J’ai choisi d’évoquer tout particulièrement, comme je l’avais fait en d’autres occasions, les pratiques numériques médiatiques des jeunes, les enjeux pour l’école et la société. Dans les échanges qui ont suivi, nous avons tenté de tracer quelques perspectives, d’imaginer comment l’école serait contrainte à s’adapter et évoluer.
Comment ne pas s’interroger, par exemple, sur quelques-uns des chiffres que nous annoncent certaines des enquêtes récentes ?
Comment comprendre que plus d’un enfant sur deux, entre 6 et 15 ans, préfère demander à Google plutôt qu’à ses parents quand il ne sait pas quelque chose ?
Convient-il de se réjouir ou de déplorer que 98 % des lycéens aient un compte Facebook ?
Comment entendre que plus de deux élèves sur trois de 15 ans disent ne jamais utiliser Internet à l’école ? Deux sur trois !
Plus d’un enfant sur deux entre 11 et 17 ans accède maintenant librement et sans entraves à Internet via son ordiphone personnel. Ce chiffre ne cesse d’ailleurs d’augmenter de mois en mois… Encore une fois, faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?
Et, dans la même fourchette d’âge, comment interpréter le fait que 3 enfants sur 4 soient aussi en ligne quand ils regardent la télévision ?
Les parents doivent-ils s’inquiéter que trois sur quatre des enfants de 14 à 20 ans dorment avec leur mobile allumé sous l’oreiller, qu’un enfant sur dix à 15 ans passe 10 heures par jour en ligne, qu’une jeune fille de 15 ans envoie ou reçoive plus de 6 000 textos par mois, que près d’un enfant sur deux entre 13 et 17 ans reconnaît avoir « triché » avec son ordiphone lors d’un contrôle ou d’un examen ?
Que de questions !
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Pratiques numériques médiatiques des jeunes, enjeux et perspectives from mguillou
Vous trouverez ci-dessous l’intégralité du diaporama que j’ai utilisé. Les dernières diapositives ouvrent la réflexion et le débat pour rebondir et préciser les questions précédentes.
Quand il s’agit de refonder l’école, les discours et points de vue critiques, parfois polémiques, pleuvent. Avec la première étape que constitue la réforme des rythmes scolaires, la matière ne manque pas, favorable ou au contraire opposée aux propositions du ministre.
Si l’élève est toujours placé au centre de cette réforme, si on n’évoque sa présence, dans tous ces textes et discours, qu’à cette seule place, pour son seul confort et sa réussite, personne, à aucun moment, nulle part, ne se préoccupe de savoir s’il a changé, si l’élève de 2013 est le même qu’il y a dix, vingt ou trente ans.
Ainsi…
Quand les sollicitations sociales sont permanentes, comment mobiliser l’attention des élèves, assis six heures par jour à écouter leurs professeurs ? Quand le cours est ennuyeux, que le professeur parle seul déjà depuis quarante minutes, qu’il est bientôt l’heure de sortir, que l’attention s’est définitivement évanouie, ne pas répondre par texto, sous la table, sans regarder le clavier, à la question posée par un camarade « T où, tu fais koi ? », ne serait-elle pas une transgression des conventions sociales pire que l’irrespect montré alors à son professeur ?
Peut-on continuer à interdire les outils numériques personnels des élèves quand chacun d’eux est un terminal ouvert sur le monde ? Ces objets sont-ils définitivement bannis des salles de classe quand ils peuvent permettre de photographier, de filmer, de saisir des notes et des consignes, d’échanger et partager et enfin accéder à toutes les ressources du web, dont des ressources et applicatifs éducatifs et encyclopédiques ainsi que des réseaux et médias sociaux ?
Comment stimuler la curiosité des élèves pour chercher et découvrir dans un monde numérique infobèse ? Comment tirer profit du très faible capital d’attention disponible pour permettre aux élèves de produire, d’exercer leur curiosité et leur créativité, de faire un tri pertinent de l’information, de co-construire leurs apprentissages, de manière autonome et responsable ?
Comment concilier le travail collaboratif et coopératif avec l’évaluation traditionnellement individuelle ?
Comment faire évoluer les examens pour permettre l’évaluation des capacités à se saisir des connaissances disponibles en ligne et à se les approprier ? Ne serait-ce pas un bon moyen d’éviter la « triche » et la reproduction frauduleuse et stupide de contenus captés en douce par un ordiphone habilement caché aux yeux des surveillants que de changer de fond en comble les objectifs et les modalités d’évaluation lors de ces contrôles et de ces examens ?
Comment stimuler, organiser et promouvoir la création et la publication par les élèves de contenus numériques en ligne ? Publier n’est-il pas devenu un apprentissage aussi fondamental que lire, écrire et compter ? Confronter possiblement son point de vue à la critique d’un auditoire universel et illimité n’est-il pas un formidable défi pour l’expression publique, son épanouissement et sa régulation ? Quelles compétences sont-elles alors mises en jeu ?
Comment élaborer avec les élèves de nouvelles règles ou conventions d’usage des outils numériques, les leurs et ceux qu’on met à leur disposition ? Ne convient-il pas de jeter au feu tous ces stupides règlements ou chartes jamais négociés et donc jamais compris par les jeunes utilisateurs et producteurs pour enfin leur demander de bâtir eux-mêmes ou via ceux qu’ils ont élus, en lycée par exemple, le corpus réglementaire, la nétiquette consensuelle et collective qui s’appliquera alors à tous ?
Comment intégrer dans les enseignements l’acquisition par les élèves d’une culture numérique, technique mais aussi et surtout sociale et citoyenne ? Au moment où le projet numérique pour la refondation met cette question au cœur de la réflexion, ne convient-il pas de comprendre que le numérique, si nécessaire à l’éducation des élèves d’aujourd’hui, pour les former aux métiers de demain, ne se conçoit que dans son acception culturelle la plus large et non par le seul filtre étroit d’un nouvel enseignement scientifique informatique, comme le réclament à cors et à cris les nostalgiques d’un passé peu glorieux ?
Il est d’autres questions qui sont maintenant posées à l’école qui doit nécessairement prendre en compte les élèves tels qu’il sont aujourd’hui, pour les préparer aux métiers de demain, dont on ne sait encore quasiment rien. Il nous faut cesser de rêver et d’imaginer des élèves tels qu’ils pourraient ou auraient pu être, à l’image de ce que nous étions nous-mêmes ou rêvions d’être parfois, il y a quelques dizaines d’années.
Il est enfin encore bien d’autres questions qui sont posées pour adapter l’école à la société numérique, pour mieux et différemment former ses maîtres, pour changer leur posture et leurs méthodes traditionnelles, pour bouleverser les espaces et les temps scolaires, pour modifier en profondeur les enseignements, rapprocher et décloisonner les disciplines, pour enfin changer les missions assignées aux cadres administratifs et pédagogiques.
Les Cahiers pédagogiques interrogent en ce moment un certain nombre de personnalités sur l’idée qu’ils se font de la refondation et de ce qui leur paraît essentiel : « Qu’est-ce qui selon vous pourrait faire avancer l’école ? ». À cette question, qui ne m’est pas posée, je répondrais que l’école avancerait mieux et plus vite si elle se préoccupait enfin de comprendre ce que sont devenus aujourd’hui ses élèves et à quel point ces derniers aspirent à bénéficier d’un enseignement plus mobilisateur et dynamique, moins magistral aussi, qui fasse appel à leur autonomie et à leur responsabilité.
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/
Crédit photo : theirhistory via photopin cc
Dernière modification le lundi, 24 novembre 2014
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Pratiques numériques médiatiques des jeunes, enjeux et perspectives from mguillou
Vous trouverez ci-dessous l’intégralité du diaporama que j’ai utilisé. Les dernières diapositives ouvrent la réflexion et le débat pour rebondir et préciser les questions précédentes.
Quand il s’agit de refonder l’école, les discours et points de vue critiques, parfois polémiques, pleuvent. Avec la première étape que constitue la réforme des rythmes scolaires, la matière ne manque pas, favorable ou au contraire opposée aux propositions du ministre.
Si l’élève est toujours placé au centre de cette réforme, si on n’évoque sa présence, dans tous ces textes et discours, qu’à cette seule place, pour son seul confort et sa réussite, personne, à aucun moment, nulle part, ne se préoccupe de savoir s’il a changé, si l’élève de 2013 est le même qu’il y a dix, vingt ou trente ans.
Ainsi…
Quand les sollicitations sociales sont permanentes, comment mobiliser l’attention des élèves, assis six heures par jour à écouter leurs professeurs ? Quand le cours est ennuyeux, que le professeur parle seul déjà depuis quarante minutes, qu’il est bientôt l’heure de sortir, que l’attention s’est définitivement évanouie, ne pas répondre par texto, sous la table, sans regarder le clavier, à la question posée par un camarade « T où, tu fais koi ? », ne serait-elle pas une transgression des conventions sociales pire que l’irrespect montré alors à son professeur ?
Peut-on continuer à interdire les outils numériques personnels des élèves quand chacun d’eux est un terminal ouvert sur le monde ? Ces objets sont-ils définitivement bannis des salles de classe quand ils peuvent permettre de photographier, de filmer, de saisir des notes et des consignes, d’échanger et partager et enfin accéder à toutes les ressources du web, dont des ressources et applicatifs éducatifs et encyclopédiques ainsi que des réseaux et médias sociaux ?
Comment stimuler la curiosité des élèves pour chercher et découvrir dans un monde numérique infobèse ? Comment tirer profit du très faible capital d’attention disponible pour permettre aux élèves de produire, d’exercer leur curiosité et leur créativité, de faire un tri pertinent de l’information, de co-construire leurs apprentissages, de manière autonome et responsable ?
Comment concilier le travail collaboratif et coopératif avec l’évaluation traditionnellement individuelle ?
Comment faire évoluer les examens pour permettre l’évaluation des capacités à se saisir des connaissances disponibles en ligne et à se les approprier ? Ne serait-ce pas un bon moyen d’éviter la « triche » et la reproduction frauduleuse et stupide de contenus captés en douce par un ordiphone habilement caché aux yeux des surveillants que de changer de fond en comble les objectifs et les modalités d’évaluation lors de ces contrôles et de ces examens ?
Comment stimuler, organiser et promouvoir la création et la publication par les élèves de contenus numériques en ligne ? Publier n’est-il pas devenu un apprentissage aussi fondamental que lire, écrire et compter ? Confronter possiblement son point de vue à la critique d’un auditoire universel et illimité n’est-il pas un formidable défi pour l’expression publique, son épanouissement et sa régulation ? Quelles compétences sont-elles alors mises en jeu ?
Comment élaborer avec les élèves de nouvelles règles ou conventions d’usage des outils numériques, les leurs et ceux qu’on met à leur disposition ? Ne convient-il pas de jeter au feu tous ces stupides règlements ou chartes jamais négociés et donc jamais compris par les jeunes utilisateurs et producteurs pour enfin leur demander de bâtir eux-mêmes ou via ceux qu’ils ont élus, en lycée par exemple, le corpus réglementaire, la nétiquette consensuelle et collective qui s’appliquera alors à tous ?
Comment intégrer dans les enseignements l’acquisition par les élèves d’une culture numérique, technique mais aussi et surtout sociale et citoyenne ? Au moment où le projet numérique pour la refondation met cette question au cœur de la réflexion, ne convient-il pas de comprendre que le numérique, si nécessaire à l’éducation des élèves d’aujourd’hui, pour les former aux métiers de demain, ne se conçoit que dans son acception culturelle la plus large et non par le seul filtre étroit d’un nouvel enseignement scientifique informatique, comme le réclament à cors et à cris les nostalgiques d’un passé peu glorieux ?
Il est d’autres questions qui sont maintenant posées à l’école qui doit nécessairement prendre en compte les élèves tels qu’il sont aujourd’hui, pour les préparer aux métiers de demain, dont on ne sait encore quasiment rien. Il nous faut cesser de rêver et d’imaginer des élèves tels qu’ils pourraient ou auraient pu être, à l’image de ce que nous étions nous-mêmes ou rêvions d’être parfois, il y a quelques dizaines d’années.
Il est enfin encore bien d’autres questions qui sont posées pour adapter l’école à la société numérique, pour mieux et différemment former ses maîtres, pour changer leur posture et leurs méthodes traditionnelles, pour bouleverser les espaces et les temps scolaires, pour modifier en profondeur les enseignements, rapprocher et décloisonner les disciplines, pour enfin changer les missions assignées aux cadres administratifs et pédagogiques.
Les Cahiers pédagogiques interrogent en ce moment un certain nombre de personnalités sur l’idée qu’ils se font de la refondation et de ce qui leur paraît essentiel : « Qu’est-ce qui selon vous pourrait faire avancer l’école ? ». À cette question, qui ne m’est pas posée, je répondrais que l’école avancerait mieux et plus vite si elle se préoccupait enfin de comprendre ce que sont devenus aujourd’hui ses élèves et à quel point ces derniers aspirent à bénéficier d’un enseignement plus mobilisateur et dynamique, moins magistral aussi, qui fasse appel à leur autonomie et à leur responsabilité.
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/
Crédit photo : theirhistory via photopin cc