Premières réflexions sur trois sources de difficultés
La confusion entre enseignement et formation soulève le problème de la définition de la compétence du formateur. Il y a trois origines de la labellisation d’un formateur.
Tout d’abord le corps d’inspection est sollicité. On peut penser que les critères utilisés seront essentiellement en termes de qualités professionnelles (savoir dans la spécialité, compétence reconnue de pédagogue, et ce que l’on peut appeler la loyauté institutionnelle). Ensuite il est labellisé par l’IUFM. Mais qui représente l’IUFM ? Et cette personne, ou cet ensemble de personnes utilise quels critères ? Il y a un ou deux entretiens à propos des expériences antérieures du candidat, de son réseau de connaissances. Le plus souvent le candidat a été repéré par d’autres formateurs, ou correspondants, ou autres personnes déjà « en place ».
Il y a donc là un jeu de cooptation. La cooptation s’appuie surtout sur la reconnaissance du « même » chez l’autre. Dans l’entreprise, on utilise l’expression « chercher son double ». Enfin il y a une troisième source de « labellisation », c’est la personne elle-même qui doit se déclarer candidate. Et dans l’affaire ce n’est pas négligeable. Il y a du très personnel là-dedans.
En tout cas cela suppose qu’il n’y a pas un processus général de « production de formateurs ».
La question du statut du formateur se pose également. Dans l’Education nationale, il est imposé que le formateur (la quasi-totalité des formateurs) continue pour partie son activité principale. En entreprise, on dira qu’il s’agit d’un formateur interne. A partir de là il y a deux types de problèmes. Tout d’abord il s’agit d’un « pair ». Sur quelle base l’identification se fait, à ses propres yeux et à ceux des stagiaires ? Il est d’abord formateur, ou d’abord enseignant (ou une autre profession de l’EN).
Les questions de connivence et d’évidence vont également se poser au cours des stages. Et en tant que « formateur interne », il se trouve alors sous la dépendance de l’institution qui l’a « nommé » formateur, et qui peut éventuellement le « dé-nommer ». Se pose également à côté de la dépendance, l’engagement personnel du formateur. Il va se démarquer de ses collègues (qui restent enseignants totalement). Il s’engage comme militant, il s’engage comme combattant ? Plusieurs tensions affectives vont donc être activées par cette question du statut.
Les situations de formation ont globalement trois objectifs.
Un premier objectif est relativement simple : le savoir et la remise à niveau dans la discipline.
Un deuxième objectif serait la méthodologie, la pédagogie. Ce deuxième thème peut être un peu problématique, il existe des conflits sur les méthodologies et les pédagogies, car elles supposent en fait des représentations fort différentes de l’ensemble des dispositifs d’enseignement.
Ce qui nous amène au troisième objectif : l’évolution des représentations et des rôles professionnels.
C’est l’objectif le plus problématique. Les représentations et les rôles ne sont pas isolés, ils appartiennent à un système, à la fois interne au sujet lui-même, mais également à un système externe. Les changements réels dépendent de l’acceptabilité de l’environnement.
La formation de formateurs, de quoi s’agit-il ?
La formation de formateurs à l’IUFM ne peut s’interpréter comme étant seulement la formation continue des formateurs actuels de l’IUFM (ceux des centres de la formation initiale). C’était la compréhension majoritaire à l’époque.
Elle doit permettre la formation de formateurs pour les nouveaux chantiers, tant de la formation initiale que de la formation continue.
Elle doit être également suffisamment réactive pour mettre en place des « Fo de Fo » très rapidement pour suivre les demandes rectorales, et elle ne peut donc pas être couplée avec le fonctionnement de l’année scolaire.
Outre les formations concernant les compétences de base de tout formateur (animation de groupe, méthode de créativité, écoute, etc…), il faut penser à des formations différentes selon les trois objectifs (formation, intervention, accompagnement).
Il serait également important de penser que pour chacun, il y a au moins trois « tâches » à faire fonctionner (cf. le tableau ci-dessous).
Le dispositif de formation de formateurs
Il doit donc assurer différentes fonctions ou permettre certaines activités.
- Acquérir des compétences générales d’animation d’utilisation de méthodologies créatrices
- Etre une occasion de comprendre les évolutions en général
- Permettre une élaboration collective, et assurer ainsi une référence collective aux formateurs
- Construire des dispositifs sécurisants tant pour les stagiaires que pour les formateurs, et on peut l’espérer un peu efficace.
Même les formateurs disciplinaires sont amenés à intervenir soit sur des activités qui débordent les contenus disciplinaires, et ils seront sans doute également amenés à intervenir en établissement ou dans des stages d’établissement ou de bassin, où d’autres enjeux ont cours.
Les difficultés des formateurs
Ici on peut ouvrir une liste de difficultés.
- Par quoi est-il défini ? En l’absence de statut de formateur, il est d’abord enseignant, COP, CPE… C’est d’ailleurs en général ainsi qu’ils se présentent, ou que les collègues leur demandent de se présenter. Ils ne sont pas formateur, mais d’abord professeur d’anglais par exemple.
- Par qui est-il défini ? Là les situations sont variables. Les corps d’inspections peuvent être « désignants », mais il y a surtout un grand principe de cooptation, et c’est surtout un réseau de connaissance qui repère, appelle, valide le futur formateur. En aucun cas un processus de formation du formateur. En gros, on est formateur d’abord, et on se forme après. Il y a donc une part de prise de risque personnel importante, et le formateur est le plus souvent un « militant ».
- Le formateur s’arrange. Il doit jongler avec son temps, afin de s’adapter aux fenêtres d’intervention qu’on lui propose-impose. Au fond, il est au service du demandeur ou du proposeur de stage. Très peu de prévisions sûres sont faites, sur lequel il pourrait s’appuyer pour organiser son propre emploi du temps. Si donc il arrange les demandeurs, on peut dire qu’il prend assez souvent le risque de déranger son employeur principal. Déjà qu’aux yeux des collègues « il se prend pas pour n’importe qui » en s’étant institué formateur, en plus il dérange l’organisation quotidienne des autres.
- Si les décharges sont annuelles, les périodes d’intervention, les fenêtres temporelles sont finalement très courtes. Selon les modes d’arrangement dans le fonctionnement habituel pour le formateur, il passe de périodes où « il ne fait rien » et des périodes de « surbooking ». Les collègues ne comprennent pas, quant au conjoint ou amis qui vivent dans un autre monde professionnel ils vous prennent pour un malade. En tout cas le stress n’est pas loin.
- La reconnaissance est très curieuse, puisque l’on peut dire qu’elle est inversement proportionnelle à l’implication du/des formateurs. Notamment on a là le débat sur la co-animation qui est évaluée pour chacun des formateurs à 2/3 de leur temps, alors que les dispositifs pour lesquels ce dispositif fonctionne suppose une implication continuelle, sur des registres différents, des deux formateurs, et surtout, un temps de préparation, d’élaboration avant, pendant et après le stage, très important.
Si on résume, en caricaturant les types de demandes de stages d’établissement on peut repérer trois formules :
- La demande de solution « clé en main ».
- La demande d’aide et de temps pour élaborer un projet.
- La demande de « recours », de gestion d’un conflit interne entre différents acteurs.
Il est bien rare qu’un stage réel ne corresponde qu’à une seule de ces formules. La plus part du temps il y a une combinaison, pas toujours visible immédiatement de ces trois types de demandes, et chaque stagiaire en porte pour partie un aspect plus particulier. Au consultant d’essayer de « clarifier » ces demandes, et au formateur de résoudre la quadrature du triangle qui se transformera en cercle vicieux bien entendu.
Bernard Desclaux
Article initialment publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2017/03/30/ou-en-est-la-formation-de-formateurs-dans-len-3/