Positionner la réforme
Jean-Michel Blanquer, lundi 22 janvier, annonçait que « Les futurs élèves de seconde seront amenés à passer un « test de positionnement » en début d’année scolaire. » L’Etudiant précisait : « L’objectif de ce test ? Évaluer votre expression écrite et orale, ainsi que vos compétences en mathématiques, complète le ministère. Le tout sous une « forme ludique, agréable et numérique », a promis le ministre. »
Le site Vousnousils.fr faisait le parallèle avec ce qui se passe en L1 : « Ces tests, destinés aux nouveaux étudiants, débouchent sur des conseils en méthodologie, et sur des ateliers de soutien et d’orientation. Les jeunes en difficultés bénéficient ainsi d’un tutorat, permettant de réduire les risques d’échec au premier semestre de L1.
S’il s’agit d’un test similaire en début de Seconde, l’objectif pourrait donc être de vérifier les acquis du collège (en plus du brevet), ainsi que d’évaluer les compétences nécessaires pour un second cycle de l’enseignement secondaire, afin de proposer un soutien adapté en cas de lacunes détectées et de repérer dès le début les élèves en difficulté.
Et sur le site du ministère, la réforme de la seconde est laconique et se résume à la question de l’orientation :
« La seconde 2018 : 3 mesures pour réussir
À la rentrée 2018, la classe de seconde ne connaît pas de changement organisationnel majeur mais de premières évolutions destinées à installer l’état d’esprit du baccalauréat 2021 :
Un test numérique de positionnement en début d’année pour permettre à chacun de savoir où il en est en français et en mathématiques
Un accompagnement personnalisé tout au long de l’année concentré sur la maîtrise de l’expression écrite et orale
Une aide à l’orientation pour accompagner vers la classe de première (54h annuelles) »
Aide à l’orientation
Décrits ainsi, ces objectifs relèvent de l’aide à l’orientation apportée aux élèves.
A priori on peut s’en réjouir. Les trois éléments indiqués supposent, pour leur mise en œuvre, une organisation collective gérée au niveau de l’établissement. « Les élèves seront accompagnés selon les horaires prévus dans le cadre des marges d’autonomie des établissements (groupes à effectifs réduits, pédagogie différenciée, MOOC, etc.). » Et là, on peut sans doute s’interroger sur la faisabilité. Notre fonctionnement actuel, en particulier des lycées (des lycées généraux et technologiques) permet-il cette organisation collective ? Le « fameux » conseil pédagogique est-il réellement fonctionnel dans les lycées ?
Depuis plusieurs années le ministère lui-même, circulaire après circulaire, tente de mettre en œuvre une éducation à l’orientation et un accompagnement à l’aide à l’orientation dans les lycées, en vain. Ces activités restent la plus part du temps des activités menées par des individus s’impliquant personnellement, que ce soit des enseignants, des CPE, des professeurs documentalistes… Mais il est bien rare de rencontrer un fonctionnement organisé et mis en œuvre par l’établissement.
Et cela pour une raison finalement bien simple : le temps de travail des personnels enseignants français est mesuré en heures de cours. Aussi, toute autre activité est vécue comme se déroulant sur leur temps personnel, leur temps à gestion personnelle. A ceci se rajoute que l’enseignant français est défini par la ou les matières qu’il enseigne. Aussi, faire autre chose qu’enseigner « sa » discipline c’est faire autre chose que son métier. Si au collège la plus part des enseignants se trouvent dans la nécessité de « faire autre chose » que leur métier, il en est beaucoup moins le cas pour ceux du lycée GT. L’horizon de la préparation du bac s’impose encore fortement à tous, et le bac, c’est d’abord des disciplines.
Par qui va se faire l’aide à l’orientation ?
Les professeurs principaux sont explicitement nommés notamment pour une aide à l’information. Mais information sur quoi ? Sur l’organisation de l’enseignement supérieur, sur les contenus de formation, les professions… ? Sur tout cela, admettons. Outre que « faire de l’information » relève du « faire autre chose » signalé plus haut, cela suppose également un lourd travail préparatoire. Les enseignants sont-ils prêts à cet investissement personnel ? J’en doute. Les proviseurs sont-ils prêts à permettre à leurs enseignants de participer à des activités de formation en la matière ? J’en doute encore. Pour avoir été responsable de la formation des professeurs principaux durant plusieurs années dans une très grande académie (Versailles), académie qui avait les moyens d’organiser des formations, j’ai vu toutes les difficultés et les bons arguments utilisés pour éviter la participation des professeurs principaux des lycées, que ce soit dans des stages de bassin, ou que ce soit dans les opérations académiques de rencontres avec l’enseignement supérieur. Je ne vois pas ce qui aurait pu changer depuis.
La région, dont la compétence est l’orientation professionnelle est invitée à organiser de grandes manifestation collectives, comme les salons, forums, nuits de l’orientation… , ce qu’elle faisait déjà, mais elle est invitée également à apporter dans l’établissement des informations sur les métiers et les opportunités d’emplois selon les secteurs. Et sur ce dernier point on peut sans doute s’interroger et c’est un terrain plus délicat.
Il est essentiel que des informations générales sur l’économie, le marché du travail, une connaissance du monde du travail puissent être « apportées » aux lycéens. Mais qui peut le faire ? Au sein des établissements, il y a des enseignants de « SES » (sciences économiques et sociales) qui le font ou qui pourraient le faire, sur la base des études tant nationales que régionales. Il y a le CDI (le centre de documentation et d’information) dont une des compétences est l’organisation et la mise à disposition des ressources documentaires pour l’orientation des élèves. Il y a donc des ressources humaines, internes aux établissements sur cette question, sur cet objectif. Les établissements, et leurs personnels, en France ont toujours été très suspicieux pour ce qui concerne l’entrée des « étrangers » dans l’établissement. On a là une longue et lourde tradition lié à l’histoire de l’éducation en France[1]. Même si bien sûr, les lois de régionalisation ont fait évoluer les relations, les personnels défendent le plus souvent une vision nationale des objectifs d’enseignement et pensent qu’une vision régionale serait réductrice pour les élèves.
Enfin, suprême paradoxe, les ex-conseillers d’orientation-psychologue, devenus des psychologues de l’Éducation nationale « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle » (essayez de placer ce nom dans une conversation…) ne sont même pas nommés comme acteurs de cette aide. Sans doute que la position très lointaine du terme même d’« orientation » dans la dénomination de ce personnel explique cet oubli.
Et les procédures ?
Et bien, pas un mot sur les procédures d’orientation à l’issue de la seconde.
Rappelons tout d’abord la réforme de l’orientation au cours du lycée, celle de la réforme du lycée de Luc Chatel (2009). J’en ai parlé dans deux articles « L’orientation au lycée, réforme nationale ou locale ? » et « Où en est l’orientation en lycée ? ». Cette réforme nécessitait la bonne volonté des acteurs locaux et a été très peu mise réellement en œuvre.
Si l’on s’en tient au texte du site du ministère l’articulation entre la seconde et la première dépend du choix du lycéen : « Il n’y aura plus de série en voie générale mais des parcours choisis par chaque lycéen en fonction de ses goûts et de ses ambitions. »
Depuis 1959, les parents et élèvent formulent des « choix d’orientation », mais ces choix sont ou non validés par les conseils de classe, et en seconde il s’agissait du choix de la série. La disparition des séries supprime-t-elle l’autorisation du passage dans la classe supérieure ?
Avec le décret « Évaluation des acquis, accompagnement pédagogique des élèves, dispositifs d’aide et redoublement : modification »[2], ce fut le terme même de redoublement qui fut supprimé des possibilités de propositions de la part des conseils de classe. Le « maintien dans la classe » est une mesure demandée par la famille.
Si on combine les deux modifications des procédures, que reste-t-il comme pouvoir attribué au conseil de classe ? Un pouvoir de conseil… Les enseignants de lycée peuvent-ils s’en satisfaire ?
Et si on remonte à l’entrée en seconde on trouve cette nouveauté « ludique » du positionnement de et par l’élève lui-même. Mais sur quoi débouchera ce positionnement ? Si on comprend bien le texte laconique du ministère, il devrait y avoir une articulation entre ce positionnement et « Un accompagnement personnalisé tout au long de l’année concentré sur la maîtrise de l’expression écrite et orale. » Et si on prend le temps de télécharger « le parcours de Léa, future bachelière en 2021 »[3] on apprend qu’elle va bénéficier de « 2 heures d’accompagnement personnalisé consacrées chaque semaine à la consolidation de l’expression écrite et orale. »[4] Il s’agit donc d’un temps scolaire inclus dans l’emploi du temps hebdomadaire…. Ce qui nous amène au dernier point de ma discussion.
La constitution des classes
Tout organisme cherche à contrôler un certain nombre d’éléments afin de réduire l’incertitude. Rien d’anormal à cela. Dans les lycées, ce contrôle porte sur l’offre de formation, et la bataille autour des « spécialités » va s’ouvrir très prochainement. Le contrôle porte aussi sur celui de la circulation des élèves, l’orientation scolaire. Et l’on a vu plus haut que ce contrôle s’affaiblissait de plus en plus. Reste celui de la constitution des classes.
Rappelons pour mémoire le bon vieux problème des classes homogènes ou hétérogènes lancé par la réforme Haby, ça fait longtemps qu’il traîne dans l’éducation nationale ! Il a atteint le lycée très vite avec la réforme Beullac, mise en œuvre par la Gauche, à la rentrée de 1981. Cette réforme instituait la seconde de détermination. La réforme supposait la création d’une classe de seconde unique, comme cela avait été le cas avec la sixième unique de la réforme Haby quatre ans avant, chaque élève choisissant des options supplémentaires au tronc commun. On pouvait ainsi constituer des classes avec des élèves « hétérogènes ». Sauf que… Sauf que les contraintes sur les emplois du temps des enseignants des options étaient lourdes, et que les lycées jusque-là recevaient des élèves « pré-triés » pour former des classes homogènes (littéraires, scientifiques,…). Résultat, les classes de secondes furent constituées sur la base d’un regroupement des élèves ayant fait le même choix d’option, réduisant de beaucoup l’hétérogénéité des classes. Et c’est encore sur cette base que les classes des lycées sont faites d’ailleurs.
Que va-t-il résulter de la combinaison des choix d’enseignement des élèves et de l’accompagnement personnalisé suite au positionnement numérique et ludique ? A votre avis ?
Bernard Desclaux
Article initialement publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/02/20/orientation-et-positionnement-en-seconde/
[1] Par exemple : Philippe Gombert « Les associations de parents d’élèves en France : approche socio-historique et mutations idéologiques » in Revue française de pédagogie, 162 | janvier-mars 2008 : Acquisitions et progressions scolaires : recherches en psychologie et notamment le chapitre : L’État éducateur : les parents tenus à l’écart de l’institution scolaire. http://journals.openedition.org/rfp/780
[2] NOR : MENE1418381D décret n° 2014-1377 du 18-11-2014 – J.O. du 20-11-2014
MENESR – DGESCO A1-2 http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=84055
[3] A remarquer que à l’entrée en première, « Léa » devient Léo…
[4]http://cache.media.education.gouv.fr/file/BAC_2021/90/0/Infographie_parcours_Lea_740px_897900.pdf