Le 16 novembre 2023, Le CICUR et son groupe de travail « Politique(s) curriculaire(s) » organisait une première journée en vidéoconférence de son séminaire filé 2022-2023. J'ai pu y assister et je rapporterais deux témoignages concernant l'accès à la voie professionnelle ailleurs.
Petit rappel de notre situation en France
Jusqu'en 59, la progression de l'élève dans sa scolarité du secondaire est gérée par une circulaire concernant le passage en classe supérieure datant de 1890 dont j'ai souvent parlé. Elle est caractérisée par le fait qu'elle attribue aux enseignants et au chef d'établissement le pouvoir de vie et de mort institutionnelle de l'élève sur la base d'épreuves trimestrielles et de leur notation : il passe, il redouble, il est remis à sa famille.
Avec la réforme de 1959, les formations professionnelles sont intégrées au secondaire, la question non plus seulement du passage en classe supérieure, mais celle de l'orientation dans un système se pose, et des procédures d'orientation apparaissent, reprenant pour commencer l'ancienne forme de la circulaire, puis celle des « nouvelles procédures d'orientation » de 1973[2].
Aujourd'hui, après de longues évolutions, le pouvoir décisionnaire en matière d'orientation, apparemment partagée entre la famille et l'établissement, reste pour l'essentiel du côté de l'établissement[3]. Et surtout la procédure d'orientation reste une évidence totalement intégrée dans le fonctionnement de notre système scolaire. Or ce pouvoir institutionnel sur l'élève n'est pas aussi partagé dans le monde, et ce séminaire a présenté deux exemples, bien divergents.
En Italie
Arduino SALATIN, de l'Institut Universitaire Salésien, Venise, a présenté la réforme de 2017. Si on s'en tient à la structuration du système, les situations française et italienne sont proches. Après une formation commune des élèves, il y a une différenciation de celle-ci en trois voies, professionnelle, technique, et générale. La réforme présentée concernait essentiellement celle des instituts professionnels, gérés localement par les régions, et assez autonomes quant à leur fonctionnement. Mais l'État italien, pour des raisons économiques, a restructuré les champs de formations et le temps de formation, et en développant le temps en entreprise[4]. Des questions de « valeur » des diplômes ont été évoquées, car l'organisation des examens est locale.
Mais ce qui nous intéresse est la question de l'accès. Qui contrôle l'accès à ces formations ? Les familles. Et c'est, semble-t-il, une évidence en Italie, mais qui a des conséquences, cette voie est de moins en moins envisagée, la réforme recherchant également à contrer cette pente, et sans y réussir, disait l'intervenant.
Roger-François Gauthier, dans le chat a posé une question à Arduino Salatin. « Le fait qu'en Italie n'existe pas de « décision d'orientation » envoyant les élèves dans le professionnel à la fin de la scuola média, mais laissant la priorité à leurs choix libres lui semble jouer quel jeu dans le positionnement symbolique et social des études professionnelles. » Malheureusement le temps a empêché la réponse. Mais remarquons : la question porte sur « le positionnement symbolique et social des études professionnelles » et non sur l'absence des procédures.
En Ontario
Françoise BOUGAEFF, proviseure adjointe d'un établissement français à l'étranger en Ontario (Canada) a fait une présentation détaillée du système tout en pointant les différences organisationnelles et culturelles avec la France.
Là encore on trouve l'existence d'un temps scolaire commun correspondant approximativement à notre primaire plus collège. Mais la grande différence concerne la suite. Pas de voies différenciantes, diversifiées et surtout séparées. La suite est une offre modulaire avec choix libre d'options de natures très diverses (préprofessionnelles, « générales », ou de diverses « compétences »[5].
On est là dans l'exemple d'un lycée unique après une formation commune, la différenciation se faisant selon le choix libre. Les remarques d'ordre culturel, rapportées par Françoise BOUGAEFF, montrent bien une inversion quant au pouvoir de jugement. L'institution n'a pas à juger de l'élève. L'institution est dans un rapport de service à et non de pouvoir sur. Remarquons enfin que le diplôme final (unique, sans signes de particularités) est acquis sur la base de l'obtention d'un nombre de crédits validés en cours de formation et non pas évalué par un examen final avec calcul de moyenne...
La notion d'orientation a ici un tout autre sens, il s'agit bien du processus de développement et de choix de la personne.
Ces deux exemples montrent d'autres chemins possibles pour une réforme de notre système scolaire. Mais la question culturelle est flagrante. Pourquoi, en France l'autorité institutionnelle de l'école sur l'élève (notation, orientation, examen) est-elle aussi évidemment acceptée ?
Bernard Desclaux
[1] https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2022/10/20/la-voie-professionnelle-une-affaire-detat/
[2] Voir l'historique de cette évolution dans mon livre. Desclaux Bernard, Orientation scolaire : les procédures d'orientation. Mises en examen. Quel débat dans une société démocratique ? Préface de Claude Lelièvre, L'Harmatan, 2020.
[3] Voir ma conférence au GREO « PEUT-ON SE PASSER DE PROCÉDURES D'ORIENTATION (SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE) DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE ? » https://www.youtube.com/watch?v=phnwUb3i2n8&t=2s
[4] Y aurait-il des rapports avec notre réforme envisagée ne France ?
[5] Pour une idée plus précise, voir la page « Curriculum » https://www.dcp.edu.gov.on.ca/fr/curriculum#secondaire et parmi ces curriculum, celui-ci : Orientation et formation au cheminement de carrière https://www.dcp.edu.gov.on.ca/fr/curriculum/secondaire-orientation-et-formation-au-cheminement-de-carriere
Article publié sur le site : https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2022/11/17/lacces-a-la-voie-professionnelle-ailleurs/
Bernard Desclaux