Le projet propose une deuxième rupture d’avec le modèle ancien des deux ordres (primaire et secondaire). Après la conception originaire du « côte-côte », puis la succession primaire-secondaire dans la séquence 59-75, dans laquelle nous sommes encore, Terra Nova propose la fusion entre les deux.
Je voudrais ici relever un point aveugle de ces propositions : le silence sur l’orientation.
Accords et désaccord
Je voudrais ici relever un point aveugle de ces propositions : le silence sur l’orientation.
Accords et désaccord
Je défends également cette école commune, ou école du socle, ou école obligatoire, ou école de base. Peu importe la dénomination. L’important sans doute est de considérer la continuité de l’enseignement obligatoire comme ayant pour objectif l’acquisition par tous les futurs membres de la société de compétences de base, considérées comme nécessaire pour vivre en société. C’est la fonction éducative de tout état : faire en sorte que ses membres puissent vivre ensemble et puissent s’adapter aux évolutions diverses.
L’organisation en formes successives avec les ruptures que signale le texte empêche l’atteinte de cet objectif. L’introduction indique : « Diverses études permettent de repérer deux causes principales de cette dérive : d’une part une ségrégation sociale et ethnique croissante entre les établissements, récemment accentuée par l’assouplissement de la carte scolaire ; d’autre part la triple rupture cognitive, pédagogique et éducative que représente le passage de l’école primaire au collège et le fonctionnement particulièrement inégalitaire de ce dernier, notamment par des processus de choix et d’orientation qui avantagent systématiquement les élèves socialement favorisés. »
« Le fonctionnement particulièrement inégalitaire » du collège est un fait, et on en connait les occasions : tous les détournements du collège unique qui se sont mis en place dès, et ce dès sa création. On peut rappeler le traitement du soutien, les classes dérogatoires (quatrième technologique, quatrième CPPN), les options, et plus « récemment », les classes européennes (voir le texte adressé aux recteurs CIRCULAIRE N°92-234 du 19-08-1992 (rectifiée) BOEN N°33 du 3-09-1992 lors de leur création). On peut rajouter dans cette liste, l’assouplissement de la carte scolaire. Toutes ces occasions consistant à diversifier l’offre de formation permettent surtout une répartition des élèves selon leurs niveaux de réussite scolaire. Et tout le monde y participe, élève, famille, enseignant, chef d’établissement. L’entre-soi arrange et apaise soi-disant.
Mais on peut se demander pour quelle raison existe cette diversification finalement hiérarchisante. Elle ne tient pas qu’à la « nature humaine » ! Cette diversification permet le classement, tout comme le système de la notation. Et ce classement n’est pas inhérent à la profession des enseignants du secondaire. Il est réclamé par un processus institutionnel : les procédures d’orientation.
Et il me semble que ce soit là le point d’aveuglement de ce texte : l’incompréhension des effets de ce processus sur l’organisation du système et les pratiques qu’il engendre.
La terra incognita
A part l’apparition du terme « orientation » dans l’introduction citée plus haut, nulle trace dans l’analyse de la situation faite par Terra Nova. Il faut attendre la page 17 (sur 26) pour voir apparaître le terme. Et dans quel contexte !
Dans cette deuxième partie, les auteurs écrivent : « Nous avons résolu d’examiner les différents domaines (culturel, institutionnel, pédagogique et budgétaire), où des difficultés de mise en œuvre sont prévisibles, et nous faisons des propositions susceptibles de les éviter. Ces propositions dessinent in fine une stratégie d’action vers une école obligatoire plus juste et plus efficace. » Et la dernière de ces propositions c’est le point 2-5 LE DOMAINE DE LA COMMUNICATION.
« Gagner la bataille de l’opinion est essentiel. Les forces conservatrices sont nombreuses, mais elles sont désunies : familles privilégiées favorables à l’entre soi social et à l’élitisme scolaire (voir le projet actuellement concocté pour elles par l’UMP) ; universitaires et lobbies disciplinaires confondant l’excellence académique et l’élitisme social, et méprisant la pédagogie ; front du refus syndical : SNES et ses alliés de droite et d’extrême gauche réunis sur des positions conservatrices et des revendications démagogiques purement quantitatives. Au travers de la continuité et de la cohérence de l’école obligatoire, c’est au fond toute la question du sens de l’école pour la population, de la confiance dans l’école qui se trouve soulevée. L’école commune est avant tout l’ambition de reconstruire cette confiance. »
On ne peut qu’approuver, un changement réel nécessite une adhésion des acteurs. Mais !
Mais c’est dans cette bataille qu’apparaît la question de l’orientation : « Donner aux familles davantage de pouvoir et de responsabilités dans les processus d’orientation ».
Penser l’évolution de l’orientation seulement de ce point de vue est bien décevant, et faire l’impasse sur le rapport entre « élitisme » et procédures d’orientation c’est rater un niveau d’analyse essentiel de notre système scolaire. C’est parce que le collège doit sélectionner les élèves, les orienter vers les voies de formations, générale et technologique d’un côté et professionnelle de l’autre, qu’il utilise les ruptures pour discriminer les élèves, que certains parents cherchent les meilleurs parcours, et que les enseignants du secondaire se focalisent plus sur l’évaluation des performances que sur l’acquisition des compétences, ils ne peuvent faire autrement.
Oublier dans un tel projet de supprimer les procédures d’orientation dans cette école commune, c’est finalement lui laisser sa fonction sélective exactement contraire à l’idée d’une acquisition par tous d’un socle commun. Comme disait Antoine Prost, l’orientation fonctionne à l’échec. C’est son carburant, sa justification.
Bernard Desclaux
Dernière modification le jeudi, 16 octobre 2014