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Tous connaissent l’histoire de Jeanne d’Arc, cette paysanne qui en écoutant des voix venues du ciel lui ordonnant de chasser les Anglais de la France a réussi l’exploit de faire couronner Charles VII comme roi légitime de France mais qui par la suite a été brûlée vive, considérée hérétique et sorcière.

La science en français au Québec et dans le monde - Entre richesse et rayonnement [i] deux jours de réflexions et d’échanges organisés par Rémi Quirion  (2) le Scientifique en chef du Québec ont eu lieu les 26 et 27 avril au Palais de Congrès de Montréal. Contrairement à Jeanne d’ARC, les intervenants contemporains ne cherchent pas à chasser l’anglais comme « Lingua franca» de la recherche et des communications scientifiques. Leur message a été plutôt : Comment faire la promotion du français?»

Jean-Hugues Roy, de l’Université du Québec à Montréal (Québec) lors de sa présentation  Les carrières scientifiques en français a révélé les résultats de son étude [iii], une analyse des données de plus de 20 ans des thèses produites par les étudiants des universités francophones du Québec.  On observe une augmentation régulière des mémoires de maîtrise et thèses de doctorat rédigés en anglais. En 2022, la moitié des mémoires de maîtrises et près des deux tiers des thèses de doctorat des universités francophones du Québec ont été rédigés en anglais.

Madame Sylvie Pommier, de l'Université Paris-Saclay (France) a mentionné retrouver une progression similaire de thèses écrites en anglais dans son université parisienne.  Ce n’est donc pas le fait que le Québec baigne dans une mer anglophone qui explique une prédominance de ces thèses rédigées en anglais mais bien un phénomène propre à la communication scientifique.  L’anglais est la «Lingua franca», une nécessité pour favoriser les échanges universels et l’anglais est ainsi perçue par le jeune diplômé comme la langue de choix pour lancer sa carrière internationale.                           

Quoi faire pour promouvoir le français comme langue d’échanges scientifiques ?

C’est pour étudier cette question que se sont rencontré à Montréal 320 personnes présentes sur les lieux et 600 participants virtuels.  Madame Valérie Borde, journaliste scientifique et chef du bureau Science et santé au magazine L’actualité a veillé au grain, s’est assurée du respect du temps alloué à chaque présentateur et a réalisé la synthèse orale de chacun des volets.

Monsieur Frédérique Bouchard, Doyen de la Faculté des arts et des sciences et professeur titulaire au département de philosophie de l’université de Montréal a partagé sa Réflexion sur la science en français.  Depuis toujours les guerres ont été a la base de plusieurs progrès scientifiques et c’est l’Industrialisation qui a favorisé le développement de la recherche soutenue par les états, phénomène inexistant avant le 20ème siècle. Ce que l’on nomme l’économie du savoir, représentation de la transmission et l’application des découvertes scientifiques est garant d’innovations sociales.  Faire de la science en français prélude le développement des communautés de la francophonie.  En recherche la langue peut être sujet d’étude ou objet de pratique. On peut de plus observer deux niveaux de recherches, celles qui se préoccupent davantage de problèmes locaux alors que d’autres étudient des questions d’envergure internationale. 

La langue et la culture déterminent le sens de certains concepts.  Il importe de maintenir un certain équilibre entre la nécessité de publier en anglais dans le but de rendre accessible nos découvertes au plus grand nombre possible et la publication de résultats de recherche en français dont l’importance est indéniable pour les collectivités des 320 millions de francophones du monde. Et pour ce faire, nous bénéficions d’Erudit, un trésor collectif …

une plateforme qui rassemble des revues savantes et culturelles francophones   dans le domaine des sciences humaines et sociales ainsi que dans celui des sciences naturelles. Érudit est le lieu de diffusion des revues québécoises soutenues par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture. [iv]

Alors que Vincent Larivière, professeur en sciences de l’information de l’Université de Montréal et directeur scientifique de la plateforme Érudit, rappelait que 86% des publications scientifiques dans le monde étaient en anglais et uniquement 13 % dans les autres langues, le Brésil a été donné en exemple. 

Plusieurs initiatives ont été mise en place pour favoriser la publication scientifique en portugais. 

Le Programme SciELO (Scientific Electronic Library Online) lancé en 1997 fournit une plateforme en ligne pour la publication d'articles scientifiques en libre accès et permet aux chercheurs brésiliens d'atteindre un public international. Les universités brésiliennes ont mis en place des politiques pour encourager la publication d'articles scientifiques en portugais.  La FAPESP (Fondation de recherche de l'État de São Paulo) finance des revues scientifiques et des collections de livres en portugais dans différents domaines de recherche.

Éric Forgues, de l’Université de Moncton a exposé le contexte canadien, pays bilingue où pratiquent plusieurs chercheurs francophones dans les universités anglophones.  Monsieur Jean-Christophe Bélisle-Pipon, professeur adjoint en éthique de la santé nous a d’ailleurs présenté avec humour sa vie de francophone d’office à l’université Simon Fraser de la Colombie britannique.   Il ne faut pas perdre espoir.  Le 12 mai, dans le cadre de son Congrès annuel l’Acfas fera le lancement de son tout nouveau service : le Service d’aide à la recherche en français (SARF) …Le SARF est un service d’appui-conseil interuniversitaire de portée pancanadienne qui a comme mission de soutenir les chercheur·se·s universitaires d’expression française en milieu minoritaire (hors Québec) dans la préparation de leurs demandes de financement de la recherche en français aux conseils subventionnaires fédéraux. [v]

Madame Anne-Claude Berthoud, de l’Université de Lausanne, en Suisse a lancé l’idée du plurilinguisme comme instrument cognitif, donc comme pouvant enrichir le concept même de la recherche.

Le choc entre plusieurs langues serait un antidote à une pensé scientifique universaliste et le risque d’une monoculture de la science. De plus, la conception d’une science plurilingue est un moyen de favoriser le maintien de langues minoritaires.  Une idée qui a été reprise par madame Mame-Penda Ba, de l’Université Gaston Bergé du Sénégal.  Madame Ba est également rédactrice en chef de la revue Global Africa qui se consacre à la publication de recherches interdisciplinaires sur les questions africaines, soutenue par la Fondation AfricAvenir International.  Madame Ba est particulièrement sensible à l'importance de préserver et de promouvoir les nombreuses langues locales de l’Afrique francophone.

Le Québec en tant que porte étendard de la promotion du français devient-il une sorte de Jeanne d’Arc moderne initiateur du plurilinguisme en sciences ? 

Une évidente solution admise par tous semble-t-il,  serait de profiter des merveilleuses applications de traduction.  On favorise la publication des résultats des recherches en français pour par la suite les traduire en anglais pour les rendre accessibles à l’ensemble de la communauté.  Il importerait de faire appel aux traducteurs professionnels pour la publication de documents de qualité universitaire.

Des scientifiques qui pensent et conçoivent la science en français doivent être initiés dès leur plus jeune âge.  Les participants ont souligné l’importance de l’éveil aux sciences des élèves du primaire en particulier. La science en français c’est aussi la vulgarisation des savoirs scientifiques, de la méthode d’étude propre à la science et des résultats de recherche auprès du public qui quoiqu’en pensent certains sont friands de mieux connaître, de mieux comprendre le monde qui les entoure.

Monsieur Quirion, la francophonie vous remercie d’avoir réuni à Montréal universitaires et représentants de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), de l’UNESCO et de l'ONU à réfléchir ensemble à La science en français au Québec et dans le monde - Entre richesse et rayonnement.

Dormez en paix, cher monsieur, je ne vois à l’horizon aucune armée de la communauté scientifique mondiale anglophone pour vous accuser d’hérésie et ériger un bûcher.

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Pour aller plus loin:

À écouter ou à lire.  3 ENJEUX ET AXES DE DISCUSSION

            1. Le français pour faire rayonner la recherche

Sophie Montreuil, directrice générale de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (Acfas), et Nathalie Drach-Temam, présidente de l’Université de la Sorbonne, ont fait valoir l’importance de renforcer la découvrabilité des contenus scientifiques francophones …

            2. Le français pour vulgariser la science auprès du grand public … discussion entourant les défis de vulgarisation scientifique auprès du grand public, en compagnie de Gérard Pelletier, directeur de Data Franca, et Mélissa Guillemette, Rédactrice en chef de Québec Science.

            3. Vers un modèle de formation et de mobilité de talents

« La science en français, c’est important, mais l’anglais permet aux scientifiques de se retrouver, de parler et de partager. C’est donc un outil de travail…  Odile Liboiron-Ladouceur, Assistant Professor, McGill University, McGill University Department of Electrical & Computer Engineering

[Émission C+clair] Science en français : pourquoi est-ce nécessaire aujourd’hui ?
https://www.cscience.ca/2023/05/01/emission-cclair-science-en-francais-pourquoi-est-ce-necessaire-aujourdhui/?

Et si le français était l’une des solutions à l’émergence d’un monde durable ?https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2023-05-01/et-si-le-francais-etait-l-une-des-solutions-a-l-emergence-d-un-monde-durable.php?

[i] Programme du Colloque : La science en français au Québec et dans le monde - Entre richesse et rayonnement -   https://frq.gouv.qc.ca/app/uploads/2023/04/programme_complet_forum_science_en_francais_vf_2023-04-24.pdf

[ii] Rémi Quirion - https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/le-scientifique-en-chef/

[iii] Jean Hugues Roy, Etude sur la langue des thèses et mémoires au Québec entre 2000 et 2022.   https://github.com/jhroy/theses2023/blob/main/images/Theses-et-memoires-2000-2022.png

[iv] Érudit -   https://bib.umontreal.ca/guides/bd/erudit

 [v]Service d’aide à la recherche en français (SARF) -   https://www.acfas.ca/medias/nouvelle/mise-place-du-service-aide-recherche-francais-sarf

 

Dernière modification le vendredi, 24 mai 2024
Ninon Louise LePage

Sortie d'une retraite hâtive poussée par mon intérêt pour les défis posés par l'adaptation de l'école aux nouvelles réalités sociales imposées par la présence accrue du numérique. Correspondante locale d'Educavox pour le Canada francophone.