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Il y a de très fortes chances que ce billet ne fasse pas consensus. Peut-être même aurai-je droit à des commentaires peu amènes, à des textos vengeurs anonymes, à des départs massifs de « followers », voire à une chute vertigineuse de mon Klout ! Qu’à cela ne tienne !
Les missions d’un enseignant sont définies, depuis 2005, par l’article L912-1 du Code de l’éducation, de la manière qui suit :
« Les enseignants sont responsables de l’ensemble des activités scolaires des élèves. Ils travaillent au sein d’équipes pédagogiques […].
Les enseignants apportent une aide au travail personnel des élèves et en assurent le suivi. Ils procèdent à leur évaluation. Ils les conseillent dans le choix de leur projet d’orientation en collaboration avec les personnels d’éducation et d’orientation. Ils participent aux actions de formation continue des adultes et aux formations par apprentissage.
Ils contribuent à la continuité de l’enseignement sous l’autorité du chef d’établissement en assurant des enseignements complémentaires.
Leur formation les prépare à l’ensemble de ces missions. »

Bien entendu, ne sont pas mentionnées ici les longues heures à préparer les cours, souvent le week-end et en vacances, à veiller, à collecter des documents, à échanger avec les collègues sur le web, sur Twitter… ou au bar du coin. Et puis il faut corriger les copies, devoirs, exercices… et c’est parfois très très long…
Et tout cela vient en sus, naturellement, des heures de cours qui sont, dans le second degré, fixées à 15 heures par semaine pour les professeurs agrégés, à 18 heures pour les professeurs certifiés et les professeurs des lycées professionnels. Les services sont légèrement différents pour les professeurs d’EPS et franchement différents pour les professeurs documentalistes. 
Pour ne parler que du gros du bataillon, soyons clair, rien ne justifie, en 2013, que persiste dans le second degré, dans les collèges et lycées donc, un double système de recrutement par concours. Ces professeurs certifiés et agrégés encadrent les mêmes classes, enseignent aux mêmes élèves, produisent les mêmes enseignements, font l’objet de la même considération de la part des élèves et de leurs parents.
Il s’agit là d’un archaïsme ahurissant.
Une refondation qui n’aurait pas peur de son nom s’enorgueillirait de le supprimer. Définitivement. Une refondation qui ne frémirait pas s’attacherait à rassembler, après concertation, autour d’un projet de formation et de recrutement d’un corps unique de professeurs du second degré.
Voilà qui est dit.
Comme vous le savez, par ailleurs, la Cour des comptes s’est récemment fendue d’un rapport plutôt acide qui note, à propos des services :
« Ainsi, la seule obligation à laquelle sont tenus les enseignants du second degré, en vertu de décrets dont la plupart date de 1950, est d’assurer, selon leur statut, entre 15 et 18 heures de cours hebdomadaires pendant les trente-six semaines de l’année scolaire. Toute autre mission que celle de « faire cours » est exclue du temps de service, en particulier le travail en équipe et l’accompagnement personnalisé des élèves »

Voilà qui est clair, la multiplication de ces dernières tâches et l’augmentation substantielle du temps que les professeurs y consacrent, notamment dans les zones d’éducation prioritaire, contraint d’ores et déjà à les intégrer dans un service global qui, du coup, n’est plus seulement compté en heures de cours, pardon !, en séquences de cinquante-cinq minutes.
Sur le coup, les magistrats de la Cour des comptes ont vu juste. Mais ils n’ont pourtant guère été visionnaires.
Le numérique éducatif
En effet, à l’image de la société, l’école s’imprègne du numérique benoîtement mais aussi douloureusement, car rien n’est facile dans un écosystème si ancré dans la tradition, Il s’agit, je l’ai déjà dit, d’une collision si importante que l’ensemble du système éducatif s’en trouve ébranlé.
Cela concerne d’abord, de manière apparente, les aspects les plus matériels, architecture des écoles et établissements, mobilier des espaces éducatifs, matériels innovants spécifiques, raccordement au haut débit… Mais, plus profondément, les hommes — les femmes surtout, tant le métier d’enseignant est féminisé — et les organisations sont dans l’obligation, dès aujourd’hui pour la plupart, demain pour les autres, de changer, d’évoluer, de s’adapter mais de progresser aussi.
Les modes d’apprentissage, les modes d’appropriation et de mobilisation des savoirs, les modalités de mise en œuvre des enseignements, les savoirs exigibles eux-mêmes sont en train de changer radicalement. Les quelques lignes ci-dessus apparaissent maintenant pour des truismes et ne sont contestées que par une poignée de réactionnaires finkielkrautiens.
La hiérarchie, la gouvernance, le management vont devoir se réformer profondément. L’évolution des modes d’évaluation du système éducatif et des professeurs, confiés aux corps d’inspection, est inéluctable.
Les contours mêmes des disciplines vont évoluer, c’est aussi une certitude, de même fort probablement que vont se tisser, peu à peu, des passerelles plus nombreuses entre elles. Le numérique contraindra à échanger, à partager des objectifs, à co-construire, à collaborer.
Les professeurs vont modifier profondément leur posture, l’instructeur seul possesseur des savoirs se transformant peu à peu en accompagnateur médiateur, augmenteur et mobilisateur des savoirs et des connaissances. Encore une fois, ce que j’énonce ci-dessus est repris, à quelques nuances près par la plupart des prospectivistes de l’éducation.
De manière plus pragmatique, le maître sera plus souvent peut-être à côté de l’élève que face à lui ; il consacrera, au-delà du temps d’enseignement stricto sensu à fournir lui-même ou à aider ceux qui s’en chargent, dans d’autres espaces d’enseignement, virtuels peut-être, un accompagnement personnalisé à chaque élève, ceux qui sont en difficulté les premiers.
Le professeur aura sans doute à proposer, pour qu’ils soient mis en ligne sous forme d’animations ou de vidéos, dans des parcours scénarisés, des tutoriels magistraux, des cours, des séquences, des exercices pour s’évaluer. De même, il devra sans doute disposer de temps pour continuer à garder, au-delà du temps de présence dans l’établissement scolaire, un lien privilégié et individuel avec chaque élève, sous la forme qui lui paraîtra la plus adéquate, et peut-être la moins intrusive et perturbante pour la vie privée et familiale, mais aussi avec les collègues membres de l’équipe éducative comme avec les parents dudit élève.
Je sens bien là que ce que je dis est de moins en moins consensuel.
Il faut juste prendre conscience de ces tensions et de ces évolutions : le numérique contraindra à demander à chaque professeur plus de temps dans l’espace scolaire pour toutes ces nouvelles activités, d’une part, à lui demander aussi, hors de l’espace scolaire, encore du temps et de la disponibilité sur des espaces virtuels, et cela ne saurait se faire sans que soit modifié radicalement, à la baisse évidemment, son temps de présence devant des groupes d’élèves.
Dans ce cadre, il y a urgence à mener un chantier — il va de soi que cela ne pourrait se faire sans concertation avec les personnels et leurs représentants syndicaux — sur une redéfinition des services des enseignants en même temps qu’une complète réécriture des missions qui leur sont assignées. Le plus tôt sera le mieux.
Là, je sens bien confusément que j’ai perdu quelques lecteurs. Revenez vite !
À suivre.
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/
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Crédit photo : zoom_artbrush via photopin cc
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.