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Les rédacteurs de La Lettre de l’éducation ont souhaité me poser quelques questions à propos de l’actualité du numérique éducatif. Cette publication du Monde est accessible en ligne sur abonnements mais l’article qui me concerne est disponible, lui. Vous le trouverez donc ci-dessous reproduit avec l’aimable autorisation des éditeurs.

Partout où la question du numérique à l’école est abordée, on « tombe » sur vous. D’où cela vient-il ?
Après avoir enseigné dans le secondaire, j’ai longtemps été un acteur du numérique et de l’éducation aux médias – deux chantiers qui offrent de belles convergences – auprès des recteurs successifs de l’académie de Versailles et des services du ministère de l’éducation, où l’on daigne encore parfois me demander mon avis. Je tiens un blog, Culture-numerique.fr, je m’exprime régulièrement sur le site Educavox et j’effectue un travail de veille sur les réseaux sociaux. Ces engagements m’ont amené à être souvent invité aux colloques, débats ou conférences sur le numérique éducatif, un terrain où les universitaires sont relativement peu présents, et où ma position d’observateur me donne plus de réactivité.

Quel est votre regard sur le plan pour le numérique à l’école, dont le «  déploiement général  » est prévu à la rentrée 2016  ?

Je rejoins l’analyse de ceux qui ont dit leurs doutes quant à cette opération. Il s’agit d’abord de communication politique. Les chiffres avancés ici ou là sont trompeurs, car le politique fait des annonces mirobolantes avec de l’argent qui ne lui appartient pas  : pour l’essentiel, ce sont les collectivités locales, communes, conseils départementaux ou régionaux qui doivent fournir la connectivité, acheter le matériel et assurer la maintenance. Nombreuses sont celles qui n’ont pas les moyens de cette ambition ou ne souhaitent pas s’y associer. De plus, ce plan ne s’accompagne d’aucune réelle transformation numérique de l’école, de sa logique hiérarchique, de ses structures et modes de fonctionnement. Il est possible de pratiquer avec des tableaux numériques ou des tablettes la même pédagogie traditionnelle qu’avec des crayons et des craies sur un tableau vert. On aurait pu s’attendre à une réflexion sur ce que le numérique peut transformer dans les modalités d’apprentissage et d’enseignement. Malgré les bonnes résolutions prises au moment de la consultation sur les enjeux du numérique éducatif, rien n’est venu. Le discours institutionnel continue de confondre le numérique avec son outillage et ses « usages », mot qu’on met à toutes les sauces.

L’accusation de « naïveté » sur le rôle positif prêté au numérique dans l’éducation est fréquente. Comprenez-vous ces réticences  ?

Je comprends toutes les réticences quand elles se fondent sur un argumentaire raisonné, ce qui n’est pas toujours le cas. Faisant fi de la relation pédagogique, certains intellectuels dénoncent l’arrivée des tablettes au seul motif qu’elles permettront aux élèves de contester la parole magistrale, alors même que toute parole s’enrichit de sa contradiction possible. Mais si certains disent qu’on se fait beaucoup d’illusions sur le numérique comme solution aux problèmes de l’école, on ne peut qu’être d’accord. Ce n’est pas une solution, mais une mutation. Elle s’impose à la société, aux entreprises, à la culture, à la vie sociale, et l’école ne peut en aucun cas être dispensée de sa prise en compte. Tout est évidemment plus compliqué pour ce qui la concerne, à cause de son histoire ancrée dans la tradition et les humanités mais aussi surtout parce qu’elle n’est pas, elle, contrainte par l’économie. Ou pas encore, devrais-je dire, parce que nombreux sont ceux qui rêvent de l’y contraindre par cette voie.

Le partenariat signé fin novembre entre le ministère de l’éducation et Microsoft fait l’objet de vives critiques. Les partagez-vous  ?

Oui et non. Non, parce que des partenariats ont déjà été conclus avec cette entreprise ces dernières années sans émouvoir grand monde alors que ses objectifs étaient les mêmes. On s’acharne sur ce cas, alors que d’autres contrats soit viennent d’être signés – avec Cisco, tout récemment -, soit se profilent avec des entreprises qui présentent les mêmes dangers potentiels. Et oui, parce que tout cela aurait dû demander une réflexion globale sur la neutralité, l’interopérabilité et les enjeux culturels ou relatifs aux données personnelles. J’ajoute que les lobbys ont fait le siège des décideurs, et qu’il est bien triste que la politique se construise à leur seule écoute.

Article publié sur le site : http://www.culture-numerique.fr/?p=4524

Dernière modification le samedi, 16 janvier 2016
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.