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Puisque tout le monde s’y met, il n’y a pas de raison que je ne fasse pas moi aussi un devoir d’automne sur le sujet. Ainsi, c’est à l’issue de plusieurs longs mois de concertation avec moi-même, lors de longues et pénibles veillées tardives où la recherche permanente du consensus fut ma ligne de conduite, que je suis enfin arrivé à mettre au point les onze points-clés de mon plan pour l’école numérique.

Vous les trouverez ci-dessous énumérés. Il y en a onze parce que je n’aime pas les comptes ronds et que la onzième me semble être la cerise sur le gâteau.

Pour l’essentiel, ce sont des propositions que j’avais déjà faites, dans des billets épars, qui se trouvent ici présentées en un ensemble cohérent. Il va de soi que je suis prêt à en faire une présentation détaillée à qui me la demandera, jusqu’au plus haut sommet de l’État. C’est à prendre ou à laisser et, de préférence, dans l’ordre.

1Connecter à l’Internet à très haut débit chaque espace d’enseignement, chaque salle de classe, dans chaque école, collège ou lycée

C’est la condition nécessaire minimale et confortable à la mise en œuvre de la plupart des pratiques pédagogiques ordinaires ou des pratiques pédagogiques nomades et multiples, dans le nuage ou via l’ENT. C’est aussi la condition de la compréhension du réseau mondial et de la réussite des échanges et de la collaboration.

Dans les écoles ou établissements, des équipements de câblage actifs et passifs doivent pouvoir permettre d’apporter cette connectivité, à travers le Wi-Fi ou de manière filaire, à tous les équipements dans les classes ou les espaces d’enseignement.


2Engager sans tarder le chantier de la modification radicale des programmes, de la maternelle à la terminale, de l’évaluation et des examens

Les prémices de l’action du Conseil supérieur des programmes, observables à travers les premières propositions pour les programmes de maternelle comme pour le socle commun de compétences, de connaissances et de culture, rendent très peu optimiste sur sa volonté et sa capacité à mettre les programmes disciplinaires en conformité avec les exigences de la société numérique. Ce travail apparaît trop lent et, surtout, trop peu ambitieux.

On n’y perçoit pas clairement la volonté de prendre en compte les changements d’approche dans les modalités d’enseignement, dans la formation et la posture des maîtres, dans la nécessaire transformation de l’évaluation et des examens. Il devient urgent de prendre en considération les modifications substantielles de l’écriture et de soutenir et valoriser la créativité et la construction. Enfin, publier doit nettement apparaître comme une nouvelle compétence fondamentale.

Enfin, la place maintenant essentielle des sciences du numérique, des nouvelles humanités numériques et de l’éducation aux médias et à l’information dans toutes les filières n’apparaît pas clairement.


3Construire un plan massif de formation hybride, donc présentielle et en ligne, de l’encadrement administratif et pédagogique

Rien ne se fera, en matière de numérique éducatif, sans l’acculturation de l’encadrement et son engagement résolu et convaincu dans cette voie. La formation systématique des cadres doit faire l’objet d’un chantier prioritaire et presque préalable à celui des autres personnels. Bien entendu, le numérique devra marquer de son empreinte les modalités mêmes de ces formations.

Ainsi ces formations seront conçues selon un modèle qui alternera les moments en présentiel avec des prolongements en ligne sur des plateformes collaboratives. Les formateurs-tuteurs seront plus capables de susciter l’acquisition des connaissances en ligne que d’en apporter eux-mêmes, de coordonner la construction de pratiques collaboratives pair à pair, d’encourager à la co-formation, au partage et à la publication.


4Construire un plan massif et multiforme de formation et d’accompagnement de tous les enseignants, du premier et du second degré

Les mêmes modalités de formation, alternance hybride, co-formation, co-construction des savoir-être et des savoir-faire, collaboration, mutualisation, transversalité des regards et des approches, seront proposées aux professeurs. On insistera plus sur les modifications posturales des maîtres que sur la maîtrise des outils. On fera plus d’ateliers et de forums que de conférences. En parité, les chefs d’établissements et cadres pédagogiques prendront part aux moments clés de ces formations.

L’accompagnement bienveillant des pratiques pédagogiques sera permanent. Il sera confié de manière concertée aux corps d’inspection, dont les missions seront renforcées dans ce sens, et à des référents numériques dans les circonscriptions et les établissements. Ces derniers verront leur carrière revalorisée et seront convenablement déchargés pour remplir leurs missions.


5Organiser et structurer avec les collectivités territoriales la gouvernance de l’avancement du projet d’école numérique et des projets numériques des écoles, collèges et lycées

C’est le point-clé de la réussite d’un plan relatif au numérique à l’école. Sans les collectivités territoriales, communes, conseils généraux et régionaux, qui financent l’acquisition des matériels et en assurent la maintenance, comme elles contribuent aussi à l’chat des ressources éducatives, rien n’est possible.

L’État mettra en œuvre un dispositif pérenne de concertation et de pilotage permanent, dans les rectorats, les directions académique et les circonscriptions avec les collectivités locales. On y évoquera notamment la cohérence et l’adéquation des équipements, matériels et ressources, l’efficience des dispositifs académiques d’accompagnement des projets des écoles et établissements et la liaison nécessaire avec les entreprises chargées de la maintenance et de l’administration des systèmes.


6Susciter les initiatives locales en équipe et les projets d’école et d’établissement pour l’équipement et les ressources numériques

En matière d’équipement, au contraire d’un équipement massif et uniforme, il est important de susciter l’initiative et le désir des équipes d’enseignants et de leur donner les moyens de concevoir elles-mêmes les projets qui correspondent à leurs besoins. Les chefs d’établissements, les corps d’inspection, les référents numériques et les collectivités locales viennent en aide à la conception et à la formulation de ces projets. Le numérique de projet, comme on dit « pédagogie de projet » semble être la garantie de pratiques efficaces et valorisables.

L’État reste garant de l’égalité républicaine et aura pour mission de réduire les possibles traitement inégalitaires, notamment pour ce qui concerne les ressources et équipements personnels des élèves.


7Concevoir, avec les collectivités territoriales, des politiques cohérentes de marchés et d’achat de matériels et de ressources

Il est de la responsabilité de la gouvernance en compétences partagées de l’État et des collectivités locales et des dispositifs ainsi mis en place de concevoir des politiques cohérentes et adaptées de marchés pour l’achat des matériels et des ressources éducatives (manuels numériques, ENT, ressources granulaires, etc.). De manière idéale, le recours à des centrales d’achat est préférable et donne une bonne visibilité aux actions entreprises par les collectivités. Il s’adapte parfaitement aux logiques de réponses à des projets pédagogiques issus des équipes d’enseignants.

De manière concertée, partagée et adéquate aux projets, les services déconcentrés de l’État proposeront, de leur côté, un suivi adéquat par le prêt ou la démonstration des matériels et des ressources, ainsi que l’accompagnement prévu au point 4 (formation, corps d’inspection, référents numériques), alors que, de leur côté, les collectivités travailleront à prévoir et renforcer les dispositifs de maintenance et d’administration.


8Valoriser vraiment et promouvoir l’innovation et les projets innovants comme l’engagement numérique individuel et collectif

C’est un truisme, la reconnaissance institutionnelle est nulle dans ce pays, ou presque. Il y a tout à changer dans l’évaluation et la valorisation de l’engagement et des réussites des enseignants. Par ailleurs, il est plus que temps de valoriser par des espèces sonnantes et trébuchantes l’innovation avec le numérique. On a vu, récemment, comment des petits hiérarques frileux n’ont pas hésiter à sanctionner et entraver ceux qui osent avancer et progresser. On attend des décisions radicales à ce sujet, à la fois sur le recrutement de ces personnels et sur leur formation adéquate à ce millénaire !

Un effort particulier sera fait pour soutenir les missions et l’engagement des référents numériques.


9Organiser et structurer le flux des ressources numériques

À l’heure du numérique, les ressources, marchandes ou pas, libres ou pas, ne prennent de valeur que par l’enrichissement qu’apportent ou peuvent apporter celles et ceux qui les mettent en œuvre. Quelle que soit la manière dont ces ressources sont présentées, le plus souvent stockées sur un site web central — c’est le cas du portail officiel Éduthèque, mais il y en a d’autres —, il devient nécessaire d’ouvrir et libérer ces ressources dans le flux du partage et des échanges.

Un chantier particulier sera consacré à revoir de fond en comble la législation en matière de droits d’auteur de telle manière à envisager la libération de certains droits et à créer ou renforcer l’exception pédagogique.


10Promouvoir un numérique éducatif éthique et responsable

Cette attitude doit être une règle d’or de l’engagement de l’État dans sa politique en matière de numérique éducatif. Il est en effet nécessaire de préserver le système éducatif et les élèves de l’influence des nombreux lobbys, économiques comme idéologiques — je peux fournir une liste, si besoin.

Il est par ailleurs important de définir avec les personnels des conventions d’usage raisonné comme, par exemple, le choix des formats de documents qui doivent être nécessairement interopérables.

De même, le contrôle, la censure et la fermeture autoritaires doivent être rejetés pour promouvoir l’ouverture et une éducation autonome et responsable de tous, et notamment des élèves, aux médias et aux pratiques numériques. Enfin, la mise en œuvre du numérique éducatif doit être l’occasion d’élargir et de renforcer les droits des élèves.


11Engager la réflexion et la concertation sur l’évolution nécessaire des missions et services des professeurs, des missions des inspecteurs, sur les temps et espaces de l’école

Le numérique, c’est un fait, bouleverse déjà les espaces d’enseignement et de formation, entre espaces clos et ouverts, entre réel et virtuel, entre proximité et distance, entre l’école et la maison. Aujourd’hui déjà mais demain à coup sûr, ce sont les temps d’enseignement qu’il va falloir réorganiser. Bientôt, ce seront les groupes d’élèves et d’apprenants qui vont éclater. Conséquemment les services des professeurs devront s’adapter à l’évolution de leurs missions. C’est un chantier qu’il faut entreprendre sans tarder car il est évidemment sensible.

De même, le numérique va contraindre les inspecteurs pédagogiques, comme je le suggérais récemment, à se transformer en animateurs de communautés d’enseignants en ligne, en capacité de catalyser les énergies et de valoriser et de promouvoir l’innovation numérique. Il faut, en même temps que leur formation, se préoccuper de faire évoluer leurs missions.


Pour terminer, sur le même sujet, on pourra lire ce qu’il en est, à ce jour, car il risque d’évoluer, du grand Plan gouvernemental. De même, le SE-UNSA contribue au débat avec ses dix propositions pour une école connectée au XXIe siècle qui recoupent nombre des miennes. Certaines formulations sont d’ailleurs si bonnes que j’ai pu les reprendre à l’identique sans y prendre garde. Ils voudront bien m’excuser.

Nous sommes donc d’accord sur l’essentiel. Et vous ?

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : kenteegardin via photopin cc

Dernière modification le lundi, 07 août 2017
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.