L’éducation paraît partout en crise. Les plus grandes écoles se posent des questions non seulement sur l’avenir de l’éducation, mais également sur comment apprendre à l’heure des nouvelles technologies. Comme si leur intégration nécessitait de reposer en profondeur la question de l’apprentissage dans une société qui nous semble toujours plus complexe.
Pourtant, les résultats de l’informatisation à l’école n’ont pas été forcément ceux attendus : comme le soulignait l’année dernière Matt Richtel dans sa série pour le New York Times. Là où il s’est installé, le numérique n’a pas eu d’effet majeur sur les résultats scolaires des élèves. Partout, son intégration pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses.
Quand la question économique prime sur la réponse éducative
Nicholas Negroponte, le fondateur du Media Lab du MIT et le promoteur du programme OLPC allait récemment, dans une tribune pour la Technology Review jusqu’à défendre l’apprentissage sans école.
Dans le cadre d’une expérimentation menée en Ethiopie, un pays où la structure scolaire est quasiment inexistante, la fondation OLPC a prêté à des enfants ne sachant pas lire, vivant dans une région sans écoles ni professeurs, des iPad chargés de contenus (et dotés de batteries solaires pour être rechargés)… pour constater (comme l’avait constaté avant lui en Inde Sugata Mitra avec son expérience un trou dans le mur) que les enfants non scolarisés, mais outillés étaient capables de se débrouiller seuls pour apprendre. “Pouvons-nous apprendre à lire à 100 millions d’enfants plus rapidement [et pour moins cher, NDT] que nous le ferions en bâtissant des écoles et en formant des professeurs ? (…) Si les enfants d’Ethopie apprennent à lire sans école, qu’est-ce qu’ils nous disent des enfants de New York qui n’apprennent pas à lire, même avec des écoles ?”
Quand bien même les enfants montreraient qu’ils sont capables d’apprendre à lire par eux-mêmes, est-ce que cela peut justifier de remplacer des politiques éducatives “en dur” par des tablettes ?
La radicalité du propos de Nicolas Negroponte s’explique peut-être par l’échec relatif de l’OLPC. Lancé en 2005 et malgré plus de 2,5 millions d’ordinateurs livrés aux enfants de plus de 40 pays (pour l’essentiel des pays en développement), l’OLPC n’a pas fait la démonstration de son efficacité. Une étude indépendante (.pdf) menée par cinq économistes de la Banque interaméricaine de développement soulignait, début 2012, qu’au Pérou par exemple, le déploiement massif d’OLPC n’avait pas eu les effets escomptés. Après plusieurs années de déploiement, les résultats des élèves n’ont pas été transformés par l’usage de l’informatique.Si la distribution des ordinateurs a eu un effet positif sur les compétences cognitives des élèves (particulièrement sur l’usage des ordinateurs), elle n’a pas eu d’impact significatif sur leurs connaissances scolaires, que ce soit en math ou en espagnol. La conclusion qu’en tiraient les auteurs de l’étude IZA c’est que l’ordinateur seul ne suffit pas à relever le niveau, s’il n’est pas accompagné d’une formation des professeurs et d’une meilleure intégration dans les programmes scolaires.
Mais Nicholas Negroponte a pu faire une autre lecture de ce mauvais bilan. Finalement, si le programme OLPC a eu un impact limité, c’est peut-être parce que les professeurs n’ont pas suffisamment intégré les capacités de ces machines dans leurs enseignements. Pour lui, visiblement, c’est la structure de l’école plus que la machine qui est en cause. Certes, là où il n’y a rien, un ordinateur est une meilleure réponse que le vide. Mais est-ce une réponse bien structurante ? Certes, livrer des ordinateurs ou des iPad coûte moins cher que de payer des professeurs et bâtir des écoles, mais pour quelle pérennité éducative ? J’ai bien peur que Nicholas Negroponte, sous des dehors altruistes, se fourvoie. En tout cas, il piétine les objectifs d’une éducation pour tous promus par l’Unesco depuis nombre d’années, pour qui il n’y a pas d’éducation sans écoles, sans enseignants, sans construction d’une structure éducative adaptée.
A défaut de faire la démonstration de leur apport éducatif, cet exemple montre bien que la question économique est au coeur de la question scolaire et que plus que renouveler l’apprentissage, les nouvelles technologies remettent en question l’économie même de l’éducation… Les TICs offrent une solution d’apprentissage qui n’est pas plus parfaite que l’éducation traditionnelle, mais qui risque bien de déstabiliser en profondeur le modèle scolaire que nous connaissions jusqu’alors, en proposant une offre censée être plus économique (même si Matt Richtel, encore, a montré que les économies n’étaient peut-être pas aussi évidentes que les tenants de l’électronique à l’école l’affirmaient : voir “Education et nouvelles technologies : y croire ou ne pas y croire ?”).
Mooc : de nouvelles infrastructures éducatives ?