Oui, lors de conversations ou d'observations autour de soi, on s'aperçoit qu'il reste un travail de pédagogie énorme pour éliminer les idées reçues, les craintes et tous les réflexes irrationnels et idiots qui en découlent. C'est un combat de tous les jours et parfois le constat paraît désespérant lorsqu'on observe certains comportements ou lorsque l'on entend certains discours. Pour mieux nous en rendre compte, donnons ici quelques exemples qui sont frappants et même affligeants à bien des égards.
Parlons en premier lieu des gens du voyage ! Ils sont l'objet de toutes les critiques et on les charge de tous les maux de la terre. Dès qu'ils veulent s'installer quelque part, c'est tout de suite la panique. On nous dit qu'il faut vite fermer sa maison à double tour, ramasser son linge, ses poules, ses lapins, (j'en passe et des meilleurs !), car ces gens là sont des voleurs confirmés, il faut s'en méfier comme de la peste !!... Si parmi eux, il y a certainement des voleurs, des bagarreurs, on n'en trouve pourtant pas plus que dans d'autres communautés, mais le cliché a la vie dure. La conséquence, c'est que beaucoup de communes ne souhaitent absolument pas réserver un endroit pour les recevoir et ceci malgré la loi qui les oblige à les accueillir dans des emplacements adaptés (avec électricité, points d'eau et blocs sanitaires).
De plus, la plupart des personnes qui les montrent du doigt ne les connaissent même pas, ne leur ont jamais adressé la parole, c'est incroyable mais vrai. Bien souvent, ils débarquent dans une commune avec de superbes caravanes tractées par de grosses voitures et ce spectacle devient littéralement insupportable. "Mais comment font-ils pour se payer de tels véhicules ?", entend-t-on souvent, de la part de personnes trop soupçonneuses qui accusent bien trop vite ces étrangers de malhonnêteté. Nous réagissons ainsi de manière négative, à la limite de la haine, parce que nous avons peur de ce que nous ne connaissons pas. Tant qu'il n'y aura pas de communication entre êtres humains dits responsables, on restera sur les mêmes positions aussi tranchées et cela, à terme, ne sert les intérêts de personne, il faut le savoir pour tenter d'évoluer quelque peu.
Quant aux immigrés, qui sont installés parfois depuis 4 ou 5 générations sur notre sol, c'est toujours la même rengaine un peu pitoyable, n'ayons pas peur des mots. On les accuse de tous les maux : de prendre le boulot des français, de voler les allocations familiales, d'être à l'origine de la montée de l'insécurité, d'être des menteurs, des hypocrites à qui il ne faut surtout jamais faire confiance. On entend aussi dire d'eux, ici où là, qu'ils sont une "sâle race" ou même pire une "sous race" à éradiquer au plus vite, je parle notamment des maghrébins qui sont principalement visés par la calomnie. On oublie trop souvent que ceux-ci ont participé à reconstruire la France après la guerre, qu'ils se sont même battus aux côtés des soldats français pour défendre la liberté, notre chère liberté d'aujourd'hui. Et puis, nous sommes bien contents de les avoir lorsqu'il s'agit d'obtenir des titres mondiaux sur le plan sportif, pensons à Zinédine Zidane, d'origine maghrébine, sans doute le meilleur joueur de football au monde de sa génération. Ceux qui suivent le sport en général reconnaissent bien que, si nous n'avions pas des athlètes d'origine étrangère représentant la France lors des compétitions internationales, nous aurions bien du mal à récolter des médailles et à faire «cocorico !» en fêtant par milliers nos victoires dans la rue.
Evidemment, ils n'ont pas les mêmes coutumes que nous, la même façon de voir la vie et on peut contester leur vision des choses, mais on ne doit en aucune manière leur manquer de respect, les rejeter, les haïr, car ce sont au même titre que nous des êtres humains à part entière, que je sache ! Leur intégration dépend bien-sûr de leur bonne volonté à se fondre dans la communauté nationale, mais aussi du regard qu'on leur porte. A les charger de tous les problèmes de notre société, on ne fait que creuser le fossé qui nous sépare encore d'eux ! C'est encore pire lorsque certains discours populistes et démagogiques d'extrême droite jettent de l'huile sur le feu, comme cela se passe toujours, hélas, lors des échéances électorales. Je désire vous signaler au passage que mon ophtalmologiste est d'origine maghrébine, mais c'est surtout un bon médecin. Il faudrait que je sois encore plus imbécile que je ne suis déjà pour me dispenser des soins qu'il me prodigue, tout cela à cause de sa couleur de peau. A méditer avant de coller des étiquettes intolérables !!...
Parlons aussi des handicapés mentaux ou physiques lesquels, trop souvent, nous font pitié alors qu'ils demandent au contraire de la reconnaissance et une place de choix dans la société. Là encore, parce qu'ils sont diminués dans leurs diverses capacités intellectuelles ou motrices, on les dévalue et on les met de côté, comme des personnes qui seraient inutiles et même un fardeau pour la société. Les mentalités ont certes évoluées depuis quelques années mais les idées reçues sont encore très tenaces. L'année 2003, par exemple, a été déclarée «Année internationale du handicap», mais ceux-ci n'ont pas beaucoup vu d'améliorations et cet évènement n'a pas été très relayé par les médias, ce qui montre qu'il reste encore bien du chemin à parcourir. Ils trouvent difficilement une place dans le monde de l'entreprise car on les juge peu rentables et on les considère même comme un frein pour la rentabilité, «sacrée rentabilité !», elle nous fait bien du mal cette donnée du monde capitaliste !
Des sociétés préfèrent ainsi payer des amendes pour ne pas avoir voulu embaucher des handicapés, pourtant obligatoire au regard de la loi. Ils ne veulent pas faire confiance à des êtres humains qui souhaitent tant enfin avoir une chance de s'illustrer et d'exister aux yeux de tout le monde. Pourtant, si on y regarde de plus près, ils sont bien souvent, aux yeux des valides, des exemples de courage, d'abnégation car de simples gestes courants de la vie de tous les jours leur demandent des efforts prodigieux, mais ils y arrivent. Le simple fait de les cotoyer peut certainement nous empêcher de nous plaindre pour des petits riens et ainsi remettre les choses à leur vraie place.
Evoquons maintenant les jeunes sur lesquels on porte fréquemment des jugements sévères, car on leur reproche leur insouciance, leur fougue, leur vision réactionnaire ou révolutionnaire sur la société dans laquelle ils évoluent. Les adultes les négligent comme si leur avis ne comptait pas : «Pensez-vous, ils ne connaissent rien à la vie et ils se permettent de donner leur avis !». Et oui, les jeunes nous dérangent, nous bousculent dans nos habitudes, nos certitudes, notre vérité qu'on croit absolue. Depuis mai 1968, les jeunes se sont émancipés, critiquent ouvertement la société, sont en rébellion contre les parents parce qu'ils veulent s'affirmer dans un monde où ils ne trouvent pas toujours leur place, faute de repères fondamentaux non inculqués. Ils ont l'âge de tous les excès : drogue, alcool, rave-party, fugues, tenue vestimentaire,... et certains le déplorent. Mais, sans vouloir les excuser, ils se cherchent et nous, les adultes, souvenons-nous aussi des folies que nous avons faites lorsque nous étions adolescents !!...
Ce que demandent les jeunes, c'est du respect, de la considération et qu'on leur fasse plus confiance. Ils ont besoin aussi de valeurs humaines qui puissent donner un sens à leur vie dans un monde déboussolé qui a perdu tous ses idéaux, tous ses rêves. On peut d'ailleurs se poser la question de savoir si, nous adultes d'aujourd'hui, nous n'en sommes pas responsables. A travers les générations, l'étape de la jeunesse a toujours été une période propice à des changements fondamentaux pour chaque être humain et nos jeunes ne sont pas plus ou moins imprévisibles qu'avant, il faut s'en convaincre. Tâchons d'être proches d'eux, tout en respectant leur soif d'indépendance, vous découvrirez qu'ils sont émotifs, passionnés et veulent «mordre dans la vie à pleines dents», à condition qu'on les aide à trouver leur propre chemin, sans jamais choisir à leur place.
Nous pouvons parler aussi des pauvres, des SDF, de tous ces gens qui connaissent tant de souffrances matérielles et morales aujourd'hui, ils sont encore montré du doigt comme des pestiférés. Bien-entendu, lorsqu'on en parle autour de soi, les gens trouvent cela bien triste, mais, même s'il ne faut généraliser, le fait d'être dans la misère, à la rue, on trouve cela encore suspect, bizarre. Certains vous parleront d'une situation précise qu'ils connaissent et dénigreront telle ou telle personne en l'accusant d'être tombée dans la misère au lieu de chercher à comprendre le "pourquoi de cette situation": "Et si elle n'avait pas mis le nez dans l'alcool !", ou "Si elle avait mieux gérée ses revenus", ou bien "De toute façon, c'est une personne fragile, solitaire, instable, qui n'a jamais su s'adapter à quoi que ce soit", ou encore "C'est un fainéant, il n'a qu'à chercher du boulot au lieu de traîner ainsi", ou "C'est quelqu'un qui vit au crochet de la société", etc, etc..., les remarques ne manquent pas pour juger, condamner celui ou celle qui se retrouvent souvent de jour au lendemain dans la pauvreté.
Pire même, et j'en parle en connaissance de cause, puisque je tente modestement d'aider ces personnes qui souffrent. En effet, il m'est arrivé qu'on me téléphone à la maison pour reprocher à notre équipe de bénévoles de venir en aide à telle ou telle personne qui ne mériteraient pas un coup de main, qui simuleraient en quelque sorte une situation difficile qui ne serait pas réelle. Et oui, certains sont victimes d'emblée de jugements de valeur scandaleux et doivent raser les murs pour ne pas se faire injurier ou traiter de profiteurs de la société. L'accusation gratuite permet ainsi de se donner bonne conscience et c'est la meilleure façon de ne rien faire pour soutenir ceux qui tendent la main. Ils sont pourtant des dizaines de milliers en France, dans nos quartiers, à notre porte.
Comme si c'était inexcusable aujourd'hui de se retrouver dans la "galère", parce que nous sommes dans une société où seule la réussite compte, où seule l'apparence et le "clinquant" sont dignes de respect. Ceux qui se trouvent dans la misère sont considérés bien souvent comme des ratés, des marginaux, des alcooliques, des faibles qui ne méritent vraiment pas qu'on s'intéresse à eux, on ne les regarde même plus d'ailleurs. Qui sait, peut-être qu'un jour, par un mauvais coup du sort, vous et moi, nous pourrons peut-être nous retrouver à la rue. Nous trouverons alors bizarre, je crois, de ne plus à notre tour être considérés comme des êtres humains à part entière, de perdre jusqu'à sa dignité, réfléchissons-y !!...
Et oui, la liste pourrait encore être longue à propos de ces catégories d'êtres humains victimes des idées reçues, des clichés qui sont parfois plus meurtriers que les balles d'un fusil, croyez-le bien. Notre monde en "crève" de ces méchancetés, de ces rejets, de cette discrimination raciale ou sociale qui sont un déshonneur pour le genre humain. En employant de telles attitudes, nous prenons le risque que nos enfants, nos petits enfants reproduisent le même schéma. Car toutes ces idées reçues nous ont été en partie transmises depuis des lustres par des gens qui croyaient donner une bonne éducation à leurs rejetons, c'est pour cela qu'elles ont la vie dure. Elles sont donc installées profondément dans l'inconcient et c'est cela le plus terrible dans cette histoire. Comment est-ce possible de porter des jugements de valeur sur des êtres humains que l'on ne connaît même pas et ainsi leur placarder des étiquettes dans le dos pour le reste de leur existence.
C'est incroyable le pouvoir de l'inconscient collectif qui nous fait dire tout et n'importe quoi, comme cela gratuitement, sans mesurer les conséquences des paroles blessantes ou des injures qui sont proférées à l'égard de telle ou telle catégorie d'individus. Encore une fois, l'humanité n'en sort pas grandi car, à cause de ces clichés, de ces idées reçues, nous entretenons les tensions et même la haine entre les diverses communautés, il ne faut pas s'étonner alors que cela peut amener parfois à la guerre. L'homme avance lorsqu'il tend la main et cherche à découvrir l'autre, il recule quand il a peur et prononce des contrevérités tellement énormes qu'il ne les voit même plus. Contre les clichés faciles, les idées reçues imbéciles et méchantes, osons dire NON pour casser ce processus infernal qui blesse tant d'êtres humains, lesquels ne demandent qu'un peu d'AMITIÉ et de RECONNAISSANCE !
Guy GILLET