Décidée en quinze jours à Corbas (69) en 1993, étendue rapidement à une partie du département du Rhône l’année d’après, puis à environ un quart des écoles Française dans les années suivantes, pour être généralisée par Xavier Darcos en 2007, elle mérite une sérieuse remise en cause, mais en posant les questions à un tout autre niveau.
En effet, poser a priori la question des rythmes scolaires - c’est-à-dire celle de la seule gestion du temps - sans poser la question de la nature même de l’activité scolaire de l’enfant frise l’escroquerie intellectuelle. Pour aller refonder l’Ecole (donc de la maternelle à l’Université), il nous faudrait déjà posséder un bilan exact de ce que font réellement les élèves d’aujourd’hui, niveau par niveau et classe par classe. Il est évident que, s’ils sont assis sur leur siège pour écouter et recopier ce que dit ou écrit le maître, ces enfants et ces adolescents vivent des journées scolaires beaucoup trop longues. Il nous faudrait aussi savoir ce qu’ils font lorsqu’ils ne sont pas à l’école. Et ça personne ne le sait précisément !
Attention à la « déscolarisation » !
Je propose de bien réfléchir en préalable aux conséquences de la déscolarisation insidieuse (baisse du temps passé à l’école) qui sévit dans notre pays depuis de nombreuses années. Moins un élève passe de temps à l’école, plus il est victime de toutes les ségrégations sociales possibles. Le moins d’école pose très peu de problèmes aux fils et filles des classes aisées, qui savent très bien organiser le post scolaire ; y compris en recréant du pseudo-scolaire, à grands coups d’options facultatives, de cours privés, etc… Il y a longtemps que les familles aisées ont compris qu’il fallait "rescolariser". Et si nous réfléchissions plutôt à augmenter le temps de présence des élèves au sein de l’école ; évidemment en tenant compte des temps de transports contraints. A ce que pourrait être une école qui, par exemple, prendrait en charge les enfants et les ados du lundi matin huit heures au samedi douze heures, avec un mercredi après-midi « open » pour tout le facultatif (AS, foyer, etc.) ! Evidemment, dans des locaux « super » adaptés et avec des maîtres « super » formés. De plus, « être sous la responsabilité de l’école » ne veut nécessairement dire être physiquement au sein des murs de l’école ; nombre de séquences pouvant tout à fait se dérouler en d’autres lieux : gymnases, théâtres, musées, laboratoires, stages, classes transplantées, etc. Mais encadrés par des enseignants et des personnels titulaires de la fonction publique d’Etat. Volontairement, je n’aborde pas ici les alternatives qui viseraient à « externaliser tout ou partie de l’école », que ce soit vers les collectivités territoriales, les clubs sportifs, les mouvements extrascolaires, y compris laïques et « idéologiquement compatibles », les associations, le secteur privé confessionnel catholique et autres, sans oublier le privé lucratif, qui a déjà repéré des marchés potentiels. Pour affirmer cela de façon volontairement iconoclaste, je pars d’un constat d’évidence : l’Ecole concerne 95% des jeunes d’un pays. Personne n’est capable d’en faire autant… donc personne ne peut la remplacer, même à la marge. Les risques d’aggravation des inégalités crèvent en effet les yeux.
Un préalable : connaître l’activité réelle de l’élève
L’arrivée du numérique et du multimédia re-brasse un certain nombre de questions : la place du « dire » et de « l’écrire » de la part du prof, la recherche de l’info, son stockage, les types collaborations entre élèves, la notion même de brouillons, etc.etc. Mais, pour ma part, je ne suis pas convaincu qu’elle repose fondamentalement la question du temps de présence scolaire. Toute tentative « d’enseignement à distance », voire de « télé travail », qui renverrait à la maison certaines taches, sous le prétexte qu’elles se jouent devant un écran et qu’Internet existe, déboucheraient, aujourd’hui, sur une aggravation des inégalités sociales. La fracture numérique ne s’est pas comblée parce que nombre d’élèves, y compris certains issus de familles défavorisées, semblent disposer d’un téléphone portable. Pour faire simple : je préfère un élève devant un écran dans son école, qu’à la maison… surtout quand il n’a pas d’écran.
La nature même de l’activité scolaire de l’élève serait à analyser dans le détail. Tout au long d’une journée, à quelles parts respectives d’apprentissages actifs et d’écoute-recopie l’élève est-il confronté ? Quelle alternance entre des activités individuelles et des tâches collectives ? Combien de séquences mobilisant principalement l’attention et/ou la mémorisation ? La pensée spéculative ? Combien de fois se confronte-t-il à des situations impliquant l’action et, évidemment, dans le même temps, la pensée ? Avec quelle antériorité de l’une sur l’autre ? Quel est la part corporelle des activités qui lui sont proposées ? Entre s’asseoir pour manier un stylo et gravir le sommet du mont Blanc, il y a place pour tout un continuum d’investissements corporels.
Quelles émotions sont-elles suscitées, voire provoquées, pour qu’il "apprenne le monde" par la raison, mais aussi avec ses "tripes", et ainsi entre « en culture » de façons diversifiées ? Mais attention à ne pas « abstraire de la confrontation à l’abstraction » les élèves a priori les plus en difficulté. Je suis persuadé que pas un jeune, y compris parmi les plus paumés d’entre eux, ne résiste à « un sentiment de progrès perçu », surtout si l’on n’oublie pas la part de reconnaissance sociale qui va avec. Le besoin de respect, qui suinte de tous les pores de la peau de nos ados, trouve ici enfin une réponse. « Quand j’ai compris que j’ai compris, je suis un autre ! »… Encore faut-il que le système – et donc entre autre mes profs – me mettent dans des conditions où je puisse comprendre et/ou savoir faire. Et là, il faut bien parler pédagogie, didactique, cœur et anthropologie des savoirs, etc… Bref : formation des profs. Encore une fois, ce qui compte c’est le type d’activités qu’il déploie.
Mettre le paquet sur la formation initiale et continue des enseignants
Pour moi, la priorité serait d’abord de mettre le « paquet » sur la formation initiale et continue des enseignants pour que l’acte d’enseigner (l’activité des profs) et celui d’apprendre (l’activité des élèves) évoluent radicalement au sein de tous les établissements ; et ce de la maternelle à l’Université. Si apprendre ne se résume pas à écouter un prof qui parle en tentant de prendre des notes, mais recouvre des formes multiples, actives, participatives, inductives, déductives, etc. les rythmes de vie changent au sein de l’école, car les formes de travail changent. La question de fond n’est donc pas le volume horaire de présence de l’élève à l’école, mais bien l’équilibre entre les types d’activité de cet élève.
Il faut bien comprendre que, même avant 2010 et la mise en place de la réforme Darcos, dite de la « mastérisation », la formation professionnelle des enseignants était moins longue que celle d’un gardien de la paix. Depuis, elle est sinistrée. Cela ne veut pas dire que les profs de notre pays soient mauvais. Une bonne part s’en tire plutôt pas mal, malgré leur quasi absence de formation professionnelle institutionnelle. Mais ils le doivent à leur « curriculum caché » ; autrement dit à ce qu’ils ont appris sur le tas et dans les nombreuses situations de formation informelles qu’ils rencontrent et/ou qu’ils organisent pour réussir dans leur mission, sans oublier les apports des mouvements pédagogiques, etc.
L’échec des MAFPEN, entériné par Claude Allègre, n’a rien arrangé. Mais il faut en tirer d’urgence des enseignements pour ne pas reproduire cette impasse. Comme il faudrait analyser les faiblesses des IUFM qui ont permis à Sakozy de les attaquer de front (jusqu’à croire qu’il les avait supprimés), sans que ne se lèvent durablement des armés d’étudiants révoltés. Attention dans ces naufrages, la responsabilité des divers gouvernements (de droite comme de gauche) est évidente, mais elle n’est pas seule en cause. Les historiens devront, un jour, analyser finement les rôles joués par les conflits à l’intérieur de l’ex-FEN (par exemple en 1983 ou en 1989), par certaines « absences » du SNES dans cette période, par les prises de pouvoir du SGEN (la nature ayant horreur du vide), et par l’isolement du SNEP, trop souvent seul à proposer des pistes innovantes.
Parce que « Enseigner peut s’apprendre ! »
Je reprends ici le titre du film « Enseigner peut s’apprendre ! » que je viens de réaliser, pas - seulement - pour en faire la promo. Ce que j’ai vécu au fil de ma carrière, puis récemment ce que je viens de filmer au sein de l’URFRSTAPS de Lyon, me confirment que cette affirmation pourrait devenir l’axe principal d’une véritable refondation de l’école. L’occasion est sans doute unique de tenter de mettre en synergie les besoins, désormais reconnus de tous, d’une véritable formation initiale des enseignants, conjuguée avec une nécessaire « explosion » de la recherche sur l’enseignement, nourrissant, dans le même temps qu’elle s’en nourrit, une formation continue de masse de tous les enseignants en postes… quasi abandonnés à eux-mêmes depuis des décennies. A titre d’exemple d’un impossible qui a existé, je citerai le cas des enseignants d’EPS de l’académie de Lyon, qui entre 1974 et disons la fin des années quatre-vingt, ont créé, animé en partie et piloté (dans une quasi autogestion) leur formation continue ; plus de huit cents enseignants sur mille étant concernés tous les ans. Signe des temps : elle survit encore en partie, malgré les attaques venues de toutes parts depuis trente ans.
Pour refonder l’école, il faudrait donc oser lancer un immense mouvement de formation continue des enseignants en place. Peut-être dans l’esprit des « débats/décisions Legrand » autour du collège, au début des années quatre-vingt, en ce qui concerne l’investissement des collègues, leur association à l’identification des questions, des besoins et des premières solutions. Le tout, si possible, dans un contexte d’espoir et d’avenir retrouvés. Les réponses à apporter et à trouver collectivement sont, pour une part, disponibles dans ce qui fait, en gros, consensus au sein des travaux de recherches déjà anciens. La simple massification des données connues permettrait un pas en avant gigantesque. Elle n’est pas si utopique que cela. Je peux témoigner de l’impact d’un cours de « théorie et pratique de l’intervention » (disons de pédagogie appliquée pour faire simple) auprès d’étudiants de licence 2 ou celui d’un cours d’analyse du système éducatif sur des étudiants de licence 3. Je ne parle pas de 1968, mais de 2006… année de mon départ en retraite.
Mais d’autres questionnements forts ont surgit, dans les années récentes, pour lesquelles, ni la recherche, ni la pratique disons « éclairée », ne semblent proposer de réponses totalement satisfaisantes. Mais c’est en cherchant à plusieurs et en dialoguant que, parfois, l’on trouve, à la condition que tout cet effort soit accompagné par un énorme effet de système, de capitalisation et diffusion. Un ministre devrait avoir le courage de dire que pour refonder l’Ecole, il (re)lance à fond la « machine formation continue » pour cinq ou dix ans… Voire plus.
En conclusion, ne jamais oublier que toute réforme de l’école - donc a fortiori toute refondation - se fera avec les enseignants actuellement en poste… ou ne se fera pas. Je suis convaincu qu’un prof peut « changer », à la première condition qu’il soit associé à la définition d’un avenir collectif passionnant et porteur de sens. Autrement dit, l’aidant à resituer son action dans les enjeux politiques du moment. Ensuite en lui donnant (ou en lui laissant) les moyens matériels et humains qui lui permettent de se comporter en décideur (même si c’est dans l’urgence et l’incertitude) serein et distancié. Enfin, en mettant en place des dispositifs de formation continue ad hoc, qui aident les pas en avant (y compris, parfois, de simples petits pas) qui changent tout dans la pratique de tous les jours en même temps qu’ils soulèvent les grandes questions actuelles.
En gros, selon la formule consacrée : « La tête dans les étoiles et les pieds dans la boue. »
Jean Paul Julliand