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Le monde des TIC et de l’enseignement supérieur s’agite depuis quelques mois sur la question des MOOC’s, ces cours en ligne ouverts et massifs, qui sont censés être le vecteur d’une révolution numérique.
On y trouve tous les ingrédients qui avaient déjà été servis pour annoncer la fin de l’université traditionnelle au début des années 2000 : les "nouveaux" étudiants qui seraient familiers du numérique, le retard des universités européennes (et françaises) par rapport aux ogres américains, le "brain drain" (pillage de cerveaux) qui se met en place au profit des grandes universités anglo-saxonnes, la source de profits incommensurable "à terme", la fin des diplômes traditionnels, etc.
Cette fois sera-t-elle la bonne ? Bien malin qui peut y répondre aujourd’hui.

On peut en revanche avancer déjà deux idées pour appréhender une partie du phénomène.

En premier lieu, à l’heure où l’on vante partout la créativité et l’innovation comme moteurs de la science et du développement économique et social, on peut se demander si la standardisation qu’implique les MOOC’s, autour de quelques acteurs leaders voire monopolistiques, est un processus très pertinent et porteur d’avenir. Certains chercheurs qui observent la globalisation de l’enseignement supérieur ont ainsi caractérisé les MOOC’s comme pointe avancée de la "McDonaldization" dans le domaine.

En second lieu, il faut rappeler qu’un dispositif de formation et de certification dans l’enseignement supérieur, tout numérique et innovateur qu’il soit, reste inséré dans les règles de fonctionnement sociales plus générales.

On a en effet l’impression, avec les MOOC’s, que les savoirs seraient une sorte de pâte inerte qu’il suffirait de distribuer à l’ensemble des couches sociales de la planète pour permettre une démocratisation enfin conforme à l’idéal méritocratique. Ainsi, en permettant l’accès de tous aux meilleurs "cours", on assurerait une sorte de miraculeuse multiplication des pains. On peut douter du caractère heuristique d’une telle croyance et de l’avènement d’une distribution égalitaire du savoir dans des sociétés profondément inégalitaires.

Autrement dit, ce n’est pas parce que l’enseignement devient "ouvert" et "en ligne" qu’il invalide du jour au lendemain ce qu’on a pu constater dans la relation entre éducation, formation, emploi et positions sociales. 

De ce point de vue, c’est une vision au mieux naïve que de penser que ce qui est en jeu dans la formation c’est uniquement de la connaissance socialement "neutre" et qu’un recrutement ne sanctionne que la maitrise de techniques et de savoirs. Il n’y a pas que les disciples de Bourdieu qui ont mis à jour le fait que les filières de formation et les diplômes sont insérés dans un ensemble de stratégies de clôtures, de promotions ou de relégations sociales dans lesquelles la transmission de connaissances est le vecteur de beaucoup d’autres choses que la simple reproduction des savoirs.

On sait, par exemple, que l’excellence dont se vantent les grandes institutions d’enseignement supérieur et qui séduit tant les recruteurs à au moins autant à voir avec la socialisation (voire "l’entre soi"’ ) qu’organisent leurs modes de sélection qu’avec la qualité de leur recherche ou de leur enseignement.

Les MOOC’s y changeront-ils quelque chose en la matière ? On peut oser une moue dubitative...

Les réseaux d’anciens des grandes écoles ou des sociétés étudiants d’Harvard (voir à ce sujet l’enquête de S. Grousset-Charrière) ne sont pas spécialement des amicales de passionnés d’équations mathématiques, de jurisprudence ou d’ouvrages d’art !

Il faudrait d’ailleurs que l’on se pose plus de questions sur les situations d’enseignement pour prendre en compte ce qui se passe en termes de socialisations, de coopération et d’interactions, comme contributions à l’apprentissage.

Ma collègue Laure Endrizzi a déjà noté (cf. Petite Poucette n’existe pas) qu’on surestime l’homogénéité et les compétences numériques des étudiants, en faisant par exemple comme si , avec la "génération Y", l’habileté présumée (plus que constatée d’ailleurs) dans le domaine personnel se transposait de façon transparente dans le domaine de l’apprentissage.

De façon plus générale, on peut se demander si les exemples de coopération à distance, dans la formation en ligne, peuvent pour l’instant être comparables avec ce qui se passe dans les pratiques coopératives "in situ".

S’il y a un avenir pour l’éducation "nationale" et "publique", face aux différentes concurrences domestiques ou internationales, c’est peut-être plus dans le développement de l’apprentissage collectif et les pratiques collaboratives que dans la course à la transmission de connaissances brutes.
Dernière modification le vendredi, 03 octobre 2014
Rey Olivier

Ingénieur de recherche au service Veille & Analyses de l’Institut français de l’éducation (ENS Lyon)