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Initialement publié dans APPRENDRE AUTREMENT
 
Dans un billet précédant je décrivais le projet de faire une plongée dans un séminaire deSOL GLOBAL FORUM chaussé d’un casque de vélo sur lequel j’avais fixé une caméra grand angle. 
Muni d’une télécommande et d’un pointeur laser pour cadrer les plans, il s’agissait de capter sur le vif des photos ou des séquences d’images animées qui rendent comptent "de l’intérieur" du vécu d’un participant.
 
Un peu à la façon du film "Dans la peau de John Malkovitch", il s’agit de sentir un décalage et d’être présent aux évènnements et aux autres ’une autre façon d’être en relation et d’en matérialiser l’occurrence.
 
En quelques mots voici le retour que je peux faire. Tout d’abord, l’assistance dans laquelle je me mouvais été composé d’environ 400 personnes provenant d’une quarantaine de pays. Le forum était parfaitement organisé dans le magnifique bâtiment de la cité internationale universitaire de Paris. Les participants se définissaient comme "acteurs de changement" et venaient travailler 3 jours ensemble dans un contexte amical et d’échanges profonds sur la métamorphose. Une transformation de soi de l’intérieur, un accompagnement à la transformation organisationnelle et sociétale étaient visés. Peut être que cette envie partagée a facilité l’inclusion d’une attitude étrange dans un monde de séminaire ou de colloque, ou la posture d’explorateur aurait pu être mal perçue. Je me sentais un peu avec ma caméra sur la tête comme si j’avais un filet à papillon. Du reste une équipe de tournage traçait les moments forts pour les organisateurs.
 
En fait, j’ai senti un bon accueil à la démarche, même lorsque des questions personnelles ou graves étaient abordées en ma présence. Le fait de pouvoir déclencher une prise de vue (image ou vidéo) avec une seule main, de pouvoir saisir un instant fugace lors d’un accueil café ou d’un déplacement d’un atelier à l’autre. L’approche immersive que je poursuivais était bien réelle, en particulier dans les moments de travail en petits groupes ou d’exercices corporels en grands groupes. La curiosité des autres participants m’a même permis de nouer plus de contact que dans d’autres situations de séminaire où je pouvais passer inaperçu. J’ai du répondre à de nombreuses questions sur mes intentions, ce que je souhaitais faire des images. Un participant m’a emprunté le matériel lors d’une pause pour expérimenter la sensation d’être un observateur disposant d’un pouvoir de mémoire, pouvant se déplacer dans la foule et capter à loisir les émotions et les conversations. Nous avons échange sur nos expériences réciproques.
 
Plusieurs difficultés sont malgré tout survenues. Tout d’abord, il faisait chaud et j’ai dégouliné de sueur toute la journée. Ensuite j’avais prévu deux batteries avec une autonomie de 3 heures ce qui a limité la fluidité de mes prises de vue. Enfin, je n’ai pas filmé les séances plénières (il y avait une caméra professionnelle qui prenait tout, je ne voyais pas l’intérêt de capter des images). Dans les travaux en petits groupes, j’ai senti la gène d’un participant quand au pointage laser associé au système de visée de la caméra. Il m’a dit après coup qu’il s’était senti une cible. Un participant est venu me raconter l’histoire d’un testeur de google-glass qui s’était fait agresser, et qui avait vu ses lunettes brisées par un individu mécontent d’être scruté. Et un deuxième m’a abordé quand j’avais ôté mon attirail en me disant ironiquement "alors vous n’avez plus votre casque à pointe" (allusion aux casques des soldats prussiens de la seconde guerre mondiale). Le bouton marche/arrrêt sur la caméra donnait connaissance à chaque personne à proximité de l’état de marche de la caméra. Le moment de gène des autres participants a peut être été celui de la pause repas, là où chacun entend se relâcher et se détendre complétement.
 
En conclusion j’ai trouvé cette expérience amusante, si techniquement, elle n’apporte pas un réel plus (limite des capacités de la batterie, inconfort du poids et de la chaleur), elle m’a permis de faire une plongée dans le rapport à l’autre avec la médiation bien visible d’un instrument. L’acceptabilité sociale du regard de l’autre sur soi, et de soi sur les autres se cristallise par le rapport à un objet médiatisant. La seule chose qui change vraiment dans la relation à l’autre c’est les usages d’une trace, les intentions cachées, le fantasme d’un pouvoir sur l’autre ou d’une diminution de son image.
 
Il me reste la question de l’exploitation des images (plus de 3 heures), et du montage d’une vidéo qui apporte du sens à l’expérience. 
 
Que donnera demain le déploiement des google-glass, lorsque l’image sera diffusée en direct sur internet, ou que des informations sur l’autre seront immédiatement disponibles simplement en croisant son visage ? Sommes nous un peu à la veille de redécouvrir la sensation des premiers photographes qui "volaient" des images, et parfois pouvaient recevoir de l’hostilité à cet égard ? Commenet va évoluer le doit à l’image ? Saurons nous inventer des usages pertinents ? Quel sens pédagogique peuvent avoir des images captées à la volée ? Si je me fie à une enregistrement vidéo, que me restera t-il en mémoire ? Est-ce que je ne risque pas de perdre une faculté d’être présent ici et maintenant, sachant que j’ai le pouvoir de graver par le film et l’image les sensations ? Cette augmentation de mon pouvoir de mémoire et de ressentir en temps différé, cette suppléance cognitive, ne produit-il pas un décalage avec moi-même ? Une dissociation ? A un moment où l’on évoque un humain augmenté, il me semblerait utile de débattre de ces questions en profondeur et de leurs répercussions sur la pédagogie.
 
Dernière modification le lundi, 29 septembre 2014
Cristol Denis

Directeur Innovation et Développement APM (Association pour le Progrès du Management)
Chercheur associé Paris Ouest Nanterre