Ce projet de texte réglementaire vient à contre courant d'une politique très officielle et ancienne, visant à diminuer progressivement des taux de redoublement jugés trop importants en France (nettement plus en tous cas que dans la plupart des autres pays), et s'oppose au désormais célèbre décret N° 2014-1377 du 18 novembre 2014, qui a supprimé le droit dont disposaient jusque là les conseils de classes d'imposer un redoublement en fin des classes de troisième et seconde (sauf en cas sec trop longue "rupture des apprentissages").
Cependant, cette position du Ministre n'étonnera pas ceux qui savent qu'il a fréquemment déclaré qu'il souhaite autoriser à nouveau le redoublement, arguant qu' "il y a quelque chose d'absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant des retards", et ajoute que "le redoublement doit rester possible quand c'est dans l'intérêt des élèves".
Toutefois, le Ministre ajoute prudemment que "le redoublement doit rester exceptionnel". Il est cependant clairement dit dans ce projet de décret que "le conseil de classe pourra alerter (l'élève et sa famille) en cours d'année sur un risque de redoublement. Il proposera alors un accompagnement à l'élève (stage, tutorat ...), et s 'il y a malgré tout un échec, le chef d'établissement pourra in fine décider un redoublement à n'importe quel moment du cycle".
Cette prise de position a quelque chose de surprenant dans la mesure ou elle vient après plusieurs décennies de politique éducative visant à réduire les taux de redoublement, à tous les paliers de scolarité, et comme nous le verrons plus loin dans cet article, cette politique a été quantitativement largement couronnée de succès. En outre, le Ministre lui-même en a été un des artisans, notamment lorsqu'il fut responsable de la DGESCO au Ministère de l'Education nationale.
Le débat sur le redoublement est donc relancé. Posons en les termes principaux.
1.Des taux de redoublement qui ont longtemps été parmi les plus élevés dans le Monde, mais ont fortement baissé ces dernières années :
En 1980, 13% des élèves de troisième furent déclarés redoublants. Ce chiffre était le plus élevé de l'Union européenne et l'un des plus élevés du Monde. On pouvait alors faire la même observation à tous les paliers d'orientation des scolarités primaire et secondaire. Considérant que ces taux de redoublement étaient excessifs... et fort coûteux, on s'est lancé dans une politique de réduction qui a porté ses fruits : en 2000, 7% des élèves de troisième furent déclarés redoublants, 2,5% seulement en 2016. Une même baisse tendentielle est observable à tous les niveaux de scolarité : alors qu'en 1960, 52% des élèves sortant de CM2 avaient redoublé une ou deux fois durant leur parcours à l'école primaire; ils n'étaient plus que 20% en 2000 et 10% en 2016. Chose remarquable : à quelques nuances près, cette politique de réduction des taux de redoublement à jusque là été portée aussi bien par des gouvernements de gauche que de droite.
2. Une efficacité qui n'est au rendez-vous que pour une minorité des élèves redoublants :
De longue date, le débat sur le plus ou moins bien fondé du redoublement porte sur son efficacité. Logiquement, le redoublement devrait être prononcé dans l'intérêt de l'élève : il devrait viser principalement à lui permettre de reprendre ses marques, de se doter des acquis nécessaires pour passer dans de bonnes conditions en classe supérieure, de regagner la confiance entamée en son potentiel de réussite scolaire... bref , lui permette de reussir, quitte pour cela à lui imposer de réaliser son parcours scolaire en plus de temps que la plupart.
C'est indeniablement le cas pour une partie de ces élèves, pour lesquels le redoublement s'avère efficace. Malheureusement, pour une majorité d'entre eux, ce n'est pas le cas. Diverses études le prouvent : ainsi, d'après l'édition 2017 du "Repères et références statistiques" que publie chaque année la Direction de l'évaluation du Ministère de l'Education nationale, si 57% des élèves entrés en sixième en 2008 sont parvenus à se doter d'un baccalauréat en 2016 (ou avant), ce n'était le cas que pour 43% de ceux qui ont redoublé une fois sur ce parcours, et 32% de ceux qui ont redoublé deux fois. Pire : alors que 12% de cette cohorte d'élèves sont sortis du système éducatif sans diplôme ni qualification professionnelle reconnue, c'était le cas de 23% de ceux qui avaient redouble une ou deux fois. Plus généralement, comme le disait il y a quelques années le très officiel HCEE (Haut conseil de l'évaluation de l'école) dans un rapport : "quel que soit le moment du cursus scolaire, les élèves ayant redoublé ont en moyenne des résultats nettement moins bons que ceux qui n'ont pas redoublé".
Bien plus, il y a une quinzaine d'années, des chercheurs de l'IREDU (université de Bourgogne), avaient mis en lumière le fait que 30% seulement des élèves qui redoublaient une classe de troisième ou seconde, parvenaient à obtenir deux points sur vingt au moins de moyenne en plus à l'issue de leur année de redoublement. En outre, 42% de ces élèves retrouvaient en année de redoublement une moyenne proche de celle qu'ils avaient obtenue l'année d'avant (ce que l'on peut considérer comme étant un échec du redoublement), et 28% d'entre eux s'effondraient en obtenant une moyenne inférieure de deux points ou plus sur vingt ! Au total, 70% d'entre eux ne tiraient pas de progrès significatif au terme de leur année de redoublement.
Et comment ne pas être troublé par le constat que dans les résultats de l'enquête PISA (qui tous les trois ans, compare internationalement les acquis des élèves âgés de 15 ans), les pays qui sont en tête des classements ont soit supprimé le redoublement, soit connaissent des taux de redoublement beaucoup plus faibles qu'en France, alors que notre pays, malgre son important usage du redoublement, ne figure qu'à un classement beaucoup plus modeste.
3. Comment expliquer cette faible efficacité du redoublement en France ?
Commençons par dire que l'une des conditions pour qu'un redoublement soit efficace, est qu'il soit psychologiquement considéré comme une nouvelle chance, une opportunité offerte pour se renforcer et reussir. Or, aux yeux de la plupart, c'est vécu comme une sanction négative, une sorte de punition. Il est urgent de donner une autre image d'une telle décision, et c'est bien le but poursuivi par la volonté du Ministère de remplacer le mot "redoublement" par l'expression "maintien de classe".
Disons en outre que revivre une seconde fois ce qui n'a pas correctement marché, à peu de chance d'être efficace . En France, il reste à inventer une pédagogie adaptée au profil de l'élève redoublant et a véritablement la mettre en œuvre. Faute de cela, redoubler risque de continuer à ne pas être efficace pour une large majorité des élèves concernés. On nous rétorquera que depuis quelques années, de réels progrès ont été accomplis telles les heures d' "accompagnement personnalisé" au collège et au lycée, la forte incitation à mettre en œuvre un "programme personnalisé de réussite éducative" (PPRE) au profit de chaque élève redoublant, mais aussi des élèves admis en classe supérieure bien que porteurs de lacunes importantes, citons également la décision récente du nouveau Ministre de proposer aux élèves issus de CM2 des stages de remise à niveau avant l'entrée au collège...
Tout cela va dans le bon sens, mais demeure manifestement insuffisant, sinon comment comprendre que nos élèves âgés de 15 ans soient si moyennement classés dans l'étude comparative PISA, alors que 28% d'entre eux ont redoublé une ou deux fois, et que plusieurs pays placés en tête de ce classement ont supprimé ou fortement réduit le recours au redoublement, préférant "laisser passer" mais en obligeant les élèves fragiles à entrer dans des dispositifs pédagogiques ad hoc ?
4. Le coût du redoublement est très important et pourrait donner lieu à une meilleure utilisation des sommes concernées :
En 2016, le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Le CNESO, qui a remplacé l'ancien HCEE) a évalué à 1,6 milliards d'euros le coût du redoublement en France. Autre étude sur ce sujet : celle de l'Institut d'étude des politiques publiques (IPP) qui, dans une note en date de janvier 2015, estimé à deux milliards d'euros le coût global du redoublement (500 millions dans le primaire, 600 millions au collège, 900 millions au lyceee). Ces données placent la France parmi les pays qui dépensent le plus pour cela. Concrètement, indépendamment des dépenses indirectes que le redoublement entraîne , cela correspond à 20000 postes d'enseignants dont une partie pourrait être utilisée au profit d'un meilleur accompagnement des élèves fragiles, si la tendance à la baisse des taux de redoublement se prolongeait. Bien évidemment, si on décide d'inverser cette tendance en redonnant aux conseils de classe le pouvoir de décider plus fréquemment qu'un élève va redoubler, tout en mettant systématiquement en œuvre un PPRE (ou équivalent) pour chaque élève redoublant, il faudra consacrer un important supplément de moyens pour mieux accompagner les élèves redoublants, et rendre le redoublement plus efficace qu'il ne l'a été jusqu'ici.
5. Le redoublement n'a pas disparu : il s'est estompé.
Il est pour le moins surprenant de voir et entendre le nouveau Ministre evoquer la nécessaire fin de "l'interdiction du redoublement", car au sens strict du terme, le redoublement n'a jamais disparu. Il est cependant vrai qu'il s'est fortement estompé, ainsi qu'en témoigne le tableau suivant :
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Evolution des taux de redoublements (1990/2016), en %
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Fin d'année de classe de ... 1990 2016
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Cours préparatoire (CP) 8% 3%
Cours moyen deuxième année (CM2) 4,5% 1%
Sixième 8,5% 2,5%
Troisième 10% 2,5%
Seconde 16% 7%
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Source : Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, Ministère de l'Education nationale
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Ainsi, même aux paliers troisième et seconde, pourtant frappés par le texte réglementaire pré-cité (l'article N° 2014-1377 du 18 novembre 2014) qui a supprimé le droit des conseils de classe de décider d'un redoublement imposable (sauf dans le cas d'une trop longue rupture des apprentissages), il perdure un taux de redoublement significatif (1). En fait, le redoublement n'a pas véritablement disparu. Dès lors, ce dont il est question n'est pas de le permettre, mais de le permettre plus fréquemment Pourquoi cela ?
6. Deux plus ou moins bonnes raisons de réactiver le redoublement :
Il y a d'abord le fait que le redoublement peut être utile à certains élèves. Le Ministre a insisté sur l'idée qu'il est très inefficace de laisser passer les élèves de classe en classe quand ils n'ont pas acquis les connaissances et compétences nécessaires pour une bonne poursuite des études. Il a probablement raison sur ce point. On sait par exemple parfaitement que la plupart des élèves autorisés à passer de CM2 au collège sans avoir acquis le bagage requis en matière de savoir lire et savoir compter, ont une très forte probabilité de ne jamais atteindre le baccalauréat.
C'est pourquoi beaucoup pensent que c'est principalement au niveau de la scolarité primaire qu'il convient de faire porter cet effort. Cependant, au risque de me répéter, j'ajouterai que pour être efficace, un tel regain de recours au redoublement ne portera de véritables fruits que si on conçoit et met en oeuvre une véritable pédagogie de l'accompagnement des élèves redoublants, et plus généralement des élèves en difficulté, et pour cela, des moyens supplémentaires à hauteur de l'ambition visée qui est de réduire significativement l'echec d'une trop importante proportion des élèves.
Une telle inflexion sera en outre de nature à satisfaire une majorité des personnels enseignant. Il est clair que depuis de nombreuses années, la plupart d'entre eux vivent fort mal une politique qui aboutit à leur retirer le pouvoir de décider (en conseil de classe) de faire redoubler les élèves qui ne sont pas suffisamment armés pour passer en classe supérieure. Aux yeux de beaucoup d 'entre eux, outre que cela participe d'un sentiment néfaste de dégradation du niveau d'exigence, il y a le fait que supprimer ou réduire le redoublement revient à retirer aux enseignants un moyen d'incitation pour que les élèves en difficulté produisent plus d'efforts scolaires.
Comme nous le déclare un professeur de français de collège : "comment obtenir un surcroit de travail de la part d'élèves qui savent que de toutes les façons, ils passeront en classe supérieure" ? Nul doute qu' une politique de réactivation du redoublement serait de nature à satisfaire beaucoup d'enseignants, ce qui pourrait s'avérer bénéfique pour le Ministre lorsqu'il s'agira de faire passer des réformes plus difficiles, telle par exemple celle du baccalauréat. Nous n'irons cependant pas jusqu'à dire que nous pensons que c'est là le but principal poursuivi.
Conclusion :
Le Ministre a annoncé qu'il irait vite sur ce point, voulant que des dispositions applicables dès l'année scolaire 2017/2018 soient prises rapidement. Deux camps s'opposent qui ne vont pas manquer d'avancer les arguments précédemment mis en lumière. Gageons qu'il ne sera pas difficile pour le Ministre de passer aux actes rapidement, malgré les arguments forts qui militent en faveur du statut quo : il n'aura pour cela qu'à s'appuyer sur le soutien très probable d'une majorité d'enseignants. Restera alors le problème le plus important : rendre le redoublement plus efficace qu'il ne l'a été jusque là.
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(1) Les taux de redoublement demeurent forts en fin de troisième etr seconde, et ce bien que la règlementation ait retiré au conseil de classe une large partie de son pouvoir de prendre une tlle décision d'orientation. L'explication n'est pas toujours connue : ce phénomène découle du fait que chaque année, un certain nombre de familles auxquelles est proposé une orientation non demandée, usent de leur droit (loi N° 204-1377 du 18/11/2014) de préférer un redoublement (qui est alors volontaire) à une telle orientation. Pour ces familles, la préférence pour un redoublement volontaire correspond à une stratégie d'évitement des propositions d'orientation non désirée.
Bruno MAGLIULO
Inspecteur d'académie honoraire
Dernière modification le vendredi, 15 décembre 2017