maintenant se contenter de relayer de loin, de très loin, la politique du ministère pour « faire entrer l’école dans l’ère du numérique ». Le repérage des « usages » innovants, leur valorisation, leur promotion, leur mutualisation ne suffisent pas. Il est maintenant indispensable de s’engager, de manière confiante et résolue !
Pour ce faire, il faut maintenant donner tout leur sens à ces missions d’animation pédagogiques des groupes d’enseignants. Ces derniers sont de véritables communautés, d’étonnants microcosmes comme j’ai coutume de le dire ici, avec leurs règles propres de fonctionnement et de partage des connaissances. Le numérique permet justement maintenant de mieux mutualiser et valoriser les initiatives de terrain, comme il permet aussi de mettre du lien entre ces microcosmes épars et distants.
C’est le rôle de l’inspecteur de circonscription, au premier degré, de l’inspecteur pédagogique au second, de se transformer maintenant en animateurs de communautés en ligne, constituées des professeurs dont il ont la charge.
Animer une communauté en ligne, c’est :
- repérer les membres moins actifs, susciter leur participation, valoriser leur prise d’initiative et leur capacité à partager ;
- se transformer en chef d’orchestre pour mettre en musique la réflexion pédagogique ;
- participer, dans les groupes de travail collaboratif en ligne, de pair à pair, d’égal à égal… ; rappelez-vous, sur Internet, personne ne sait que vous êtes un cadre (2) — je sais, ça fait drôle, surtout au début… ;
- proposer sur des plateformes de formation — M@gistère devrait convenir à ça mais il existe bien d’autres possibilités — des parcours adéquats aux groupes qu’il faut animer, travailler avec les participants à la co-construction de leurs savoirs et la co-évaluation individuelle et collective de l’acquisition de nouvelles compétences.
Pas simple, n’est-ce pas ?
La transformation attendue des modalités d’enseigner, à l’ère du numérique, se fera à raison de l’évolution de la traditionnelle et immémoriale posture magistrale. Il va de soi que ces évolutions seront nécessairement précédées de semblables modifications posturales des corps d’inspection. Ce sont toutes des conditions sine qua non de la mise en marche de l’école numérique. Et, l’avez-vous remarqué ?, on n’a pas beaucoup parlé d’outillage…
Ça prendra combien de temps ? D’après vous ?
Michel Guillou @michelguillou
1. Numérique éducatif : plus d’1 prof sur 2 n’est pas convaincu ! http://www.culture-numerique.fr/?p=1428
2. Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un cadre http://www.culture-numerique.fr/?p=487