Le Président de la République a assimilé la crise due à la propagation mondiale du Covid 19 à une guerre. Or, un des traits caractéristiques de toute guerre est d'agir comme un accélérateur de mutations diverses, venant bousculer l'ordre ancien, et le transformer. Outre le fait que certaines mutations auxquelles nous assistons ne se seraient peut-être pas produites sans que cette guerre ne se déroule, il semble évident que la plupart d'entre elles ne seraient apparues que dans un temps beaucoup plus long. C'est vrai pour le système scolaire comme pour l'ensemble de la société.
Concernant le système scolaire, les acteurs de terrain ont été contraints dans l'urgence de trouver des réponses aux défis auxquels ils ont brusquement été confrontés. Pour cela, il a fallu et il faut encore inventer de nouveaux outils, des méthodes pédagogiques innovantes, des nouvelles répartitions des tâches éducatives entre les diverses parties prenantes du processus éducatif, maintenir le lien avec les élèves et leurs parents dès lors que tout ou partie des enseignements ont dû se dérouler dans le cadre du domicile familial, modifier les modalités d'évaluation, lutter contre le risque de décrochage ... Indéniablement, on assiste à un grand chambardement !
Une très remarquable mobilisation des enseignants pour maintenir la continuité pédagogique et ne pas laisser la plaie du décrochage se répondre chez leurs élèves.
Malgré quelques défaillances individuelles, les enseignants ont globalement et généreusement donné de leur temps, bien au delà des obligations de services horaires fixées par la réglementation officielle. Grâce à cette mobilisation, sauf dans quelques rares cas particuliers, ils ont su maintenir la nécessaire continuité pédagogique, et donc un lien social avec l'école, condition pour limiter fortement le risque de décrochage. Ils l'ont fait par la mise en ligne de leurs cours, par des échanges télématiques et/ou téléphoniques avec la plupart de leurs élèves, et même parfois avec leurs parents, et ce en dépit de leur manque de préparation, de leurs réserves à l'idée de voir certaines évolutions se mettre en place, de la "fracture numérique" qui rendait particulièrement difficile ce transfert d'activité éducative vers le domicile de certaines familles, des bugs informatiques venant trop fréquemment contrarier la bonne marche des choses, et des risques sanitaires encourus. Bien plus : ils ont dû accepter le principe d'une évaluation des élèves reposant quasi intégralement sur le contrôle continu, ce qu'une majorité d'entre eux et la plupart de leurs organisations syndicales refusaient jusque-là.
La crise du système éducatif a rappelé qu'enseigner est un vrai métier.
L'art de la "translation didactique" ne saurait s'improviser. On le savait avant cette crise, on le sait encore plus aujourd'hui. Chacun a bien compris que pour convenablement enseigner un programme disciplinaire, il faut le dominer, ce qui, sauf exception n'est pas ou trop peu à la portée des parents. Passe encore pour un parent d'élève qui a besoin d'accompagner son enfant sur le programme de mathématiques de la classe de CM2, mais comment faire lorsqu'il s'agit de celui de l'enseignement de spécialité de mathématiques de la classe terminale générale ? Quid des compétences nécessaires pour le très difficile apprentissage de la lecture ? Des pans entiers du savoir que des professeurs de métier font quotidiennement apprendre en présentiel dans le cadre scolaire, ne peuvent l'être qu'imparfaitement dans le cadre de l'école à la maison.
Si l'école de demain s'ouvre à ce qu'une partie des enseignements se fasse à distance, il faudra qu'une ample réflexion pédagogique ait lieu de façon à ce que cette façon d'enseigner soit autre que celle qui a été consacrée pour l'enseignement en présentiel.
Il faut aussi remercier les équipes de direction qui ont su maintenir la continuité administrative et pédagogique sans laquelle le système se serait probablement effondré.
Malgré le risque de contamination encouru sur des lieux de travail qu'elles ont continué d'occuper quotidiennement, les équipes de direction ont permis que soit maintenu la nécessaire continuité administrative et pédagogique, au service des élèves et de leurs parents. Pour cela, elles ont su mobiliser les personnels (enseignants, d'éducation, agents techniques et de service ...) et agir de telle sorte que le navire "éducation nationale" ne coule pas. Cela a en particulier permis que le lien entre l'école et ses usagers d'une part, entre l'école et les diverses catégories de professionnels qui y exercent d'autre part, ne se relâche pas ou pas trop. C'est sans nul doute une des contributions les plus fortes ayant permis d'empêcher que la plaie du décrochage scolaire ne se répande plus que ce n'est le cas.
Cela a été permis en grande partie par le dévouement des équipes de direction, mais aussi par les marges de liberté d'initiative dont elles disposent depuis la parution des lois de décentralisation de 1985, et de plusieurs autres depuis. Comme le fait remarquer l'Inspection générale dans son rapport annuel de 2019, en dotant les établissements scolaires publics du statut d'EPLE (établissement public local d'enseignement), et en donnant naissance au corps des personnels de direction, on a doté ces derniers d'une capacité de prendre localement, et donc rapidement, toute une série de décisions qui ne pouvaient auparavant être prises que par les autorités académiques ou nationales. Cela est encore plus vrai dans le cas des établissements scolaires privés sous contrat qui, du fait de leur caractère spécifique, bénéficient encore plus de ces marges d'autonomie. Tous ont ainsi pu exprimer leurs capacités de réactivité face aux conséquences néfastes du Covid 19, et ajuster leurs actions aux conditions locales de cette crise.
Cette crise aura permis de remettre en avant le débat sur la question de l'autonomie des établissements scolaires, et en particulier de l'autonomie pédagogique, nettement moins avancée que l'autonomie administrative. Rejoignant certains constats fait par l'Inspection générale dans son rapport pré cité, la capacité de réponses aux défis provoqués par l'épidémie sur le monde scolaire aurait pu être plus grande si l'autonomie des établissements scolaires français avait été ne serait-ce qu'à la hauteur de ce qui existe d'ores et déjà dans une majorité de pays européens. Il faudra en tenir compte pour l'école de l'après Covid 19.
Cette crise a permis de mettre en lumière l'importance de ce que nous nommons la "vie scolaire".
La "vie scolaire" est constituée par l'ensemble des activités éducatives qui se déroulent hors les murs de la classe, mais en lien avec l'établissement scolaire fréquenté : vie associative, actions collectives diverses (sportives, culturelles, artistiques, associatives, citoyennes...), élection des délégués des élèves de chaque classe, sorties et voyages éducatifs, apprentissage du "vivre ensemble", réduction des risques de harcélement, violence ou délits en milieu scolaire, aide à l'accompagnement des projets d'orientation des élèves, etc. Placée sous la responsabilité chefs d'établissements, la "vie scolaire" est, dans chaque établissement, confiée aux conseillers principaux d'éducation (CPE) et à leurs équivalents dans les établissements scolaires privés. Indéniablement, la "vie scolaire" est un élément fondamental de la nécessaire continuité éducative qui doit relier l'école à ses usagers, ansi qu'un indispensable outil au service de l'intégration scolaire et donc sociale des élèves. Les liens qu'elle tisse quotidiennement s'étant brusquement distendus, on a pu mesurer par défaut combien cette action de tous les instants, peu fréquemment mise en lumière dans les périodes habituelles, est importante. On a par exemple pu bien mesurer que son effacement relatif explique en partie le décrochage scolaire d'un trop grand nombre d'élèves.
La contribution de l'école à la construction de la personnalité d'un jeune ne se limite pas à l'acquisitions de connaissances et compétences disciplinaires. L'école est supposée doter les jeunes qui lui sont confiés de bien plus que cela.
Développer chez eux des capacités de type comportemental, telles que le savoir vivre en collectivité, le sens de l'organisation, l'esprit d'initiative, l'aptitude au travail en équipe, la prise de parole en public, l'acquisition de l'esprit critique, l'art de la synthèse, être capable d'écoute d'autrui, avoir le sens de l'intérêt général, de l'estime de soi ... C'est ce que les anglo-saxons nomment "soft skills" (compétences comportementales), de plus en plus prises en compte lorsqu'un élève ou étudiant doit présenter son bilan général en vue de franchir un obstacle tel que la sélection à l'entrée d'une formation supérieure. Mais bien au delà d'un objectif purement scolaire, il s'agit de permettre aux jeunes scolarisés de mieux s'intégrer dans le monde qui les entoure. L'enjeu est donc de toute première importance. L'école n'a certes pas le monopole de cette conception large de l'éducation. Elle la partage avec d'autres instances sociales , tout particulièrement avec les familles. C'est cependant pour elle une mission fondamentale.
Toutes les enquêtes et reportages de presse faits auprès des jeunes élèves ou étudiants sur leur "vécu" de leur distanciation par rapport à l'école durant la crise du Covid 19, aboutit au constat que ce dont ils se plaignent le plus c'est de la perte des liens sociaux que leur offre habituellement le cadre scolaire : les contact avec les "copains/copines", les jeux, les activités collectives, et bien d'autres possibilités de contact avec d 'autres...constituent indéniablement un ensemble de choses qui permettent aux jeunes de se construire en tant que personnes, et de se socialiser.
Il faudra se souvenir de tout cela dans l'école de l'après Covid 19, et donc donner à la "vie scolaire" les moyens de mieux remplir cette très importante mission qui est la sienne.
- Reste la question de savoir si le fait d'avoir dû, pendant un temps relativement long, transférer vers le domicile familial une grande partie des enseignements, ne va pas conduire, en sortie de crise, à maintenir pour partie cette façon d'enseigner ?
L' école de l'après Covid 19 sera-t-elle "hybride", partagée entre des enseignements "à distance", et d'autres "en présentiel" ou reviendra-t-on à l'école d'avant, lorsque la quasi totalité des enseignements se faisaient en présentiel ? Certains - peu nombreux en vérité - pensent que l'on aura très probablement une école dans laquelle les élèves recevront une large majorité de leurs enseignements en présentiel, mais aussi une partie minoritaire des cours qui se feront à distance. Selon eux, "le pli est pris" : des équipements ont été acquis, les professeurs ont ou auront sous peu bénéficié de formations leur permettant de mieux enseigner ainsi ...
Cependant, cela se heurte au fait qu'une large majorité des élèves et des parents vivent mal ces périodes durant lesquelles on transfère tout ou partie de l'école vers les domiciles familiaux et souhaitent en revenir au "tout présentiel" ("l'école à l'école"). Ce transfert vers le domicile familial est très majoritairement vécu de façon négative.
Les raisons de ce diagnostic sont désormais connues : difficultés d'organisation, réduction - et parfois suppression - du lien pédagogique avec l'école et ce malgré de gros efforts collectifs pour qu'il se maintienne, bouleversement des rythmes de vie familiaux, difficultés fortement ressenties par la plupart des parents pour mener de pair une double vie scolaire et professionnelle, insatisfaction provoquée par l'enseignement à distance...
Très majoritairement, la préférence des parents d'élèves porte vers un retour sur l'école d'avant le Covid 19 : l'école à l'école ! Du côté des enseignants, on rejoint très largement cette même position.
Cependant, il existe dans quelques établissements scolaires une tentation de certains enseignants et dirigeants de passer à une offre d'enseignement qui se ferait en partie à distance. C'est notamment le cas du côté de l'enseignement supérieur où cela existait parfois avant la crise. Certains professeurs de l'université considèrent que le pire est dans le présentiel tel qu'il se déroule dans les "grands amphis" bondés et mal encadrés, ce qui est hélas la norme en premier cycle des licences simples non sélectives.
Ils souhaitent que naisse un système d'offre d'enseignement "hybride", fait d'une majorité de cours en présentiel, de préférence en groupes à effectifs réduits, et d'une minorité de cours qui se feraient à distance. Même point de vue dans certaines grandes écoles et écoles spécialisées, mais pour d'autres raisons : la volonté d'assurer la continuité pédagogique pour un public étudiant fréquemment absent des locaux de l'école (stages, séjours à l'étranger, vie associative ...), mais aussi la quête de gains de productivité dans la mesure où le coût de la formation par tête est moindre lorsque les cours ont lieu à distance. Cela serait facilité par le fait qu'à la différence des élèves scolarisés dans le secondaire ou le primaire, ceux de l'enseignement supérieur sont en général nettement plus autonomes. Notons cependant qu'en large majorité, les élèves et leurs parents se déclarent opposés à un tel changement.
Conclusion :
Il semble possible de prédire que l'école de l'après Covid 19 ressemblera très fortement à celle d'hier. Les forces sociales qui demandent un large retour de "l'école à l'école" (une large majorité des élèves et étudiants, des familles, des enseignants...) semblent l'emporter sur celles qui s'ouvrent à l'idée qu'une plus ou moins large part des enseignements se fassent désormais à distance. Cependant, il est possible qu'une une forme hybride d'enseignement se développe dans un nombre significatif d'établissements supérieurs avec une part probablement minoritaire d'enseignements à distance, et corrélativement, un renforcement des liens entre l'établissement de formation et ses étudiants.
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Bruno MAGLIULO
Dernière modification le mercredi, 12 mai 2021