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Publié par Sylvère MercierbibliobsessionBibliothèques et cie le 22 février 2013 - Il y a quand même des paradoxes dans le paysage numérique de ce début 2013. On a d’un côté on a un monde académique qui affirme l’importance du libre accès à l’information scientifique et de l’autre des éditeurs (pas tous, mais les plus gros) ...
soucieux de construire un marché segmenté et de soigneusement distinguer l’information du web des objets numériques payants que sont les livres. Au milieu, des publics de lecteurs qui subissent une offre chère et encore très incomplète.

L’offre est très pauvre pour des bibliothèques perçues comme des centres sociaux pour ceux-qui-n’ont-pas-d’argent-pour-se-payer-un-ipad., dixit M. Nourry le président d’Hachette. Provocation et mépris des communautés de lecteurs qui fréquentent les établissements de lecture publique et sont les premiers clients des éditeurs. Plus de 200 bibliothèques publiques prêtent des liseuses et/ou des tablettes sans avoir d’offre significative de contenus sous droits à proposer. Paradoxes, disais-je.
Pour beaucoup de professionnels, tout ça est complexe (et ça l’est sans conteste). Dans le débat un concept tend à s’imposer : le « prêt numérique » semble en effet très intuitif : on prête des fichiers comme des objets tangibles et tout ça n’est pas si compliqué. Voilà un rassurant parallélisme qui n’en cache pas moins un profond flou conceptuel. Arrêtons nous un instant sur la notion. Le droit nous donne une définition assez précise du mot prêt :
En droit, le contrat de prêt est une convention, définie par le droit civil, par lequel une personne (le prêteur) livre un service à une autre personne (l’emprunteur), afin qu’il en use, mais à charge de la restituer, après un temps déterminé.

On le voit : la notion implique une durée de prêt. Or cette durée n’existe dans le cas des objets tangibles qu’en raison de la rareté des objets prêtés. C’est bien parce qu’il faut que tout le monde profite des documents mis en circulation dans l’intérêt général des publics qu’une des règles des bibliothèques est de limiter dans le temps le prêt des supports.

Ensuite vient le mot numérique. Autant dire qu’un monde s’ouvre et que ça change tout ! Pourquoi ? Parce que la durée de prêt associée à des documents « rares » par nature (je ne peux prêter un document qu’à une personne à la fois) s’applique désormais à des éléments numériques qui ont une faculté de reproduction à l’infini à un coût très faible : le copier-coller ! Plus besoin de durée de prêt !

L’équivalence est tentante pour ceux qui s’adressent à des bibliothécaires habitués à prêter des objets. Prêt d’objets = prêt numérique dans les deux cas on met à disposition quelque chose pour quelqu’un pour un temps donné, ça semble assez logique.

Sauf que le prêt numérique mène tout droit vers des offres de fichiers chronodégradables. Vous vous souvenez de Mission Impossible ? Ce message s’autodétruira dans quelques secondes, c’est aujourd’hui le modèle d’accès principal qui est proposé pour les livres numériques dans les bibliothèques sauf que la durée est de 3 semaines !

Pourquoi donc vouloir contrôler le durée d’usage d’un fichier ? Pourquoi le contrôle de la durée d’usage ne peut-il par porter sur un ensemble ? Ne peut-on pas penser à des systèmes d’abonnements ? Contrôler non pas l’accès à des fichiers uniques mais à des ensembles decontenus ? En fait, c’est bien ce qu’on nous propose avec les « ressources numériques » depuis des années. Est-ce qu’il vous viendrait à l’idée de payer une par une les vidéos de Vodéclic et de proposer chaque vidéo avec un temps limité ? Le paramètre nouveau, peut-être le plus difficile à comprendre est que la finitude du livre numérique, le fait qu’il soit détachable du web pour être lu sur une tablette ou une liseuse non-connectée n’est pas du tout une condition qui rend nécessaire le contrôle d’accès au fichier.

Les marchands de musique ont bien compris que la lecture hors-ligne implique de contrôler à chaque reconnexion que la personne est toujours abonnée : si oui les fichiers sont maintenus, si non, ils sont effacés. Pas de contrôle au fichier, mais un contrôle à l’abonnement. Certaines plateformes commeYouboox proposent même des modèles équivalents pour les livres ! Je n’ignore pas ce que ces expériences de « contenus dans les flux » peuvent avoir de traumatisantes pour les collectionneurs que sont beaucoup de bibliothécaires. Notre rapport à la collection sera l’objet d’un prochain billet. Dans de tels modèles, j’avais imaginé, et je le pense toujours, que les bibliothèques pourraient être le freemium de l’Edition numérique…

En réalité, le prêt numérique est un cheval de Troie parce que c’est une notion qui s’adresse non pas aux lecteurs de livres, mais aux bibliothécaires, elle leur semble logique. Elle injecte la dose de contrôle au fichier qui semble nécessaire au bibliothécaire en niant la réalité des droits des lecteurs.Les lecteurs eux, ils souhaitent disposer des fichiers, les manipuler, être libres de faire ce qui est à la racine de toute culture : lire, écrire, partager. Oui mais alors comment faire ?

Il faut avoir une vue d’ensemble et surtout sortir de l’économisme dans lequel on souhaite nous enfermer : on trouvera toujours comment nous faire payer quelque chose ! La vraie question qui doit nous préoccuper est la suivante : comment est-ce que nous pouvons dans ce contexte remplir notre fonction sociétale de facilitateurs d’accès à des contenus ? Je vous propose de sortir du chemin du prêt-numérique-chronodégradable-au-fichier et d’examiner la question de l’accès au livre numérique avec ces deux paramètres fondamentaux :

  • celui des droits des lecteurs de livres numériques : que peut-on faire avec un fichier numérique ?
  • celui des enclosures d’accès. Une Enclosure c’est une limite à l’accès. Nous proposons trois degrés types d’enclosures de la plus restrictive à la moins restrictive : 1. limiter l’accès dans les murs des bibliothèques, 2. à distance avec un mot de passe et 3. en libre accès sur internet (pas d’enclosure)
A la croisée de ces deux chemins, se dessinent des alternatives plus ou moins respectueuses des droits des lecteurs et plus ou facilitatrices d’accès pour les contenus. Si l’on part du principe que les bibliothèques sont faites pour faciliter la rencontre entre des livres et des lecteurs, c’est à chaque professionnel de se positionner et c’est à nous, collectivement, de faire émerger des alternatives au prêt-numérique-chronodégradable-au-fichier.

Ci-dessous vous trouverez sous forme de schéma-animé (prezi) des modèles d’accès au livre numérique qui se dessinent, qui existent déjà où qu’il faut créer, à la croisée de ces deux chemins. Attention je n’ai pas cherché la complexité mais la vue d’ensemble et il ne s’agit pas de modèles économiques mais bien de modèles d’accès.
Voilà de quoi j’espère alimenter une débat urgent et nécessaire quand on mesure qu’un des rares projets sur le livre numérique prenant en compte les bibliothèques aujourd’hui en 2013 s’appelle :PNB ou Prêt numérique en Bibliothèque….





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Dernière modification le mercredi, 19 novembre 2014
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