Rappel de l’éducation à l’orientation
Le thème de l’éducation à l’orientation (EAO) fut introduit par le ministère de l’éducation nationale au milieu des années 90, lors du ministère Bayrou et quelques années après avoir donné le titre de psychologue aux conseillers d’orientation. Une approche éducative de l’éducation venait de s’affirmer au sein du ministère face à la conception déterministe qui y régnait jusqu’alors. Paul Ricaud-Dussarget, Inspecteur général de l’éducation nationale du groupe établissement et vie scolaire commentait sa circulaire ainsi : « On pensait pouvoir définir naguère, avec des outils qu’on croyait fiables, le « profil » de l’élève et faire un pronostic de son avenir scolaire et social. Cette vision correspondait d’ailleurs à une période relativement stable de l’histoire économique et sociale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’avenir est incertain et peu prévisible. Il s’agit alors de donner à l’élève les moyens de faire, tout au long de sa vie, des choix réalistes et adaptés. » (Propos publié dans le B.O. n° 38, du 24 octobre 1996, p. 2583).
Au début des années 2000, avec sa Résolution sur « Mieux inclure l’orientation tout au long de la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie », du 21 novembre 2008, le Conseil de l’Union européenne précise les quatre principes directeurs :
- favoriser l’acquisition de la capacité à s’orienter tout au long de la vie,
- faciliter l’accès de tous les citoyens aux services d’orientation,
- développer l’assurance qualité des services d’orientation,
- encourager la coordination et la coopération des différents acteurs aux niveaux national, régional et local.
Concernant le premier principe, les ministères français travaillent la question avec la succession des « parcours » en commençant par le Parcours de découverte des métiers et des formations (PDMF) et aujourd’hui le « Parcours avenir ». Le quatrième principe a donné lieu à diverses tentatives qui aboutissent finalement à l’attribution de la compétence orientation à la Région par la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » et par là la mise en œuvre, par elles, des principes 2 et 3. Mais le ministère de l’EN conserve la responsabilité de l’orientation scolaire.
Les procédures d’orientation
Côté orientation scolaire, ou ce que j’appelle les règles de circulation de l’élève dans le système scolaire, quelles sont les évolutions récentes ? Les procédures d’orientation sont maintenue dans leur champ traditionnel, le secondaire, mais avec deux inflexions différentes. Au collège après la quasi suppression du redoublement par le ministère Vallaud-Belkacem, le ministère Blanquer l’a réintroduit[1] en le rendant possible chaque année (donc sans tenir compte de la notion de cycle) et en renforçant le pouvoir du chef d’établissement. Côté lycée, avec la suppression des filières, la procédure est réduite à la question du passage dans la classe supérieur, le choix des spécialités étant libre[2]. La construction du parcours scolaire du lycéens serait donc libre, sur le papier en tout cas, car il y a quelques limitations due à l’offre réelle de formation de chaque lycée.
Et au bout du compte il y a Parcoursup, le nouveau système d’affectation dans le supérieur. A cette occasion le ministère a généralisé le pouvoir de sélection aux Universités transformant tous les lycéens en stratèges. Non seulement la « hiérarchie apparente » des bacs va disparaître avec la suppression des séries, mais la particularité de Parcoursup c’est également la suppression de la hiérarchie des demandes. Le message implicite serait alors « tout vous est possible », c’est d’ailleurs un peu ce qui ressort de la vidéo de présentation du nouveau baccalauréat en 2021 sur la page du ministère de l’éducation nationale.
Cette ouverture des possibles est bien sûr positive en soi, mais elle est aussi très angoissante. Si tout est possible alors tout est équivalent et l’avenir est incertain. Que choisir, que désirer ? Certains ont l’environnement social et familial pour s’affronter à cette nouvelle situation, mais la majorité ne l’ont pas.
L’entrée de la Région
Si le rôle d’un Etat est de réduire les inégalités, alors l’accompagnement des élèves est essentiel. Au lycée, un temps d’aide à l’orientation tout au long du lycée est introduit dans le temps scolaire pour préparer les choix de parcours et, à terme, l’entrée dans l’enseignement supérieur. Suite à la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » cet espace-temps est ouvert à la Région selon des modalités négociées dans chaque Région et Académie. Le cadre national de référence entre l’État et Régions de France[3], le rapport dit « Charvet » titré « Refonder l’orientation, un enjeu Etat-régions » et le rapport de Terra-Nova « « Viser plus haut » : de nouvelles ambitions pour démocratiser l’enseignement supérieur » (voir mon commentaire sur ce blog), ouvrent, entre autre, des pistes de réflexion pour la mise en œuvre de l’accompagnement à l’orientation des élèves. Mais du côté de l’Etat aucune décision de réorganisation profonde n’est prise, et les Régions de leurs côtés évoquent des expériences très diverses et parfois s’interrogent sur la pertinence de leur action alors que la responsabilité « formation professionnelle » leur a été retirée. Donc s’il y a une nécessité, il y a pour le moment une grande incertitude à ce niveau.
L’enquête de l’OVE (observatoire de la vie étudiante) « L’orientation étudiante à l’heure de Parcoursup : des stratégies et des jugements socialement différenciés » qui porte sur des lycéens de l’organisation encore actuelle du bac, devrait être un document de base pour élaborer les programmes d’intervention auprès des futurs lycéens et montre bien la complexité de la situation actuelle.
Mais au niveau du collège on ne touche rien ! L’«Expérimentation du dernier mot aux parents dans les choix d’orientation au collège» a été abandonnée. Avec le maintien des procédures d’orientation au collège et des trois voies post-collège (seconde GT, bac pro et CAP), le collège garde sa fonction de triage des élèves rendant impossible une réelle éducation à l’orientation à son niveau, les mêmes acteurs étant chargés des trois fonctions : enseigner, éduquer, orienter.
Une éducation à l’orientation serait donc bien nécessaire mais les conditions semblent loin d’être réunies.
Bernard Desclaux
[1] Bruno Magliulo « Redoublement et rôles du conseil de classe et du chef d’établissement : on resserre les boulons » https://www.linkedin.com/pulse/redoublement-et-r%C3%B4les-du-conseil-de-classe-chef-les-boulons-magliulo/
[2] Voir mes articles « Orientation et positionnement en seconde » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/02/20/orientation-et-positionnement-en-seconde/ et « Les nouvelles procédures d’orientation en fin de seconde » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/09/27/les-nouvelles-procedures-dorientation-en-fin-de-seconde/
[3] Mon commentaire de celui-ci : « Le régalien, le cadre et la conception » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/05/28/le-regalien-le-cadre-et-la-conception/ et « Le cadre et le partage des territoires de l’orientation » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/06/05/le-cadre-et-le-partage-des-territoires-de-lorientation/