Or, l’enseignement, même sur les campus, n’a pas beaucoup évolué, ont reconnu les intervenants d’une journée de conférence, sur le campus d’Harvard, consacrée à l’enseignement et à l’apprentissage, rapporté par Dan Berret pour The Chronicle of Higher Education.
Vidéo : le reportage sur la journée proposé par l’université d’Harvard.
Trop souvent, les membres du corps professoral enseignent par habitude, a déclaré Carl E. Wieman, prix Nobel de physique et directeur associé du Bureau des politiques scientifiques et technologiques de la Maison Blanche, qui a profondément étudié la manière d’améliorer l’enseignement des sciences, notamment via son initiative pour l’éducation de la science. "Nous devons arrêter d’enseigner depuis notre instinct et prêter attention à ce dont nous avons la preuve qu’il fonctionne", a-t-il expliqué. Selon lui, le problème provient en grande partie du fait que les études universitaires ne dispensent pas de formation sur la manière dont les élèves apprennent. Lorsque les étudiants des cycles supérieurs deviennent membre du corps professoral, ils savent réfléchir sur les contenus qu’ils veulent que les élèves apprennent, mais pas sur comment développer les capacités cognitives nécessaires pour atteindre ces objectifs. Ce qui nécessite d’être doublement expert, prévient Carl Wieman. De telles approches exigent beaucoup plus à la fois des étudiants comme des professeurs et sont à mille lieues de la forme de cours classique, celle des cours magistraux où les étudiants s’assoient pour recevoir passivement l’information.
Cette conférence était la première pierre à une nouvelle initiative que lance Harvard, un projet de reconstruction des classes et de financement d’idées innovantes pour l’éducation. Le fait que la prestigieuse école d’Harvard s’intéresse à ce sujet - nombre d’intervenants se sont inquiétés de la croissance des fournisseurs de contenus pédagogiques en ligne en ligne à but lucratif - indique une préoccupation croissante, même des institutions les plus élitistes, sur le fait que l’expérience en classe n’est pas forcément ce qu’elle devrait être. Pour l’une des mécènes, l’on peut constater qu’il y a une rupture fondamentale dans la façon dont les élèves apprennent aujourd’hui, et il est essentiel qu’Harvard soit à la pointe de cela.
L’enseignement traditionnel est façonné par des idées fausses et préconçues, qu’il répète. PourClayton M. Christensen, professeur en administration des affaires à la Harvard Business School, le niveau de curiosité des étudiants a diminué depuis 20 ans. Mais surtout, alors que l’enseignement supérieur a longtemps été immunisé aux perturbations du fait d’une concurrence maîtrisée, le développement de l’apprentissage en ligne qui permet à des fournisseurs de contenus d’accéder à ce marché, risque de profondément bouleverser le secteur. Dans un article publié sur Harvard Magazine, il expliquait déjà combien le modèle d’affaire de l’enseignement supérieur américain était en crise. Près de 10 % des élèves américains recevaient au moins un cours en ligne en 2003 : ils étaient près de 30 % à l’automne 2009. Pour Christensen, l’éducation est ligne s’apprête à transformer l’apprentissage, en développant l’évaluation et la personnalisation.
Pour l’instant, constate-t-il beaucoup de promesses de l’enseignement en ligne n’ont pas encore été tenues. Si l’enseignement en ligne permet aux élèves de suivre les cours de manière plus flexible, ces systèmes n’ont pas encore vraiment conduit à une baisse des prix de l’éducation, quand bien même ils permettraient à plus d’élèves de les suivre et quand bien même ils coûteraient bien moins chers aux universités que les programmes en présentiels. Beaucoup d’enseignement en ligne peine encore à tirer profit de la personnalisation que permettent ces outils et à créer de nouvelles dynamiques d’apprentissage. Il n’en reste pas moins que nous sommes là confrontés à une innovation de rupture forte, rappelle ce spécialiste de l’innovation. Selon Christensen, il est nécessaire d’embrasser cette rupture, car c’est dans ces évolutions incrémentales que vont s’inventer les formes nouvelles permettant d’évaluer la qualité de l’enseignement fourni, stimuler l’amélioration des résultats des élèves et réduire les coûts globaux.
Il nous faut comprendre comment on apprend
Plusieurs intervenants ont décrit combien les approches pédagogiques traditionnelles étaient inefficaces. Le cours magistral, conçue pour transférer de l’information entre professeurs et élèves par exemple, est loin d’accomplir pleinement cette tâche, même limitée, estime Eric Mazur, professeur de physique à Harvard. La conférence met en place une dynamique dans laquelle les élèves reçoivent passivement des informations qu’ils oublient rapidement alors qu’ils pensent les savoir. "Ils ne sont pas confrontés à leurs idées fausses. Ils sortent avec un faux sentiment de sécurité." Le cours magistral traditionnel échoue également à fourbir d’autres objectifs éducatifs : permettre aux étudiants de faire sens de ce qu’ils apprennent, poser des questions, extraire des connaissances pour l’appliquer à d’autres contextes, etc.
Beaucoup de professeurs ont reconnu qu’ils avaient eux-mêmes beaucoup d’idées fausses sur l’apprentissage. Mahzarin R. Banaji, professeure de psychologie, a même dénoncé certains mythes, comme celui qui voudrait que certains étudiants apprennent mieux visuellement, d’autres mieux par l’écoute ou d’autres par le geste. "C’est une idée intuitivement séduisante, mais qui n’a aucune base scientifique". Un autre professeur de psychologie de l’université Washington à St Louis, Henry Roddy III Roediger, a étudié "l’effet test". En effet on estime communément que l’évaluation est indépendante de l’apprentissage qu’il vise à mesurer. Pourtant, le temps de l’évaluation est également un temps d’apprentissage, estime le psychologue. Dans une expérience, il a divisé une classe d’étudiants en trois groupes. Le premier devait retenir une liste de mots en huit fois sans aucun test. Le second devait étudier la liste six fois seulement et était évalué deux fois. Le dernier n’étudiait la liste que quatre fois, mais procédait à quatre évaluations. Deux jours plus tard, ils devaient se souvenir du plus de mots possible. Ceux qui ont subi 4 évaluations se souvenaient deux fois plus de mots que ceux qui n’avaient fait que potasser. "On apprend beaucoup plus à partir d’évaluations que depuis des lectures", explique-t-il, critiquant ses cobayes d’étudiants qui tentent d’apprendre leurs leçons en les soulignant et les surlignant plutôt que de se confronter à leurs connaissances.
Pourtant, tout le monde déteste les évaluations. Elles sont frappées du même dédain que ce soit par les professeurs comme par les étudiants. Les professeurs n’aiment pas en donner, les élèves n’aiment pas les faire, ce qui explique que nous faisons peu d’évaluations. Pourtant, "les évaluations fréquentes sont un moyen plus efficace pour retenir l’information que l’étude".
Il y a d’autres manières efficaces d’apprendre. Demander à un étudiant d’expliquer un concept ou les faire enseigner les uns aux autres le matériel qu’ils viennent d’apprendre sont des techniques efficaces.
L’écriture est bien sûr un outil pédagogique très efficace. Dans son cours d’histoire de la psychologie, M. Roediger demande à ses élèves de lui envoyer de cours essais avant chaque rencontre où ils doivent répondre aux questions posées par son cours précédent. D’autres professeurs qui utilisent cette méthode demandent parfois aux élèves d’identifier des questions en suspens ou des zones pertinentes de leurs cours que le professeur a laissés inexplorés. M. Roediger lit ensuite les essais à la classe et travaille avec les élèves via leurs commentaires.
Mais l’écriture n’est pas qu’un moyen de transmettre du contenu. Il s’agit d’une compétence de base que les membres du corps professoral espèrent transmettre à leurs élèves. Mais même dans ce domaine, l’enseignement échoue souvent, souligne le professeur de psychologie Steven Pinker. Les étudiants sont entrainés à écrire d’une façon jargonneuse qui obscurcit plus qu’elle ne révèle leurs idées. La pauvreté de l’enseignement et de l’écriture sont, selon lui, la première "malédiction de la connaissance".
Hubert Guillaud