Parcoursup est-il stressant ?
Commençons par la question soulevée par Fabien Beltram[1] : « Est-ce Parcoursup qui génère du stress ou bien la situation de devoir faire des choix d’orientation ? ».
Nul doute que c’est bien l’interrogation concernant son orientation professionnelle qui est stressante. Mais pas que, car cette question est englobée dans une interrogation beaucoup plus large. Elle renvoie à un passage social sans rite de passage. Les études à envisagée sont non seulement une préparation à l’entrée dans une activité professionnelle (peut-être ?), mais surtout un entre-deux dont la sortie sera une nouvelle étape de vie, « la vie active » comme on dit.
Pendant longtemps, l’articulation entre le lycée et le supérieur (qui ne concernait qu’une toute petite partie d’une génération) se jouait sur un événement, s’inscrire dans une université (après la folklorique file d’attente parfois) ou passer et réussir un concours, et pour quelques-uns se payer une place. Depuis trente ans, les plateformes d’inscriptions constituent ce moment, et avec le temps se sont complexifiées. Elles organisent un processus temporalisé avec des étapes successives obligatoires.
Un autre aspect propre à ce moment, c’est qu’il est métaphorique, il réduit la grande question « que vais-je faire de ma vie ? » à « quelles études vais-je faire ? ». Réduction violente pour certains, et bien arrangeante pour d’autres (LA question est alors repoussée à plus tard). Autrement dit l’institution scolaire impose une formalisation, temporalisée et réductrice d’un processus psychique, se projeter plus tard.
La fonction de Parcoursup : la mise en relation
Rappelons que, même si la plateforme Parcoursup s’entoure de toute une série de services (accès à diverses informations, et accompagnements, plus ou moins réellement organisés) elle est d’abord un élément dans un dispositif d’affectation.
La plateforme nationale est pour l’essentiel une « mise en relation entre demandeurs et offreurs de formation » et n’opérant pas de décision elle-même. L’État s’est désengagé de l’orientation (décision) et a organisé un quasi-marché[2].
Si je pense que l’État s’est désengagé de la décision avec Parcoursup, je ne suis pas sûr qu’il ait décidé de mettre en place un système stressant. Les « améliorations » successives semblent bien montrer une volonté de réduire le stress produit par la plateforme. Mais aucune « amélioration » ne pourra rendre « fluide » la situation d’orientation et de trouver une, sa place.
Critique de Parcoursup par la recherche
Alban Mizzi, Ingénieur de recherche en sociologie à l’Université de Bordeaux s’exprime sur The Conversation[3]. Il s’interroge sur le « bon fonctionnement » de la plateforme. Pour lui, « Cela dépend de ce que l’on entend par « fonctionne », et cela dépend aussi des indicateurs sur lesquels on s’appuie. D’un point de vue technique et gestionnaire, la plate-forme attribue des places à une majorité d’élèves, mais elle en laisse un nombre non négligeable sur le carreau : plus de 24 000 candidats ont quitté Parcoursup sans recevoir la moindre proposition d’admission en 2024. »
Précisons ; que représentent les 24 000 candidats indiqués ? En fait, sur les 645 076 lycéens inscrits sur Parcoursup, 24 406 ont quitté la plateforme, soit 3,78 %. On ne sait pas non plus précisément pour quelle(s) raison(s) ils la quittent.
Il s’interroge également sur le rôle des algorithmes. Il rappelle la distinction essentielle entre la plateforme Parcoursup qui crée les appariements entre demandes et offres, et « ce que l’on appelle les « algorithmes locaux », qui sont les pondérations de l’outil d’aide à la décision propres à chacune des 24 000 formations qui doivent remettre chacune un classement des candidats à l’application. »
Et pour lui, « Parcoursup oblige à être stratège, à anticiper, à ne pas rater les échéances, à se connaître et à se vendre : c’est la quintessence de la dimension compétitive de l’école française. »
Il termine son propos par une réponse est un peu ambigüe : Parcoursup est-il à l’origine de la généralisation de la sélection dans le supérieur ? Valérie Mazuir pour les Échos[4] rappelait que « La loi « Orientation et réussite des étudiants » (ORE), promulguée en mars 2018, vise notamment à réduire le taux d’échec en première année de fac en permettant à chaque université de fixer des pré-requis pour choisir les étudiants. »
Sur France Culture[5], c’est Anne-Claudine Oller, Sociologue, Maître de conférences en Sciences de l’Éducation à l’UPEC (université Paris Est Créteil), et chercheure au LIRTES et rattachée à l’OSC et au LIEPP – Sciences Po, qui répond. Pour elle, pour comprendre la difficulté accrue de l’orientation post-bac, il faut non seulement s’intéresser à Parcoursup, mais aussi à la réforme du lycée. Les bacs étant supprimés, les élèves doivent construire leur formation par des choix d’options et de spécialités. Les offreurs précisent leurs exigences et notamment les spécialités attendues ou exigées. Ainsi l’épreuve des choix se fait très tôt dans le parcours au lycée. Il faut donc y réfléchir très tôt. Et comment être aidé ? Les évolutions sur l’accompagnement des lycéens ont été attribuées aux établissements et aux enseignants. Mais en fait, Anne-Claudine Oller, dans une enquête en région parisienne, a observé une très grande diversité entre les établissements. On peut suspecter également une grande diversité en intra-établissement.
En fait l’État donne des directives aux établissements, mais sans imposer ni sans donner les moyens pour mettre en œuvre.
Le retour de l’État avec François Bayrou ?
L’École est donc mise première préoccupation du Premier ministre qui la confie à la première ministre d’État, Élisabeth Borne. Et, bien sûr les premiers mots[6] concernent l’incompétence scripturale de certains des entrants en université. Liaison entre inégalité sociale et inégalité scolaire. Lamentations sur la précocité de l’orientation. Que faire alors ?
Facile, il suffit d’inventer (ou de ressortir) « l’année d’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur : ce qu’on appelait autrefois propédeutique, c’est-à-dire la préparation à un enseignement dont on ne maîtrise pas jusque-là les bases et les capacités ». Il y a comme un arrière-goût de la prépa-seconde d’Attal. Au lien d’améliorer la préparation, organisons un sas.
Lors de cette déclaration, le Premier ministre répond (ce qui n’était pas prévu) à une question lancée par un député à propos de Parcoursup. Et le ministre de l’Enseignement supérieur doit improviser une réponse : « Parcoursup est une question ».
Du coup on s’interroge, sera-t-il modifié ? Et dès le lendemain, le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, doit calmer les esprits par une déclaration à l’AFP : « «Il faut comprendre les choses de manière très littérale, c’est-à-dire que, comme toutes les politiques publiques», Parcoursup doit «être questionnée», a affirmé le ministre en guise d’explication de texte, dans un entretien avec l’AFP. «Parcoursup aujourd’hui, c’est une plateforme qui est fiable, qui est efficace (…), mais ça ne veut pas dire pour autant qu’elle ne doit pas évoluer, qu’elle ne doit pas bouger. Elle doit prendre en compte les réalités des territoires, intégrer les besoins ou le ressenti aussi des élèves, des familles», poursuit-il. » [7]
Rassurés ?
Pas tant que ça !
Des évolutions à venir sont annoncées ! Oui, mais dans quel sens ? Remarque en passant, il semble que le Supérieur chez François Bayrou soit synonyme d’Université, alors que son importance quantitative dans le champ du supérieur s’amenuise au « profit » d’organisations privées. Quant à son insistance sur l’orientation précoce (sans doute en cours de lycée), que dire de celle de fin de troisième et pour certains, bien avant par le décrochage ?
Enfin, dernière curiosité, au fond, le Premier ministre fait le constat d’un échec de la dernière réforme du lycée en insistant sur l’incompétence de certains entrants (un phénomène suffisamment massif pour attirer son attention ?). Il faut donc mieux préparer les entrants. Mais quand et comment ? La solution est puisée sans doute dans la mémoire personnelle du Premier ministre : la propédeutique, sas de compression-décompression qui à l’époque répondait aux mêmes critiques, trop d’entrants incapables.
Auteur : Bernard Desclaux
Article publié sur le site : Le blog de Bernard Desclaux » Blog Archive » Parcoursup, encore et encore
[1] Fabien Beltrame, (11 janvier 2025). Orientation et Parcoursup : pourquoi la formation ne peut pas être la clé d’entrée ! https://www.linkedin.com/pulse/orientation-et-parcoursup-pourquoi-la-formation-ne-peut-beltrame-ezzpe/?trackingId=F3JZ%2BIHxQCmRo%2Bj2noVvlQ%3D%3D
[2] Bernard Desclaux. (9 octobre 2015). L’état, l’orientation et le supérieur ? https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2015/10/09/letat-lorientation-et-le-superieur/ et Bernard Desclaux. (3 juin 2019). « L’État français considère-t-il encore l’orientation scolaire comme relevant de sa responsabilité ? » https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/03/l-etat-francais-considere-t-il-encore-l-orientation-scolaire-comme-relevant-de-sa-responsabilite_5470859_3224.html
[3] Alban Mizzi. (14 janvier 2025). Inscriptions post-bac : Parcoursup, l’orientation par algorithmes ? The Conversation. https://theconversation.com/inscriptions-post-bac-parcoursup-lorientation-par-algorithmes-246701
[4] Valérie Mazuir. (29 nov. 2018). Parcoursup, accès à l’université : ce que change la loi ORE. Les Échos. https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/parcoursup-acces-a-luniversite-ce-que-change-la-loi-ore-139646
[5] (15 janvier 2025). Parcoursup : comment les élèves font-ils face au dilemme de l’orientation ? France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/parcoursup-comment-les-eleves-font-ils-face-au-dilemme-de-l-orientation-3904900
[6] Pour une présentation de la partie éducation de la déclaration de politique générale, voir Agnès Millet. (16 janvier 2025). Discours de politique générale : François Bayrou veut revoir l’articulation entre secondaire et supérieur. L’Etudiant. https://www.letudiant.fr/lycee/discours-de-politique-generale-francois-bayrou-veut-revoir-larticulation-entre-secondaire-et-superieur.html
[7] Eloi Passot (15/01/2025). Parcoursup est amenée à évoluer, annonce le ministre de l’Enseignement supérieur. Le Figaro étudiant. https://etudiant.lefigaro.fr/article/lycee/parcoursup-est-amene-a-evoluer-annonce-le-ministre-de-l-enseignement-superieur-20250115/
Dernière modification le lundi, 20 janvier 2025