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En France, on utilise fréquemment l’expression  « système dual » pour qualifier l’enseignement supérieur, se référant au fait que, depuis 1806, sous le règne de Napoléon 1er, il se compose  d’une part des formations universitaires très majoritairement constituées par des premiers cycles généralistes non sélectifs, et d ‘autre part,  d’un ensemble d’établissements sélectifs de petite taille : les écoles supérieures, parmi lesquelles celles que l’on nommait alors « écoles spéciales », les ancêtres de nos actuelles grandes-écoles, qui répondaient et répondent encore en grande partie au besoin de former des professionnels de divers niveaux, et notamment les futures élites administratives, militaires, enseignants, ingénieurs, dirigeants d’entreprises…

Dès la création de l’université impériale (loi du 10 mai 1806), il fut décidé que les formations universitaires seront accessibles de droit pour tout bachelier. Corrélativement, le pouvoir alors en place décida que le baccalauréat sera le premier grade universitaire (les deux autres à cette époque étant la licence et le doctorat), et non un simple titre de fin d’études secondaires, ce qu’il est toujours aujourd’hui, malgré la massification du nombre de ses détenteurs, et la dégradation de sa valeur individuelle. Par contre, pour l’accès à l’une des formations composant le secteur des écoles supérieures professionnelles, on convint que la réussite au baccalauréat ne serait qu’une condition nécessaire, mais non suffisante : il s’y ajoute diverses épreuves de sélection, le plus souvent sous forme de concours (cf. le décret impérial du 17 mars 1808 portant création du baccalauréat moderne).

Les composantes du système d’enseignement supérieur français aujourd’hui et la forte extension des formations universitaires :

Le  groupe des formations supérieures sélectives post baccalauréat est  aujourd’hui constitué par les sections de techniciens supérieur (STS), les instituts universitaires de technologie (IUT), la filière comptable et financière (DCG, DSCG, DEC) , les écoles dites spécialisées (en deux ou  trois ans) telles les écoles paramédicales et sociales, certaines écoles de la fonction publique, d’arts, de commerce, de communication, de tourisme et autres, les programmes bachelors, les classes préparatoires aux grandes écoles, les grandes écoles à recrutement niveau baccalauréat, les cycles universitaires préparatoires aux grandes écoles, les « universités de technologie » (Paris-Dauphine, Belfort-Montbélliard,  Compiègne, Tarbes Occitanie Pyrénées), les Instituts d’études Politiques, les bi-licences universitaires … Au total, à la rentrée 2024, ces formations proposaient près de 45 % des places offertes en première année post baccalauréat.

Le groupe des formations supérieures universitaires de premier cycle non sélectives est constitué par l’ensemble de ce qu’on nomme fréquemment « licences simples » du fait qu’elles concernent un seul domaine disciplinaire (droit, mathématiques, anglais, biologie, lettres modernes, chimie, etc.), auxquelles il convient d’ajouter quelques licences pluridisciplinaires (physique-chimie, histoire- géographie, administration économique et sociale, langues étrangères appliquées …). En 2024, ces formations offraient 55% des places disponibles en première année de l’enseignement supérieur. Force est de constater qu’au fil du temps, depuis la création de l’université impériale en 1806, ces formations non sélectives ont fortement crû en offre de places offertes aux lycéens et domaines de connaissance proposés.  L’article 6 du décret du 17 mars 1808, portant organisation de l’université impériale, fixa la première liste des domaines de connaissance confiés « aux Facultés » comme on les nommait alors  : « Il y aura dans l’Université impériale cinq ordres de Facultés, à savoir des facultés de théologie, de droit, de médecine, de sciences mathématiques et physiques et de lettres », principalement installées dans une quinzaine de grandes villes du pays, chiffres à comparer au fait qu’il existe aujourd’hui en France 72 universités, se partageant plus de 120 intitulés de « licences simples » et « licences pluridisciplinaires »  non sélectives.

Les raisons d’une opposition croissante à ce partage des missions :

De longue date, des voix se sont élevées, critiquant le fait que la plupart des premiers cycles universitaires non sélectifs sont tenus d’accueillir de très importantes cohortes d’étudiants, plusieurs centaines le plus souvent, regroupés dans des « grands amphis » où ils ne bénéficient que de peu d’encadrement, sont pour la plupart très éloignés de toute préoccupation professionnelle, et accueillent les lycéens les plus fragiles puisque ces formations sont les seules à être non sélectives. Il en résulte un très important taux d’échec : en 2023, moins de la moitié en moyenne des étudiants de première année de licence non sélective furent autorisés à passer en deuxième année, parmi lesquels près de 60% n’y sont parvenus qu’après un redoublement en première année du cycle licence (voire pour certains un triplement). Il en résulte logiquement une très « mauvaise image de marque », qui pousse la plupart des parents d’élèves et élèves en recherche d’une orientation post baccalauréat à se fonder sur une logique d’évitement d’une orientation vers un premier cycle universitaire non sélectif.  Leurs préférences allant vers les formations sélectives, ils acceptent de se confronter aux épreuves de sélection qui permettent, si on les réussit, d’y accéder.

Ainsi s’explique que de plus en plus nombreux sont celles et ceux qui réclament que le droit de procéder à une régulation des flux d’entrée en première année de l’enseignement supérieur soit étendu à un plus grand nombre de premiers cycles licence, dans le but principal de n’y accueillir que des candidats porteurs des prérequis nécessaire pour y réussir. C’est ce que tenta en 1986 Alain Devaquet, alors Ministre délégué chargé de l’enseignement supérieur, qui proposa un projet de loi visant à réformer profondément les universités françaises. Entre autres mesures annoncées, ce projet de texte officiel prévoyait l’instauration d’un principe de sélection à l’entrée de la plupart des premiers cycles licences jusqu’alors non sélectifs. Il s’en suivit une ample et très vive opposition, qui obligea le gouvernement d’alors à retirer ce projet de réforme de l’enseignement supérieur, et à le remplacer par un autre, politiquement plus acceptable.

Caractérisé par une volonté d’accroître l’autonomie de chaque université, cette réforme alternative à celle qui avait été écartée était porteuse d’une plus grande mise en concurrence des universités les unes par rapport aux autres.  Dans les années qui suivirent, on assista à l’émergence et à la multiplication  d’un certain nombre de premiers cycles universitaires sélectifs: les double licences, les cycles universitaires préparatoires aux grandes écoles … Très rapidement, du fait qu’elles sont sélectives,  n’accueillent que des effectifs de faible taille composés de bons élèves issus du lycée, et affichent des taux de réussite très nettement supérieurs à ceux constatés en licence non sélective, ces nouvelles formations universitaires, porteuses de promesses de réussite et de bons débouché, rencontrèrent un vif succès, tant auprès des prescripteurs en matière d’orientation (conseillers d’orientation, professeurs principaux …), que des familles.

Parcoursup contribue au mouvement d’amplification de la sélection à l’entrée des universités :

Commencée durant les années 1980, cette tendance à la multiplication des formations universitaires sélectives conduisit progressivement à la transformation du paysage de l’enseignement universitaire de premier cycle qui, petit à petit, s’est scindé en deux sous-ensembles : d’une part celui constitué par les licences qui sont demeurées non sélectives et ont conservé la plupart des traits caractéristiques d’antan, et d’autre part ceux qui ont rejoint la famille de formations supérieures sélectives. Force est de constater que la mise en place, à partir de l’année 2018, de Parcoursup, plateforme télématique de régulation des flux d’entrée en première année de l’enseignement supérieur français, a fortement amplifié la tendance à étendre la part des formations supérieures sélectives.

Depuis sa création, cette plateforme, qui vise à réguler les flux d’entrée dans plus de 22000 formations supérieures, est quasi incontournable pour la plupart des candidats à l’admission en première année de l’enseignement supérieur français. Elle est fondée sur un principe fondamental : tous les candidats à l’admission dans une formation qui recrute via Parcoursup font l’objet d’un classement. C’est évidemment chose bien connue et anciennement admise concernant les formations officiellement sélectives. C’est plus surprenant concernant les licences universitaires non sélectives qui devraient accueillir tout candidat bachelier demandeur d’y être admis. Or, tel n’est pas systématiquement le cas.

Entre autres critères de classement des candidats, Parcoursup dispose légalement de deux modes de régulation permettant d’étendre le principe de sélection à l’entrée de nombre de licences pourtant officiellement qualifiées de non sélectives :

 La « sectorisation géographique :

Il suffit de consulter sur Parcoursup et/ou sur les sites des universités les présentations des licences officiellement non sélectives, pour constater que l’un des principes régulateurs fondamentaux qui président à la possibilité d’être admis(e) dans de telles formations, est la domiciliation de chaque candidat par rapport à celle de la licence demandée. Pour chacune de ces formations, il est défini un « bassin de recrutement ».  Ainsi, par exemple, un bachelier issu d’un lycée de Bordeaux candidat à une admission en première année de licence de lettres modernes devra, sauf cas particulier, demander prioritairement son admission à l’université de Bordeaux Montaigne.  Cependant, rien n’interdit qu’il postule dans une université installée dans un autre secteur géographique, mais dans ce cas, les candidats « hors secteur géographique » sont classés et donc sélectionnés.

La nécessité de tenir compte des capacités d’accueil de la formation demandée :

Les licences à capacités d’accueil insuffisantes pour pouvoir accueillir tous les demandeurs d’admission sont également autorisées à réguler leurs flux d’admission par mise en œuvre de modalités de sélection à l’entrée. Prenons l’exemple de la licence en droit de l’université de Lyon 2 qui, en 2022, annonçait une capacité d’accueil de 600 places. Plus de 4500 candidats demandèrent à y accéder via le portail Parcoursup. Impossible donc de les accueillir tous. Pour les départager, tous furent classés, du meilleur au moins bon, sur la base des contenus de leurs dossiers Parcoursup respectifs. Dans un premier temps, on ne répondit « oui » qu’aux 600 premiers. Celles et ceux qui suivaient (du 601ème au 4587ème), furent classés en liste d’attente (aucun d’entre eux ne reçut une réponse « non », cela étant interdit concernant une formation officiellement non sélective). Au fur et à mesure des désistements (exprimés par des candidats admis mais qui ont reçu une ou plusieurs autres propositions qu’ils préférèrent), des candidats classés en liste d’attente ont fini par recevoir une proposition d‘admission, dans la limite cependant des 600 places à pourvoir.

Dans certains cas, cette façon de procéder permet d’éponger toute la liste des candidat(e)s en attente, si bien que ce mode de régulation est apparemment « non sélectif ». Toutefois, dans de nombreux cas, faute de disposer de capacités d’accueil suffisantes, une partie des candidats peuvent ne pas être admis dans la licence demandée, faisant de ces formations universitaires des formations sélectives « de facto », alors qu’officiellement elles ne le sont pas ! Les « non admis » peuvent alors se voir proposer de reporter leurs demandes d’admission vers la même licence, mais dans une autre université (géographiquement aussi proche que possible de celle qu’ils ont demandé) dans laquelle des places sont demeurées vacantes ou dans une autre licence disposant de places encore disponibles. En 2024, on a constaté que les licences nécessitant la mise en œuvre d’une telle procédure de sélection dans presque tout le pays, donc pour lesquelles il était le plus difficile d’accéder, étaient celles de droit, économie-gestion, parcours d’accès spécifique santé (PASS), psychologie, sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), licence accès santé (LAS). Les autres licences étaient plus ouvertes, bien que plus ou moins difficiles d’accès dans certaines universités. 

Conclusion :

L’article L-612-3-1 du Code de l’Education dit que « le premier cycle (des études supérieures) est ouvert à tous les bacheliers » mais ajoute qu’ « une sélection peut être opérée (…) pour l’accès aux sections de techniciens supérieurs, aux instituts universitaires de technologie, à divers « grandes établissements » tels les instituts d’études politiques,  les « universités de technologie » (Paris-Dauphine, Compiègne…), aux établissements où l’admission est subordonnée à un concours national, ainsi que pour l’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles, au cycle préparatoire au diplôme de comptabilité et de gestion, aux diplômes d’études universitaires scientifiques et techniques (DEUST), et aux formations de l’enseignement supérieur conduisant à la délivrance d’un double diplôme » (les bi licences et licences doubles).

Ainsi, selon les termes du Code de l’Education, les licences universitaires autres que les licences doubles sont clairement non sélectives. 0r, comme nous l’avons mis en lumière dans les pages précédentes, la part des formations sélectives à l’entrée des universités s’est fortement accrue depuis une trentaine d’année par transformation ou création de nouvelles formations sélectives, donc respectant bien les règles fixées par le Code de l’Education.  Il n’en va par contre pas de même pour d’autres formations qui sont devenues sélectives du fait de la mise en œuvre par Parcoursup de certaines règles de régulation des flux d’admission dans un grand nombre de licences prétendument non sélectives, qui de facto le sont devenues, alors que le strict respect des termes de l’article L-612-3-1 aurait dû l’interdire. Comment cela a-t-il pu se faire ?

Constatons qu’en ce qui concerne les licences universitaires que le Code de l’Education définit comme étant non-sélectives, une sorte d’omerta entoure la façon dont les autorités ministérielle et académiques qualifient les pratiques de régulation des flux d’admission en première année. La consigne officielle est de ne jamais les qualifier de « sélectives », dans le but de ne pas risquer de voir se développer un espace de contentieux, et ce d’autant que le droit de toute formation universitaire non sélective de recourir à des pratiques de « régulation » de l’accès à de telles études existe bel et bien : il est autorisé par les lois « Orientation et réussite des étudiants » du 8 mars 2028, et du 24 juillet 2019 pour ce qui est des études universitaires de santé. 

Cependant, il y a en cela une faiblesse juridique, du fait que par ailleurs, le Code de l’Education interdit de telles pratiques sélectives, ce qui explique que, d’année en année, on assiste à une augmentation du nombre des contentieux administratifs et/ou juridiques opposant les décisions de ne pas admettre certains candidats dans des licences non sélectives ou premiers cycles du secteur santé. Force est cependant de constater que les décisions qui en résultent ne sont que rarement favorables aux usagers.

Bruno MAGLIULO

Inspecteur d’académie honoraire

Auteur de :

« SOS Parcoursup », « Parcoursup : 50 questions à vous poser avant de choisir votre orientation », « Parcoursup : je gère ! », « Quelles études sont vraiment faites pour vous ? », « Quelles études pour quel(s) métier(s) ? » collection L’Etudiant, diffusion par le Editions de l’Opportun (www.letudianteditions.com)

« Les grandes écoles : une fabrique des élites », éditions Fabert (www.fabert.com)

« Les classes préparatoires et autres voies d’accès aux grandes écoles », éditions Fabert (www.fabert.com) : à paraître en février 2025

Dernière modification le vendredi, 13 septembre 2024
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

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