D'autres nouveautés telles la suppression de l'obligation de classer ses voeux, la fin des pratiques de tirage au sort à l'entrée des formations universitaires de premier cycle non sélectives mais à capacités d'accueil limitées, l'obligation de joindre une "fiche Avenir" et de rédiger un "projet de formation motivé" pour chaque candidature exprimée ... ont fait l'objet des commentaires les plus fréquents, sans doute parce qu'elles concernent le plus directement les divers acteurs concernés : élèves, parents, professeurs... Cela a contribué à moins porter le regard vers ce qui est à nos yeux la nouveauté la plus révolutionnaire de cette nouvelle plateforme : les "attendus".
1- De quoi s'agit-il ?
Dès les débuts de l'ex plateforme APB, il a été décidé que chaque formation ferait l'objet d'une présentation détaillée, ceci dans le but d'aider les élèves et parents à plus tenir compte des caractéristiques de chaque formation avant d'exprimer leurs voeux d'orientation.
Ces fiches de pésentation se sont affinées avec le temps : d'abord très schématiques, elles sont pour la plupart progressivement devenues plus détaillées, comprenant non seulement le descriptif de la formation (matières enseignées, horaires...) et de ses modalités d'accès (notamment pour les formations sélectives), mais aussi les débouchés scolaires et professionnels, le devenir des anciens diplômés et bien d'autres choses utiles pour nourrir la réflexion des familles. Dans la nouvelle plateforme, ces fiches sont maintenues sous le nom de "fiches descriptives". La nouveauté est qu'elles doivent désormais presenter les "attendus" propres à chaque formation.
On aurait pu tout aussi bien - et sans doute plus clairement - appeler cela les "pré-requis". Cette idée a été repoussée au prétexte que le mot "pré-requis" serait beaucoup trop connoté "sélection". On a donc choisi une terminologie plus "soft", moins susceptible de provoquer de la polémique : les "attendus".
Concrètement, il s'agit d'une liste de connaissances et compétences dont il serait bon que le lycéen soit porteur pour avoir des chances raisonnables de réussir dans la formation considérée. En 2018 (cela pourrait évoluer dans le futur), ils se présentent sous une double forme : des "attendus nationaux" conçus au niveau ministériel pour l'ensemble des formations d'un même type, éventuellement complétés par des "attendus locaux", venant ajouter des éléments propres aux caractéristiques locales de chaque formation. Vous ne devez donc pas être surpris de découvrir que les "attendus" de la licence de droit de l'université de La Rochelle ne sont pas exactement les mêmes que ceux de la licence de droit de l'université de Paris/Panthéon/Sorbonne : c'est normal puisque chacune à ses caractéristiques propes.
Dans la plupart des cas, ces "attendus" sont accompagnés de précisions sur les indicateurs qui permettent d'évaluer le profil de chaque candidat (notes, appréciations qualitatives, activités extra scolaires requises...).
A titre d'exemple, voici les "attendus" de la classe préparatoire scientifique TSI du lycée Etienne Minard de Saint-Etienne, tels que nous pouvons les lire en 2018 sur la plateforme Parcoursup:
- S'intéresser aux domaines des sciences et de la technologie, et aux démarches associées (analyse, modélisation, résolution de problème, expérimentation et communication)
- Disposer de compétences dans les disciplines scientifiques et technologiques. Ces compétences peuvent être attestées notamment par les résultats obtenus en première et au cours de l'année de terminale, dans les enseignements technologiques, en physique-chimie et en mathématiques
- Posséder des aptitudes à un travail approfondi et des capacités d'organisation
- Montrer des dispositions au travail collaboratif et à la conduite de projets scientifiques et technologiques
- Etre prêt à développer des compétences de réflexion, d'argumentation et d'expression en français, en philosophie et en langues vivantes
- En outre, quatre points essentiels pour envisager cette filière avec de bonnes chances de succès : des résultats en terminale homogènes (d'assez bons résultats dans toutes les matières avec un très bon niveau en sciences); une bonne capacité de travail; une réelle motivation; s'investir dans le long terme)
- Les éléments pris en compte pour l'examen du dossier : baccalauréats STI2D ou STL spécialité "sciences physiques et chimiques en laboratoire" exclusivement; l'avis du chef d'établissement; les notes; l'évolution des résultats sur le parcours première/terminale; l'avis de l'équipe pédagogique; l'origine géographique du candidat.
Une lecture comparative des "attendus" permet de constater qu'outre les compétences et connaissances scolaires traditionnelles (évaluées par les notes, les appréciations qualitatives et avis, et/ou par épreuves de concours), il est fréquemment fait référence à des critères d'ordre extra scolaire : avoir fait un stage en milieu professionnel, être détenteur du brevet de secourisme et/ou d'autres titres ou attestations de ce genre, suivre les enseignements d'un conservatoire de musique, pratiquer un sport où un art à haut niveau, s'adonner à une activité "citoyenne" - associative, syndicale ... - ou culturelle, sportive ... hors les murs de l'établissement scolaire fréquenté, etc. ou d'ordre scolaire mais participant au développement personnel de l'élève (avoir été ou être délégué des élèves, avoir été ou être membre du conseil de la vie lycéenne ou de toute autre instance, participer à une activité culturelle ou sportive au sein de l'établissement fréquenté...).
Ainsi, par exemple, lorsque le lycée Etienne Minard de Saint-Etienne demande aux candidats à sa classe préparatoire TSI, de "montrer des dispositions au travail collaboratif", cela pourra transparaître par un investissement personnel du candidat dans un sport collectif ou par sa participation à une activité collective "citoyenne" , mais aussi par bien d'autres situations vécues collectivement dans ou hors les murs de l'établissement scolaire. Autre exemple : celui des licences STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) qui, dans leurs attendus nationaux, précisent qu'entre autres critères, il sera tenu compte de la capacité du candidat à "manifester de l'intérêt pour l'exercice de responsabilités collectives, associatives ou citoyennes". Qui ne voit qu'être détenteur du BAFA (brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur) et/ou se livrer à diverses activités associatives de ce type, accroîtra vos chances de voir votre éventuelle candidature retenue ?
Ainsi, on s'efforce d'adapter les critères de régulation des flux d'entrée dans l'enseignement supérieur, et notamment les critères de sélection lorsque la formation demandée est sélective, au mode de fonctionnement des établissements d'enseignement supérieur. C'est une vraie révolution dans la mesure où on infléchit le modèle passé, dans lequel les critères de sélection étaient fondamentalement de type scolaire (les notes et appréciations), en y ajoutant des critères liés au développement personnel de chaque candidat. Qui ne voit qu'une telle évolution aura des conséquences à plus ou moins long terme sur les missions éducatives des lycées (et même en amont, des collèges) et nécessitera de modifier sensiblement les missions des personnels enseignant et d'éducation ? Nous reviendrons sur ce point important dans la cinquième partie de cet article.
3- Les objectifs visés par l'instauration des "attendus" :
Officiellement, ils sont destinés à "vous (les élèves et leurs parents) renseigner au mieux sur les formations pour lesquelles vous souhaitez formuler des voeux, en vous permettant de faire des choix éclairés en connaissant mieux les formations qui vous intéressent (...) afin de mieux vous accompagner vers la réussite". C'est ce qui est écrit à la rubrique "les caractéristiques des formations" sur la plateforme Parcoursup.
Ils ont en outre pour fonction d'aider les chefs d'établissements, ainsi que les professeurs de lycée (en particulier ceux des classes terminales), à émettre leurs avis sur les diverses candidatures exprimées par leurs élèves. Sachant ce qui est "attendu", il devrait être plus aisé pour eux de formuler des avis judicieux. Rappelons sur ce point que les nouvelles dispositions relatives au passage dans l'enseignement supérieur rendent obligatoire dans chaque lycée la mise en place d'un "conseil d'orientation" qui devra se tenir courant février/mars, et aura pour mission d'examiner chaque candidature, et d'émettre un double avis circonstancié : celui du chef d'établissement et celui de l'ensemble des professeurs membres du dit conseil d'orientation. Ces avis doivent être portés au dossier de chaque candidat sur la "fiche Avenir" précédemment évoquée.
Ils visent en outre à inciter les élèves et leurs parents à en tenir compte au moment où ils expriment leurs choix de filières de lycée (en fin de troisième ou de seconde générale et technologique), et d'enseignements optionnels (notamment les "enseignements de spécialité" au lycée). Il en ira de même lorsque le lycée réformé sera mis en place (progressivement à compter de la rentrée de 2019) et qu'il faudra choisir des "disciplines de spécialité".
Tout ceci vise à réduire significativement les énormes taux d'échec observés depuis plusieurs années dans les divers premiers cycles universitaires non sélectifs, et tout particulièrement en première année. Toutes filières confondues, 40% seulement des entrant dans ces formations parviennent à se doter du diplôme de licence, et pour la moitié d'entre eux, en quatre ou cinq ans au lieu de trois. Un des facteurs de cet insupportable taux d'échec est le fait que trop de lycéens se lancent "à l'aveugle" dans de telles études, sans savoir à l'avance quelles sont les conditions de la réussite, et sans se demander s'ils ont le profil pour avoir des chances réelles d'y réussir. A cet égard, les "fiches descriptives", et notamment les "attendus" qui y figurent, constituent une sorte de signal préventif visant à responsabiliser les lycéens au moment du choix des formations supérieures.
Officiellement, la réponse est "NON", mais en pratique cela y ressemble fortement, du moins dans certains cas.
Comme on vient de le voir, les "attendus" sont officiellement présentés comme étant de simples outils visant à mieux éclairer les lycéens, leurs parents, les personnels enseignants et d'éducation... Certes, mais qu'est-ce qui interdira les responsables de formations sélectives de s'en servir comme instrument de sélection ? Rien bien sûr.
Quant aux formations universitaires non sélectives, on peut douter de la sincérité du discours officiel, du moins pour certaines d'entre elles. Il n'est certes pas possible dans ce cas de répondre "NON" à une demande d'admission, ce qui semble corroborer l'affirmation que les "attendus" ne sont pas des instruments de sélection. Mais en ce qui concerne les premiers cycles universitaires non sélectifs dont les capacités d'accueil sont limitées, et ne permettent donc pas d'accueillir l'ensemble des candidats, le doute est permis.
En effet, il n'est dans ce cas pas possible de répondre "NON", mais rien n'interdit que ce soit "EN ATTENTE D'UNE AFFECTATION". Concrètement, cela veut dire que certains candidats vont devoir attendre que des places se libèrent. Or, que se passera-t-il si - comme cela ne manquera pas d'arriver - malgré de nombreux desistements, le nombre des candidats en attente demeure excédentaire ? A l'évidence, on justifiera par les "attendus" le fait que certains candidats n'y soient pas admis, et se voient proposé des formations alternatives différentes de celle demandée. On pourra toujours jouer sur les mots, faire du "sur booking"... Cela pourrait bel et bien ouvrir la porte à une pratique sélective.
5 - Les "attendus" sont potentiellement porteurs d'une évolution des missions du lycée et des métiers des personnels enseignants et d'éducation:
Comme nous venons de le voir dans les points un et deux de cet artile, les "attendus" introduisent à forte dose des critères de régulation des flux d'entrée dans l'enseignement supérieur qui sont de l'ordre du développement personnel des élèves : capacité à développer un travail intensif, à travailler en groupe, savoir prendre la parole en public, avoir de l'esprit d'initiative, s'adonner à une pratique sportive ou artistique relativement intensive en club/association, avoir accompli un stage en milieu professionnel, s'être préalablement doté du brevet de secourisme, du BAFA (brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur) ou tout autre certificat/titre/diplôme, avoir réussi un test d'aptitude en langue étrangère, etc.
Nous faisons le pari que l'émergence de ce qui est de l'ordre du bilan personnel, venant s'ajouter au traditionnel bilan scolaire (tel qu'il transparait par les notes, appréciations qualitatives) ne manquera pas, dans les années futures, de contraindre les établissements d'enseignement secondaires (les lycées bien sur, mais aussi les collèges) à redéfinir leurs missions afin de prendre en charge une partie significative du développement personnel des élèves.
On n'a certes pas attendu l'arrivée des "attendus" pour mettre en place, au sein des collèges et lycées, des suppléments aux programmes officiels qui sont de l'ordre du développement personnel. Mais le moins que l'on puisse dire est que cela est très inégalement fait, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de cadrage national, et pas d'obligation officielle. Fondamentalement, malgré d'indéniables avancées dans ce domaine, les collèges et lycées français sont des lieux où la mission essentielle (quand ce n'est pas quasi unique) des personnels enseignants est de faire de la translation didactique. C'est particulièrement net dans les diverses filières de la voie générale. Avec l'arrivée des "attendus" et de cette double dimension du "portefeuille de connaissances et compétences" que les élèves doivent de plus en plus pouvoir présenter en vue de leur admission dans l'enseignement supérieur, les établissements scolaires secondaires vont devoir former des "têtes bien faites" , et pas uniquement "bien pleines".
Si nous ne prenons pas ce virage, alors la nature ayant horreur du vide, nul doute que ce seront des organisations qui se situent hors les murs de l'école, privées en grande partie, qui se positionneront pour compenser le déficit d'offre de formation concernant ces domaines plus ou moins nouveaux au sein des établissements scolaires. Si nous préférons que l'école de la République (qu'elle soit publique ou privée sous contrat) fonctionne non selon la règle du "à chacun selon ses moyens (financiers)", mais "à chacun selon ses besoins", alors ces nouvelles missions vont devoir trouver leur place au sein des établissements scolaires, si besoin est en rééquilibrant l'offre de formation au profit du développement personnel des élèves.
Bien entendu, il sera pour cela fait appel à des compétences internes (notamment les personnels enseignant et d'éducation), et externes (clubs, associations, intervenants extérieurs divers...). Pour les personnels enseignant et d'éducation, ce mouvement sera très probablement porteur d'une redéfinition de leurs "référentiels métiers" qui n'ira pas sans provoquer débat.
6 - Comment vont se dérouler les examens des dossiers de candidature au regard des "attendus" ?
Depuis le 1er avril, dans chaque formation des commissions présidées par le chef d'établissement (selon la nature de l'établissement : doyen, directeur, proviseur, responsable de programme...) ou son représentant, ont commencé à examiner les candidatures reçues via Parcoursup.
Force est de constater qu'un certain nombre d'universités ont décidé de ne pas vraiment jouer ce nouveau jeu. Pour des raisons parfois idéologiques, mais le plus souvent parce que leurs responsables estiment être en manque de moyens, on a fréquemment renoncé à prendre en compte de façon détaillée tout le contenu de chaque dossier de candidature (dossier Avenir), voire même renoncé à s'autoriser à répondre "oui si", ne voyant pas comment on pourrait mettre en œuvre l'accompagnement personnalisé prévu dans ce cas, les moyens faisant défaut pour le faire efficacement. Dans de nombreux cas, on se prépare donc à ne pas appliquer la réforme et à répondre "OUI" à tous les candidats, sans tenir compte des "attendus", ce qui veut dire qu'on en resterait à l'ancien système de recrutement, et donc probablement avec les gros taux d'échec en première année qui vont avec. A la décharge des responsables de ces formations universitaires réfractaires, il faut se faire une idée réaliste de la charge de travail et du coût de l'analyse en profondeur de plusieurs milliers de dossiers de candidatures avec pour chaque cas une analyse comparatige de plusieurs notes, appréciations qualitatives, avis, projets d'orientation motivé....
C'est pourquoi, dans le souci de venir en aide aux commissions diverses qui, dans chaque formation supérieure, vont devoir examiner les candidatures reçues via Parcoursup, le Ministère de l'enseignement supérieur a mis à disposition des équipes un logiciel qualifié d' "outil d'aide à la décision". L'intérêt de ce logiciel est que s'il est le même pour toutes les formations (sélectives ou non sélectives), il permet à chaque commission locale de le pondérer afin de l'adapter à leurs diverses particularités, notamment celles concernant les critères d'appréciation des dossiers de candidatures. Ainsi, telle formation qui voudrait donner plus de poids aux notes de terminale par rapport à celles de première le pourra; idem si la volonté de pondération concerne les diverses matières en donnant par exemple plus de poids à certaines d'entre elles; idem surtout si on souhaite pondérer les notes en fonction des pratiques d'évaluation des élèves propres à chaque lycée, voire des réputations de chaque établissement.
Autrement dit, chaque formation supérieure est libre de mettre en œuvre des algorithmes adaptés aux choix que feront localement ses responsables. Bien plus, cet outil permet, si on le souhaite, de transformer les éléments qualitatifs de la fiche Avenir en valeur chiffrée. Ce logiciel devrait donc grandement faciliter le travail d'analyse des dossiers de candidature dans le respect des spécificités propres à chaque formation. On ne cache pas au Ministère le fait que ce logiciel a en outre pour but de convaincre un certains nombre d'équipes réfractaires à malgré tout jouer le jeu de cette réforme.
Conclusion :
Il va donc falloir regarder de près comment le nouveau système va se mettre en place cette année, et comment les "attendus" auront été utilisés par les diverses parties prenantes. On lira pour cela avec grand intérêt le premier bilan qui sera fait en juillet/septembre prochain. Mais le plus important n'est-il pas que, même si on assiste ça et là à des refus entiers ou partiels de mise en œuvre des nouvelles dispositions, ce soit fait des 2018 dans une majorité de lieux, et qu'une sorte d'irréversibilité s'installe ? La généralisation du nouveau système viendrait alors progressivement.Ainsi, telle formation qui voudrait donner plus de poids aux notes de terminale qu'à celles de première le pourra; idem si on veut pondérer par matières d'enseignement; idem surtout si on souhaite pondérer les notes observées en fonction de la politique de notation des élèves propre à chaque lycée ...
Bruno Magliulo
Inspecteur d'académie honoraire
Auteur, dans la collection L'Etudiant de : "Pour quelles études êtes-vous fait ?" (Nouvelle édition parue en mars 2018, refondue en fonction de la nouvelle plateforme Parcoursup)
Article publié sur le site : https://www.linkedin.com/pulse/parcoursup-la-r%C3%A9volution-des-attendus-bruno-magliulo
Dernière modification le jeudi, 03 mai 2018