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Laurent-Pierre GILLIARD, Directeur Prospective et Communication à UNITEC & Maître de Conférence associé à Université Bordeaux Montaigne / ISIC nous livre ses réflexions sur notre attention au travail face aux visioconférences et autres espaces virtuels.

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Le confinement lié au Covid-19 a du jour au lendemain fait basculer les acteurs du secteur tertiaire dans la réalité du télétravail et de ses outils, visioconférences en tête. Beaucoup de choses ont été écrites sur ce déploiement forcé du télétravail mais en considérant ces outils comme un tout monolithique.

L’expérience de ces deux mois a montré à tous ceux qui ont eu la curiosité de tester différents environnements et outils, que l’impact sur la concentration, l’attention ou l’empathie était fort différent suivant les outils même si ces outils pouvaient sembler proches ou identiques aux premiers abords.

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J’ai vécu des réunions en visio où mon attention s’envolait au bout de quelques minutes. Et dans la même période, je suis resté scotché, pendant plus d’une heure, sur la visite touristique virtuelle de la ville d’Albi réalisée dans Minecraft, Dans le premier cas, l’outil visio était inadapté et dans le deuxième cas, le contenu riche s’est avantageusement fondu à l’environnement détourné d’un jeu. Deux exemples extrêmes mais qui illustrent les possibilités des outils et des pratiques.

Qualité attentionnelle

Qu'est ce qui nous fait écouter de manière qualitative lorsqu’on est à distance ? Tous les outils mis à disposition ne se valent pas. Ils s’avèrent plus ou moins adaptés aux différents contextes d’échanges à distance.

Prenons un lundi matin de confinement en situation de télétravail, réunissant une vingtaine de collaborateurs en visio. Le sentiment d’équipe, d’être ensemble malgré la distance, ne sera pas du tout le même suivant que la visio se déroule sur Teams ou sur Zoom.

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Au début du confinement, Teams permettait d’afficher les vidéos de 4 collègues sur les 20 collaborateurs présents. L’outil s’est amélioré ces dernières semaines et permet en juin d’afficher 9 collègues en simultané. Zoom ou Jitsi (Jitsi est un clone de Zoom en logiciel libre) permettent d’afficher 20 participants sur votre écran. A l’usage, l’attention des équipes sera bien meilleure si tout le monde se voit simultanément. Dans les deux cas, une seule personne parle mais l’attention portée au langage corporel et réactions des 19 autres apporte un sentiment d’appartenance. Le groupe vit quand on voit qui a pris du poids ou a abdiqué sur l’idée même de se laver les cheveux…

Ces détails vont constituer des points d’accroche attentionnelle aux échanges distants. Quelles qu’en soient mes motivations, futiles ou plus profondes, je vais apporter à mes collègues un regard attentif qui va être un palliatif aux vides que mettent en place la distance. A l’inverse, si je ne vois que partiellement mes collègues, je vais me sentir moins regardé et je vais facilement basculer vers d’autres activités en ligne : lecture des mails, réseaux sociaux…

Attentif mais fatigué

Alors certes, une visio de bonne qualité d’image, avec un nombre important de participants présents à l’image, va favoriser l’attention de tous, mais elle va également favoriser la fatigue des participants, souvent contraints à des marathons de visio.

La visio entraine une fatigue liée à la surcharge visuelle : lorsque nous regardons un écran, qu'il s'agisse d'un ordinateur ou d'un écran de télévision, nos esprits sont habitués à traiter ce qui est devant nous comme un tout unifié. Plus il y a de vignettes vidéo, plus la surcharge informationnelle est grande.

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Contrairement aux conversations réelles, la viso nous oblige souvent à regarder notre propre visage apportant à certains un facteur de stress supplémentaire. Elle va également projeter l’intimité de son logement aux yeux de tous.

On découvrira alors comment masquer l’intimité de son logement en usant des choix d’arrières plans proposés dans les applications (option de Teams ou Zoom par exemple). Toutefois, ce paravent numérique, comme toute image, bénéficie d’un choix éditorial de votre part et vous expose lui aussi.

Distance, attention et implication : regarder du côté du monde du jeu vidéo.

Célia Hodent, psychologue française et responsable de l’expérience utilisateur du jeu Fortnite a décrit dans son livre « The gamer’s brain » (qui sortira en France le 24 juin 2020 sous le titre « Dans le cerveau du Gamer ») décrit les composantes de l’engagement du joueur : la motivation, l’émotion, et le flow.

En psychologie, le flow est un état mental atteint par une personne lorsqu'elle est complètement plongée dans une activité et qu'elle se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans son accomplissement. Fondamentalement, le flow se caractérise par l'absorption totale d'une personne par son occupation. Loin de moi l’idée de comparer une réunion mensuelle du Comex avec une partie de Fortnite, mais les comparaisons entre l’engagement du joueur face à son écran et celui du télétravailleur face à sa visio sont nombreuses et riches d’enseignements. J’y reviendrai dans une note prochaine.

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Quand la Réalité Virtuelle changera le monde physique du travail

Le pas suivant sera amené par la réalité virtuelle et surtout la réalité augmentée.

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Le jeu Pokemon GO nous a montré à quel point un jeu de réalité augmentée, incrustant un univers numérique dans notre réalité physique, pouvait changer profondément notre relation avec les infrastructures de transport en commun d’une ville par exemple. Des lignes de bus peu fréquentées ont vu leurs véhicules se remplir car ils desservaient des spots grassement fournis en Pokemon… L’impact de la réalité augmentée sur les transports, sur l’immobilier d’entreprise, sur le management promet d’être important et complexe…

L’entreprise d’immobilier eXp Realty, avec ses dizaines de milliers d’employés et sa capitalisation boursière qui a dépassé 1 milliard de dollars au NASDAQ, fonctionne sans aucun bureau physique. Pas même un seul pour son siège ou pour ses fondateurs. L'entreprise utilise un espace virtuel, dans un monde virtuel développé par une société de réalité virtuelle, VirBELA. Cela signifie que si vous êtes embauché par eXp Realty, votre premier jour de travail vous amène à paramétrer votre avatar et partir à la rencontre de vos collègues dans un environnement de type jeu vidéo simulant les bureaux de eXp Realty – voir ci-dessus !

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La Singularity University, bras armé transhumaniste de Google, a bien saisi le potentiel pour ses rencontres, conférences et sessions de réseautage (de propagande diront certains). Elle commence par impliquer les participants dans une découverte ludique d’orientation dans l'espace virtuel. Cette séquence est précédée d’un temps « brise-glace » pour que les participants apprennent à se connaître. C’est l’occasion de découvrir l’outil-lieu dans lequel ils se trouvent. Cela se poursuit par de classiques réunions, ateliers et conférences complétées de diapositives ou vidéos. La session se termine par des moments de discussions en petits groupes.

Dans Virbela, vous entendez les participants virtuels comme en situation réelle : si votre avatar est loin de l’avatar de votre interlocuteur, vous l’entendrez faiblement ; et distinctement quand votre avatar sera dans un rayon de convivialité. Cela vous autorise, lorsque vous déambulez dans l’environnement, de capter une bribe de conversation et de rejoindre le groupe. Cette forme d’interactions basées sur l’inattendu n’est pas envisageable avec des outils basés uniquement sur la vidéo. La visio est une diffusion 1 vers n, un environnement à la Virbela est quant à lui de type n vers n.

Aaron Frank de la Singularity University, se dit surpris de voir à quel point l'environnement virtuel facilite ce qui exigeait traditionnellement une expérience physique. L'ingrédient clé est l'environnement spatial simulé et l'idée que vous puissiez vous promener physiquement dans l'espace comme si vous étiez dans une situation réelle. Un tel environnement recrée la sensation d'être physiquement présent avec d'autres personnes et cela même si vous êtes dans un environnement entièrement en ligne. Aaron Frank reconnait toutefois que quelques rares personnes ont rencontré des problèmes techniques comme des soucis audio ou de diffusion de diapositives par exemple. Dans ce type d’espaces numériques les néophytes tendent à surréagir face à toutes difficultés, si mineures soient-elles.

Virbela.com, très médiatique en ce moment (il a accueilli Virtual Laval et va accueillir le Bordeaux Geek Festival de juin 2020) est loin d’être le seul espace de cette nature. Spatial.io/ ou Meetinvr.net/ laissent voir l’évolution possible du télétravail dès les vidéos de présentation de leur page d’accueil. La plateforme de jeu Recroom.com/ est utilisée pour de l’enseignement (youtu.be/0JZ8BXfXGzI) ou de la socialisation d’équipes de travail (https://twitter.com/RoyRodenhaeuser/status/1246111758701510661).

Le confinement, le télétravail ou l’univers du jeu sont en train de changer la façon dont nous pensons la socialisation et le travail dans son ensemble. Visioconférences et plateformes de réalités virtuelles vont s’intégrer dans nos environnements de travail peu à peu, soit de manière imposée, et les blocages vont être nombreux, soit de manière réfléchie, ludique, et en comprenant les avantages offerts pas ces outils.

Des évolutions à suivre et à débattre, dans un de ces environnements virtuels ou à la terrasse d’un café bien réel...

Laurent-Pierre GILLIARD

Directeur Prospective et Communication à UNITEC & Maître de Conférence associé à Université Bordeaux Montaigne / ISIC

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Dernière modification le vendredi, 02 septembre 2022
Desvergne Marcel

Vice-président de l’An@é, responsable associatif accompagnant le développement numérique. Directeur du CREPAC d'Aquitaine,  Délégué général du Réseau international des universités d'été de la communication de 1980 à 2004, Délégué général du CI’NUM -Entretiens des civilisations numériques de 2005 à 2007, Président d’Aquitaine Europe Communication jusqu’en 2012. Président ALIMSO jusqu’en 2017, Secrétaire général de l’Institut du Goût de la Nouvelle-Aquitaine.