Recommandations :
- Il n’y a pas de pédagogie magique fonctionnant pour tous les élèves. Certains élèves sont demandeurs de cours classiques… il faudra les accompagner à l’autodidaxie (positionnement 2).
- Les cours en ligne ne remplacent pas l’enseignant : l’usage de cours en ligne ne remplace pas l'enseignant, c’est une manière de faire les cours autrement et plus exigeante en termes de temps de préparation qu'un cours magistral. Mais cela laisse du temps, en classe, pour accompagner les élèves qui en ont besoin. Cela permet de gérer l’hétérogénéité.
- Si vous optez pour de la classe inversée, il conviendra de préparer des solutions pour les élèves qui n’ont pas d’ordinateurs à la maison (accès au CDI ou ouverture de salles dédiées par exemple).
par Muriel Epstein *
Dans le cadre de recherches sur les innovations pédagogiques susceptibles de lutter contre le décrochage scolaire dans le secondaire, nous nous sommes intéressées à la réactualisation des pédagogies dites « actives » à l’heure du numérique (Epstein et Bouccara, 2015). La pédagogie active implique que les élèves fassent. Ils apprennent « en faisant ». C’est le principe du mouvement Freinet : « La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’école, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle » expliquait l’instituteur dans l’invariant n° 11 de sa méthode (1964).
Au cœur de ces pédagogies actives, on trouve deux éléments centraux : la création d’une communauté comme élément préalable et la mise en activité des élèves comme résultante positive.
Ces pédagogies ont comme effet démontré de participer à l’accrochage scolaire (mais non à l’amélioration des résultats en tant que telle). Ceci a notamment été montré par Brown et Campione (1995) lors d’une étude sur une communauté d’apprenants de niveau 6e s’enseignant réciproquement la lecture.
Cette étude analysant des interactions de 5 groupes de 6 enfants en laboratoire et en groupe classe a montré qu’il existe un intérêt des enseignements réciproques entre élèves pour favoriser des transformations pédagogiques. Elle expose également que la pédagogie active va de pair avec la création d’une communauté d’apprenants. En effet, analysent les auteurs, si les élèves sont « passifs » vis-à-vis du savoir enseigné, alors le groupe ne se crée pas. Il est nécessaire que les élèves puissent être en situation de recherche collective sur des sujets répondant à leurs besoins. Le présent article s’intéresse ainsi aux cours en ligne comme moyen possible et actuel pour proposer des pédagogies actives et différenciées.
Quelques définitions
Capsules : Vidéos de cours de courte durée.
REL : « Ressources En Ligne » ou « Ressources Educatives Libres ». Il s’agit de ressources d’apprentissage en libre accès (vidéos, quizz, jeux, programmes). Les capsules sont généralement des REL (si elles sont en libre accès).
MOOC : « Massif Online Open Course », ou en français : « Cours en ligne gratuit massif ». Sur plusieurs semaines, avec une date de début et de fin et de nombreux inscrits simultanés : cours auquel n’importe qui peut s’inscrire, suivre des cours en vidéo, incluant généralement des quizz. Les MOOC peuvent donner lieu à certification. Un MOOC peut être composé de REL.
Pédagogies différenciées et mise en activité des élèves
La méta-recherche de Christian Barette (2009) en collégial (niveau lycée au Canada), basée sur 32 études empiriques conduites entre 1985 et 2005, visait à mettre en évidence ce que permettent ou ne permettent pas les TICE. Ainsi, les TICE, en général, n’améliorent pas les résultats scolaires des élèves mais les ressources interactives, telles que les REL, s’avèrent efficaces lorsqu’il s’agit de mettre en place des pédagogies différenciées et des pédagogies de projet. L’argument majeur est que chaque élève peut regarder à son rythme les vidéos de cours autant de fois que cela lui est nécessaire. Ceci est développé par Nicole Tremblay et Sophie Torris (2005) dans un article rédigé à partir d’apports théoriques (Freinet, Meirieu) et d’une observation qualitative dans une « classe Freinet ». Les TICE peuvent favoriser une pédagogie différenciée et collective telle que Freinet le préconisait à travers :
- une pédagogie de projet (collective) avec des plages de choix durant lesquelles l’élève peut être actif ;
- l’introduction d’outils nouveaux favorisant l’ouverture sur le monde (à l’imprimerie en classe, telle qu’imaginée par C. Freinet, ont succédé la radio, le cinéma, la télématique…) ;
- une valorisation du travail de l’élève qui peut sortir du cadre de la classe (audience plus large…) ;
- et une individualisation des parcours des élèves grâce à la multiplicité des outils accessibles.
Ainsi, les technologies pour l’éducation peuvent offrir l’occasion de passer en pédagogie active et de susciter les questionnements des élèves.
Les cours en ligne pour faciliter la mise en place de pédagogies actives et différenciées
Il faut certes sortir de ce que Le Mentec, Fontar et Plantard appellent « le terrorisme de l’impact » (2013) désignant les discours qui exploitent l’idée d’un attrait immédiat des jeunes pour les TICE et, d’autre part, la représentation des TICE comme « la solution » (à l’ennui en classe, aux inégalités, etc.).
Néanmoins, des études montrent que les TICE, sans être en elles-mêmes une panacée ni une solution systématiquement transférable, peuvent faciliter la mise en activité des élèves et l’interactivité des apprentissages, en particulier si les élèves peuvent choisir le contenu de ce qu’ils apprennent, le commenter et donc se l’approprier.
C’est ce que conclut Rolland Viau de l’Université de Sherbrooke, sur la base d’une méta-analyse menée à partir de 70 articles scientifiques portant sur les TICE et la motivation des élèves (Viau, 2005). La motivation est l’une des étapes de la mise en activité des élèves.
Une étude empirique, menée aux Etats-Unis (Guo et al, 2014) et basée sur l’analyse quantitative et qualitative des données issues de 6,9 millions de sessions vidéo sur la plateforme de cours edX (MOOC fondé en 2012 par l’Université Harvard et le MIT), a permis de démontrer l’intérêt des cours en ligne pour l’engagement des étudiants dans leurs apprentissages, en particulier lorsque les vidéos sont courtes, lorsque l’on y voit le visage de l’enseignant et qu’il s’adresse directement aux élèves.
Cette étude à large échelle a ainsi mesuré le temps de connexion des étudiants pour chaque vidéo et leurs réponses à des problèmes d'évaluation post-vidéo. L’objectif était également de préconiser une série de recommandations pour aider producteurs et enseignants à mieux tirer parti du format vidéo en ligne pour l’enseignement. Notamment, des cours faits en classe et mis en vidéo puis diffusés simplement ne sont pas des outils plus adaptés qu’un cours magistral et n’entraînent aucune mise en activité.
La collaboration entre élèves
Comme nous le montrons dans nos études quantitatives et qualitatives auprès d’enseignants et par observations en classe (Epstein et Beauchamps, 2014 et Epstein et Bouccar, 2015), les enseignants peuvent profiter des TICE (tablettes, appli, documents partagés…) pour mettre en place du travail collaboratif/coopératif entre les élèves : ces derniers peuvent être impliqués dans la construction du cours.
Ainsi, avoir un ordinateur (ou une tablette) pour plusieurs élèves est plutôt un avantage car cela peut faciliter le travail de groupe. Il est également possible de profiter des technologies pour passer en mode projet avec une exposition : les outils de communications (blogs, Twitter, etc.) peuvent donner une autre ampleur à ce qui aurait été il y a 20 ans un simple exposé dans la classe.
Comme nous l’avons observé lors de notre recherche-action auprès de 200 élèves lycéens décrocheurs, ou à risque de décrochage, à qui nous avions demandé de construire des vidéos de cours, l’usage des cours en ligne permet des pédagogies plus inclusives, où chaque élève peut avoir son « métier d’élève » au sens de Freinet, facilitant la gestion de l’hétérogénéité des classes et limitant le décrochage scolaire (Epstein et Beauchamps, 2014). En effet, un élève absentéiste pourra voir un cours et avoir un rôle même s’il était absent les cours précédents : par exemple, il pourra dessiner un élément de la vidéo, tenir la caméra ou participer à construire le cours.
La posture de l’enseignant
L’analyse de Tremblay et Torris (2005), citée plus haut, montre également le changement de positionnement de l’enseignement selon la situation (analyse confirmée par Chaptal, 2003 et Feyfant, 2009) : les TICE peuvent favoriser l’enseignement dit « mutuel » (où les élèves s’entraident indépendamment de leur niveau et travaillent en collaboration) par opposition à l’enseignement « simultané » (où les élèves d’un même niveau écoutent).
Ainsi, les enseignants peuvent être dans trois positionnements : le premier dit « behavioriste » est celui où ils sont « transmetteurs de savoir » ; le second dit « rationaliste » conduit à la position de « facilitateur » ; dans le troisième dit « constructiviste » l’enseignant est un « animateur, un guide qui anime, aide, provoque, questionne, organise, propose, suggère, laisse agir, remédie » (Feyfant, 2009).
Ce dernier positionnement est celui dans lequel les élèves travaillent le plus entre eux. Ils sont en pédagogie active et utilisent des outils qui leur donnent une plus grande autonomie (tels que les REL par exemple).
La conviction des enseignants est également déterminante. Une étude interne à la Khan Academy (non publiée à ce jour) sur l’usage de leurs contenus montre que la manière dont l’enseignant présente les contenus (enthousiasme ou scepticisme) est déterminante. Autrement dit, si l’enseignant n’est pas convaincu que l’expérience va être une réussite, elle ne le sera pas. C’est également un des résultats de l’étude de Guo et al (2014) mentionnée plus haut.
Conclusion
Les cours en ligne (capsules, REL et MOOC) peuvent être des outils utiles pour mettre en œuvre des pédagogies actives. Ce ne sont pas les cours en tant que tels qui sont pertinents pour mettre les élèves en activité mais leur articulation avec une pédagogie différenciée dont la mise en place est facilitée par ces outils. Ainsi, l’usage de capsules, REL, ou le fait de faire faire des MOOC à des élèves sont des outils pédagogiques performants pour une pédagogie active, différenciée et coopérative.
* Muriel Epstein - Docteure en sociologie, agrégée de mathématiques
Article initialement paru sur le site : http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/les-cours-en-ligne-leviers-pour-une-pedagogie-active-98.htm
Dernière modification le vendredi, 27 mai 2016