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Après les réformes des voies générales et technologiques des lycées, c'est au tour de la voie professionnelle de se transformer. Cela a été annoncé très officiellement le 28 Mai 2018. Rappelons que cette réforme concerne les près de 670000 élèves que cette voie d'études secondaires accueille chaque année (540000 en vue d'un baccalauréat professionnel, 115000 en filière CAP, 8000 en mentions complémentaires diverses et autres formations professionnelles), ainsi que leurs parents, les 70000 professeurs qui interviennent dans l'un des 1500 lycées professionnels qui existent en France, et tous les partenaires (locaux, départementaux, régionaux et nationaux) qui sont engagés sur ce champ de formation, tout particulièrement les régions et les branches professionnelles.

Elle repose en partie sur une série de préconisations émises le 22 février 2018 dans le cadre d'un rapport remis au Ministre, mais aussi d'une large concertation, qui continue de se dérouler, et devrait aboutir à des textes définitif d'ici l'automne prochain.

I. Le diagnostic de départ :

Malgré d'indéniables réussites, la voie professionnelle souffre aujourd'hui d'un certain nombre d'insuffisances auxquelles on se propose de remédier. Trois problèmes sont considérés comme devant faire l'objet d'une attention particulière : une insertion professionnelle des diplômés de la voie secondaire professionnelles qui doit s'améliorer; une relative faiblesse de la réussite des bacheliers professionnels qui prolongent leurs études dans l'enseignement supérieur; un déficit d'attraction auprès des familles dont des enfants sont scolarisés en classe de troisième.

I.1. Cette voie d'études doit améliorer ses taux d'insertion professionnelle...

D'après les chiffres communiqués par le Ministère de l'éducation nationale, 51% des titulaires d'un CAP et 34% des bacheliers professionnels qui optent pour la recherche d'un emploi sont encore au chômage sept mois après l'obtention de leur diplôme. Pire : le très officiel Centre d'études et de recherche sur les emplois et les qualifications (CEREQ), qui dépend du Ministère chargé du Travail, nous apprend, dans sa dernière édition (octobre 2014) de "Quand l'école est finie : premiers pas dans la vie active", que seuls 31% des jeunes sortant des études nantis d'un CAP ou BEP n'ont pas connu de chômage dans les trois ans suivant l'obtention de leur diplôme (ils sont 29% à l'avoir subi entre un et douze mois, et 35 % 12 mois ou plus), tandis que les bacheliers professionnels sont 42% dans ce cas (37% entre un et douze mois, et 20% 12 mois ou plus).

Notons cependant que ces moyennes cachent des réalités très diverses selon le secteur professionnel de référence : si certaines spécialités n'ont pas à rougir de leurs taux d'insertion (par exemple, le bac pro restauration permet à 86% de ceux qui optent pour la recherche d'un premier emploi de le trouver dans les six mois suivant l'obtention du diplôme), d'autres affichent de piètres résultats (tels les bacheliers professionnels gestion/administration, qui ne sont que 34% dans ce cas). Une approche de ce problème par secteur professionnel est donc nécessaire.

Notons, avant d'aller plus avant, qu' il serait évidemment injuste de faire porter à la seule voie professionnelle de l'enseignement secondaire la responsabilité de cette mauvaise insertion d'un trop grand nombre de ses diplômés. Le facteur essentiel est ailleurs : il est le produit d'une mauvaise situation économique nationale et internationale qui ne favorise pas l'emploi, bien au contraire. Cependant, force est de constater que le lycée professionnel français réussit nettement moins bien dans ce domaine que bon nombre de ses homologues étrangers. Faire de l'amélioration des capacités d'insertion professionnelle de ses diplômés l'un des objectifs de la réforme du lycée professionnel est donc pleinement légitime.

I. 2. ... Et mieux doter celles et ceux de ses diplômés qui optent pour la poursuite des études dans le supérieur :

Sur ce point, commençons par rappeler que, d'année en année, la part des bacheliers professionnels qui demandent leur admission dans l'enseignement supérieur augmente : elle est passée de moins de 20% en moyenne à la fin des années 1990, à un peu plus de 50% aujourd'hui, et on constate des pointes à plus de 70% pour certaines spécialités. C'est nettement moins le cas pour ceux qui parviennent à se doter d'un CAP qui ne sont que 25% à prolonger leurs études, un tiers d'entre eux en se réorientant vers une première pro, les autres préparant en un an une mention complémentaire ou un autre CAP.

Ce puissant mouvement que connaissent les bacheliers professionnels est en grande partie porté par une tendance que l'on observe dans la plupart des pays : l'allongement de la durée des études, et corrélativement, le recul de l'âge d'entrée dans le monde du travail. En France, il est amplifié par la difficulté de trop nombreux détenteurs d'un CAP ou bac pro à trouver rapidement un travail correctement rémunéré à l'issue de telles études, ainsi que nous l'avons vu dans le point traité précédemment.

Or, au regard de cette tendance de plus en plus forte, on ne peut que constater que leurs taux de réussite ne donnent pas satisfaction :

  • La majeure partie des bacheliers professionnels demandent logiquement à prolonger leurs études dans les filières supérieures professionnelles courtes, notamment en BTS et IUT. Force est de constater qu'ils ont beaucoup de mal à se faire admettre en IUT où on leur préfère les bacheliers généraux et technologiques. Reste le vaste secteur des BTS qui est celui qui les accueille le plus volontiers. Malheureusement, les taux de réussite des bacheliers professionnels y sont trop modestes : 55% en moyenne, alors que le chiffre atteint près de 70% pour les bacheliers technologiques et 85% pour les bacheliers généraux. En outre, près de 60% des bacheliers professionnels qui parviennent à se doter d'un BTS ont pour cela besoin de trois années au lieu de deux.
  • Quand à celles et ceux de ces bacheliers qui entrent en filière universitaire non sélective, les résultats sont véritablement catastrophiques : moins de 3% d'entre eux en moyenne parviennent à se doter du grade de licence, pour la plupart en quatre ou cinq ans au lieu des trois normalement requis. A titre de comparaison, les bacheliers technologiques y parviennent à raison de 25% en moyenne, et les bacheliers généraux sont 65% dans ce cas.

I. 3. Il est en outre nécessaire d'accroître l'attractivité de la voie professionnelle:

Autre élément de diagnostic que l'on voudrait améliorer : l'attractivité de la voie professionnelle qui est considérée comme étant trop faible. On s'étonne par exemple du fait qu'alors qu'en moyenne européenne, les cursus proposés par les lycées professionnels (ou équivalents) attirent 15% des jeunes âgés de 16 à 25 ans, en France ce ne soit le cas que pour 7% d'entre eux ... soit moins de la moitié.

Les raisons de ce phénomène sont connues : survalorisation de la voie générale dans l'esprit des familles, la voie technologique étant fréquemment considérée comme étant un second choix, la voie professionnelle en dernier; tendance trop forte des conseils de classe de troisième à utiliser la voie professionnelle comme une instance de rélégation pour les élèves jugés inaptes à la voie générale; un problème de "lisibilité" de cette voie d'études secondaires pour des jeunes âgés de 14/15 ans, devant dans ce cas opter dès l'entrée en première année de CAP ou en seconde professionnelle, pour l'une des près de 300 spécialités professionnelles qui s'offrent à eux; difficultés (que nous avons mises en lumière précédemment) à trouver aisément un emploi à l'issue d'une trop grand nombre de CAP ou bacs pros actuels...

2. Le futur lycée professionnel va se recentrer sur les spécialités les plus porteuses d'emploi à leur issue :

Le Ministre l'a dit fréquemment : il faut développer les formations les plus "insérantes", et réduire la voilure concernant celles qui ne le sont que très insuffisamment.

Dans le collimateur : la spécialité "bac pro gestion/administration" qui a souvent été citée en tant que mauvais exemple. Alors qu'elle est la spécialité qui accueille le plus d'élèves de la voie professionnelle (70000 sur 500000 au total, soit 14% de l'ensemble), elle est une de celles qui voit ses diplômés rencontrer les plus grandes difficultés d'insertion à la sortie : d'après les statistiques présentées par le Ministère de l'Education nationale, près d'un tiers d'entre eux (30%) sont encore au chômage trois ans après l'obtention du diplôme. Dans l'esprit du Ministre, il faudra bien tirer les conséquences de ce genre de situation en réduisant les effectifs, et donc l'offre de formation des spécialités qui sont dans ce cas.

Inversement, il serait bon de "muscler" les spécialités qui sont fortement "insérantes" et pour lesquelles on manque en France de tels diplômés, comme la spécialité restauration ou les métiers du secteur de l'aide aux personnes par exemple.

Enfin, il faudra que la carte des formations s'enrichisse de diverses spécialités nouvelles correspondant à des secteurs professionnels en forte croissance des besoins de recrutement : on cite fréquemment les secteurs correspondant aux techniques professionnelles de pointe tels les métiers du numérique ou de l'énergie propre par exemple.

En d'autres termes, il faudra que le nouveau lycée professionnel facilite l'insertion de ses diplômés en les dotant de ce dont ils auront besoin, pour apporter dans les entreprises et administrations qui les recruteront des compétences permettant de mieux accompagner les mutations contemporaines qui caractérisent le marché du travail d'aujourd'hui, et par là même , doter ces jeunes d'une meilleure capacité d' "employabilité à long terme". Pour y parvenir, l'ensemble des cursus du lycée professionnel feront l'objet de consultations des employeurs dans le cadre de "Commissions professionnelles consultatives" qui ont d'ores et déjà commencé leurs travaux.

Enfin, cette réforme prendra en partie appui sur une extension de l'offre de formation par l'apprentissage. Il a même été précisé que l'on devra progressivement tendre vers la présence d'une unité de formation par l'apprentissage dans chaque lycée professionnel. C'est déjà le cas pour une partie d'entre eux : il conviendra de généraliser progressivement cette offre de formation.

D'ores et déjà, on note les réserves, pour ne pas dire plus, de la plupart des syndicats de l'enseignement professionnel. C'est logique car cette réforme se fonde sur une "remise à plat" de la carte des formations. Il est donc prévisible que cela va avoir des conséquences sur les emplois dans plusieurs enseignements professionnels dont on projette de "réduire la voilure" parce que trop faiblement "insérantes" à leur issue. C'est ainsi par exemple, que les professeurs qui interviennent en filière bac pro gestion/administration seraient dans ce cas plusieurs centaines (on parle de 1500) à perdre leur emploi ou à devoir se recycler s'ils sont fonctionnaires. C'est un premier élément de forte crispation potentielle. Ajoutons les traditionnelles réserves d'une majorité de syndicats enseignants - notamment de ceux de l'enseignement professionnel - à l'idée de développer plus encore l'apprentissage.

3. Une spécialisation plus progressive que dans l'actuel lycée professionnel :

La voie professionnelle secondaire se présente actuellement sous la forme d'environ 300 spécialités différentes (une centaine de baccalauréats professionnels et un peu plus de 200 CAP) qui s'offrent aux élèves qui sortent du collège, pour la plupart âgés de 14 à 16 ans.

Un tel degré de spécialisation supposent que celles et ceux qui frappent à la porte du lycée professionnel soient porteurs d'un projet scolaire et professionnel très pointu, et soient en outre capables de décrypter une telle offre de formation faite de 300 spécialités. Qui peut croire que ce soit le cas du plus grand nombre de jeunes de cet âge orientés vers ce type d'établissement ? Combien d'élèves de seconde pro logistique qui ont choisi cette spécialité en pleine connaissance de ce que sont les métiers de la logistique, et véritablement porteurs d'une vocation affirmée à s'y préparer ?

En réalité, la lisibilité de ce système de formation, et des métiers auxquels on peut s'y préparer, est médiocre, et constitue sans aucun doute un des facteurs du manque d'attractivité de la voie professionnelle post collège. Nombre de collégiens pourtant intéressés par l'idée d'opter pour de telles études, y renoncent faute d'y voir clair.

Pour résoudre ce problème, il a été décidé que les près de cent spécialités de seconde professionnelle actuelles seront regroupées en une quinzaine de "familles de métiers", sur la base des compétences professionnelles communes. Ces regroupements concerneront en outre des ensembles relativement cohérents de métiers et/ou secteurs professionnels, telle par exemple la famille des "métiers de bouche" qui intègrerait les actuelles spécialités boucher,charcutier-traiteur, boulanger-pâtissier, poissonnier, technicien-conseil vente de produits alimentaires, technicien-conseil vente de vins et spiritueux...C'est en sortant de telles secondes pluri-professionnelles que les élèves retrouveraient, sur le parcours première/terminale pro, les spécialisations qui se positionnent dès la seconde dans l'actuel lycée pro. On attend d'une telle mesure qu'elle améliore grandement la lisibilité de cette voie d'études secondaires, permette aux familles de disposer d'un an de plus avant de choisir leur spécialité professionnelle, et par voie de conséquence, suscite plus de vocations qu'aujourd'hui

Liste non encore stabilisée des futures classes de seconde professionnelle regroupées par familles de métiers :

  • Métiers de l'aéronautique
  • Métiers de la réalisation de produits mécaniques
  • Métiers du numérique et de la transition énergétique
  • Métiers de la maintenance des équipements industriels et des véhicules
  • Métiers du pilotage d'installations automatisées
  • Métiers des industries graphiques et de la communication
  • Métiers du bois
  • Métiers de la construction durable, du bâtiment et des travaux publics
  • Métiers des études et de la modélisation numérique du bâtiment
  • Métiers de la beauté et du bien-être
  • Métiers de la gestion administrative, du transport, de la logistique et de la sécurité
  • Métiers de la relation client
  • Métiers de l'hôtellerie-restauration et du tourisme
  • Métiers de bouche

Dès l'été 2018, des représentants des Ministères du Travail, de l'Education nationale et des branches professionnelles, se réuniront en diverses commissions chargées de proposer la version finale de ces familles de métiers, les nouvelles secondes professionnelles devant être ouvertes en septembre 2019.

Cette évolution concernera uniquement les filières bacs pros. Pour les CAP, il a été considéré que l'on ne changera pas l'actuel format qui consiste à ce que ce soient des formations, spécialisées dès la première année. Par contre, on reverra sans doute la carte des spécialités pour tenir compte des difficultés d'insertion sur le marché du travail de certaines d'entre elles, et du besoin de créer certaines spécialités nouvelles, centrées sur des besoins en recrutement mal satisfaits.

4. On aurait pu aller beaucoup plus loin en créant une seconde unique, les filières "bac pro" ne commençant qu'en première :

Ce légitime souci de déspécialiser la classe de seconde professionnelle aurait pu s'inscrire dans une toute autre logique qui aurait consisté à créer une seconde unique, regroupant les secondes générales et technologiques, et les secondes pros en une seule structure qui aurait pu s'appeler "seconde" tout court.

Elle aurait prolongé d'un an le collège en proposant des enseignements fondamentalement généraux, ainsi qu'un jeu d'enseignements optionnels de spécialité parmi lesquels on aurait pu ajouter aux enseignements optionnels de spécialité généraux et technologiques désormais proposés dans le cadre de la future classe de seconde GT, des enseignements optionnels préparatoires à l'orientation vers la voie professionnelle qui n'aurait alors commencée qu'au niveau première. Trois spécialités pré professionnelles auraient été envisageables dans cette seconde unique, les familles pouvant en choisir une parmi "professions agricoles", "professions industrielles" ou "professions tertiaires".

Autre avantage de cette formule : les trois voies de formation secondaire (générale, technologique et professionnelle) auraient présenté une même architecture faite d'une seconde unique, suivie de la répartition des élèves entre les trois voies. On aurait ainsi pu repousser d'un an le moment de la nécessaire émergence d'un projet professionnel chez celles et ceux qui entreront en première pro. Rien n'aurait d'ailleurs empêché que le parcours première/terminale pro se déroule dans une logique de spécialisation progressive avec des premières pros par familles de métiers et des terminales pros spécialisées.

Ce n'est pas le scénario retenu. Dommage ! Il reste une possibilité intermédiaire qui consisterait à faciliter la réorientation de certains élèves de seconde GT directement vers une première professionnelle. Auparavant de telles pratiques étaient rendues rares par l'hyper spécialisation des classes de seconde pro. Avec la réforme, le fait qu'on aura désormais des secondes "familles de métiers", devrait logiquement rendre de telles réorientations plus envisageables qu'auparavant.

5. Des éléments nouveaux qu'il convient de signaler :

La lecture des projets de grilles des futures classes de seconde, première et terminale pro permet de recenser plusieurs nouveautés importantes :

  • Notons d'abord que, comme ceux qui entreront dans les nouvelles secondes GT, les élèves de seconde professionnelle subiront obligatoirement, en tout début de l'année scolaire, un "test de positionnement" dont le but sera d'évaluer les acquis de chaque élève dans les matières fondamentales (français et mathématiques), et de proposer à ceux qui sont porteurs de lacunes importantes des programmes de soutien/remise à niveau.
  • Nouveauté à chaque niveau de scolarité de la voie professionnelle : il est créé des enseignements obligatoires qui se dérouleront en co-intervention (un professeur de français ou de mathématiques/sciences et un professeur de l'enseignement professionnel). Un volume horaire important est prévu à cet effet. Le but affiché est non seulement d'améliorer les capacités des élèves dans ces disciplines générales fondamentales, mais aussi de mieux les préparer à leur future vie professionnelle, et à d'éventuelles poursuites d'études après le bac pro.
  • La grille horaire des nouvelles classes de première et terminale pro comprendra 56h annuelles (près de deux heures par semaine en moyenne) qui seront consacrées à une grande nouveauté : la réalisation par chaque élève d'un projet original ou d'un chef d'oeuvre. Cette réalisation donnera lieu à évaluation qui sera prise en compte pour l'examen du baccalaurat à l'occasion de l'épreuve orale, à compter de la session de 2022 de cet examen.
  • Autre nouveauté remarquable : en entrant en classe terminale pro, les élèves devront choisir un module complémentaire qui portera soit sur "préparation à l'insertion professionnelle et à l'entrepreneuriat" (comment rechercher un emploi, créer une entreprise, rédiger une lettre de motivation, un CV...?), soit sur "préparation à la poursuite des études" (découverte des cursus de formation supérieure les plus adaptés au bac pro préparé, mise en oeuvre d'heures de renforcement disciplinaire et méthodologique en lien avec la ou les formations supérieures que l'on se propose de demander, préparation des épreuves de sélection lorsqu'il y en a...). Notez que ce choix devra être fait en fin d'année de classe de première pro, ce qui ne manquera pas de poser un problème aux élèves qui, à ce moment de leur scolarité, n'auront pas encore tranché entre ces deux destinées.
  • Création de "campus d'excellence" professionnelle. Pour améliorer l' "image" de l'enseignement professionnel secondaire, et donc accroître son pouvoir d'attraction, le Ministre a annoncé la création de "campus d'excellence" qui seront "de véritable lieux de vie, de formation et d'innovation, en lien étroit avec les régions et les acteurs de la recherche et du monde professionnel". Ces "campus d'excellence" se constitueront par regroupement d'établissements de formation professionnelle, de centres de recherche, d'entreprises ... centrés sur des secteurs d'activité dynamiques, fortement recruteurs et caractérisés par des technologies de pointe. Ils comporteront un "FabLab" (contraction anglaise de "fabrication laboratory", désignant un lieu dans lequel un large public - bricoleurs, jeunes créateurs d'entreprise, professionnels... - trouve en libre accès des outils de fabrication numérique permettant de se livrer librement à la conception et la réalisation d'objets divers), et pourront nouer des liens de partenariat avec des entreprises et administrations diverses, mais aussi avec des établissements scolaires nationaux et internationaux de tous niveaux. Certains lycées professionnels auront vocation à s'intégrer à ces "campus d'excellence". Gageons que nombreux seront ceux qui reprocheront à cet élément du projet de réforme d'ouvrir ainsi la porte à des parcours d'études professionnelle  "à deux vitesses". Le Ministre a annoncé qu'il allait rapidement (dès la deuxième quinzaine du mois de juin 2018) lancer les appels à projet, étant d'ores et déjà doté pour cela d'un budget de 50 millions d'euros. Il a ajouté qu'il sera possible de s'appuyer sur le réseau des "campus des métiers et des qualifications", lancés en 2013.
  • Plusieurs mesures seront prises en vue de faciliter l'accès aux BTS et améliorer les taux de réussiste des bacheliers pros dans ces formations. Comme on l'a vu dans la première partie de cet article, les formations qui conduisent aux divers BTS (les "sections de techniciens supérieurs" dans lesquelles on prépare les "brevets de techniciens supérieurs") sont parmi celles à l'issue desquelles les bacheliers professionnels obtiennent leurs meilleurs taux de réussite : de l'ordre de 55% chaque année. Cependant, ces formations étant sélectives, et ouvertes aux candidatures de tous les bacheliers, de nombreux bacheliers pros n'y trouvent pas place et entrent par défaut dans un premier cycle universitaire non sélectif, avec à leur issue un taux d'échec moyen de 97% ! Il a donc été décidé de d'appliquer plus fortement la politique de "places réservées" aux bacheliers professionnels dans les formations préparatoires aux BTS. Ainsi, dès la rentrée 2018, 2000 places de ce type devraient être créées, et autant à la rentrée de 2019. En outre, le Ministre propose de créer des "classes passerelles" permettant à certains bacheliers professionnels de préparer un BTS en trois ans au lieu de deux, la première année fonctionnant comme une année de remise à niveau.

6. Vers un nouveau référentiel "métier d'enseignant" :

Les documents présentant le projet de réforme comprennent des projets de nouvelles grilles horaires.

Les syndicats d'enseignants ont très vite réagi car il y a dans ces grilles l'annonce d'une réduction significative des horaires d'enseignements traditionnels. Telles que présentées, ces grilles horaires annoncent de trois à quatre heures de cours en moins par rapport aux horaires hebdomadaires actuels. Il n'a évidemment pas échappé aux organisations syndicales et à nombre de professeurs de terrain, que cette baisse d'environ 10% des heures d'enseignement fait courir le risque d'une suppression de 6000 postes. C'est inacceptable à leurs yeux, et nul doute qu'il y a là un important motif de crispation qui va fortement peser sur la concertation qui s'est ouverte depuis quelques jours.

Il est cependant vrai que ces réductions d'heures d'enseignements traditionnels (professionnels et généraux) sont en grande partie compensées par des besoins horaires nouveaux induits par la mise en œuvre obligatoire de certains enseignements qui seront conjointement dispensés par deux professeurs (ceux de mathématiques/sciences et français qui interviendront conjointement avec des professeurs de l'enseignement professionnel). mais aussi du fait de l'introduction d'horaires supplémentaires consacrés à l'accompagnement personnalisé et à l'accompagnement des projets d'orientation. Ainsi s'explique qu'au total, il y a une indéniable quasi stabilité du nombre d'heures hebdomadaires auxquelles auront droit les élèves, mais avec redéploiement d'une partie des heures vers des enseignements d'une autre nature, qui seront en grande partie pris en charge par les personnels enseignant et d'éducation.

En d'autres termes, derrière ces évolutions des grilles horaires, se profile ce qu'il faut bien considérer comme étant une autre façon d'exercer son métier de professeur, en demandant à ces derniers de plus fréquemment exercer et  travailler en équipes, en prenant toute leur part dans les dispositifs d'accompagnement (soutien, approfondissement, développement personnel, projets d'orientation ...) de chaque élève. Là est sans doute l'élément le plus novateur de cette réforme, dont il faut rappeler qu'il est également au coeur de la réforme des voies générales et technologiques du lycée.

Conclusion :

Il y a dix ans, le lycée professionnel connaissait une première réforme en profondeur avec le passage de son ancienne architecture en quatre ans (premier cycle BEP en deux ans suivi du deuxième cycle bac pro en deux années supplémentaires), à un  système en trois ans (seconde/première/terminale pro). De ce fait, le cursus qui conduit aux divers baccalauréats professionnels a vu fortement se réduire le nombre des classes concernées, mais aussi les emplois.

Ce choc à peine amorti, voila que se présente une nouvelle réforme importante de la voie professionnelle, elle aussi porteuse de bouleversements potentiels d'envergure en matière de structures et d'emplois. La relative proximité de la précédente réforme, et de son "coût social", explique en partie la crispation, voire la franche hostilité, de la plupart des syndicats de l'enseignement professionnel qui, dès la présentation du rapport Calvez-Marcon (du nom des deux signataires du rapport remis au Ministre en novembre 2017) se sont montrés pour le moins réservés, et parfois franchement hostiles, sur plusieurs des propositions ainsi avancées.

L'affaire n'est donc pas véritablement "pliée" : des négociations se déroulent en ce moment même, qui devraient à aboutir à une version finale du texte de réforme légèrement différente de ce que nous venons présenter, pour au plus tard l'automne 2018, et mise en application progressive à compter de septembre 2019. Le sentiment qui domine est cependant qu'à quelques aménagements secondaires près, la réforme sera celle que nous venons de présenter.

Bruno MAGLIULO

Dernière modification le mardi, 12 juin 2018
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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