Il devenait urgent, pensais-je alors, de prendre en charge, de manière formelle et inscrite dans les emplois du temps, à l’école, au collège et au lycée, une éducation au numérique augmentée justement de cette éducation aux médias et à l’information qui lui est, à mon sens, indissociable.
Je vous l’avais dit il y a un moment déjà, j’ai changé d’avis à ce sujet, pour quatre bonnes raisons :
- Un tel dispositif ne pourrait en aucun cas être pérenne.
- Ce serait ajouter du temps scolaire à un temps qui est déjà trop lourd pour les élèves, un des plus importants en Europe ! Non, une nouvelle matière qui viendrait s’empiler sur les autres, quels que soient les contenus enseignés, n’est pas du tout une bonne idée.
- Réserver à un professeur spécialiste, de quelque origine disciplinaire qu’il soit, cet enseignement aurait pour triste et inéluctable conséquence d’en décharger et déresponsabiliser tous les autres.
- En corollaire de la précédente raison, le chantier est aujourd’hui ouvert de la réécriture des programmes de la maternelle à la terminale et des référentiels du socle — connaissances, compétences, culture. C’est le Conseil supérieur des programmes qui y travaille. De même, en parallèle, il est question de changer les modalités de la formation initiale des enseignants, les modalités d’enseigner elles-mêmes, les formes d’évaluation et les examens enfin.
De ce point de vue, le numérique et les programmes disciplinaires vont devoir paisiblement mais durablement se rencontrer.
On peut déjà en avoir un aperçu avec le nouveau socle commun. L’ancien socle propose une compétence appelée « Maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication » qui ancre le numérique dans la seule et très réductrice dimension technologique. Ce qui semble nous être proposé a contrario dans le nouveau socle est un revirement sensible et heureux ! Le numérique traverse maintenant apparemment les connaissances et les compétences attendues du jeune citoyen.
Il est nécessaire d’aller plus loin. La culture numérique doit traverser aussi l’ensemble des programmes disciplinaires et les éclairer.
Traverser les disciplines ?
Depuis vingt ans, on nous disait que l'éducation aux médias devait être partout... De fait, elle n'était nulle part, sauf initiative personnelle et rarement partagée de quelques professeurs volontaires... Finalement, et c'est une ironie de l'histoire, l'éducation au numérique devrait mettre tout le monde d'accord. Le numérique contraindra, j'en fais le pari, les disciplines, leurs programmes et ceux qui les enseignent à vérifier ensemble l'acquisition des nouvelles compétences qu'il a induites.
Produire un document vidéo, par exemple, pour rendre compte de l'aboutissement d'un projet ou répondre plus simplement à une consigne donnée met en œuvre des compétences variées qui ne sont nullement l'apanage d'une seule voire seulement de quelques disciplines. Il est déjà aisé et possible de produire un tel document en français, en histoire, en sciences de la vie et de la Terre, en éducation physique et sportive... en fait dans n'importe quelle discipline qui puisse s'enseigner, de l'école au lycée. C'est une occasion ouverte pour vérifier alors les compétences des élèves à collaborer et co-construire, à procéder à la prise de vue et au montage, à maîtriser les outils techniques nécessaires, à apprendre à concevoir, composer, construire des images fixes et animées, à comprendre les signes visuels et sonores, à argumenter dans une narration filmique, à s'interroger enfin sur la représentation qu'on se fait de soi, du monde et de soi dans le monde...
Publier un texte, par exemple encore, met en jeu des compétences variées et complexes, langagières, sociales, informationnelles qui valorisent l'autonomie, l'initiative, la collaboration... C'est aussi l'occasion de travailler à maîtriser la communication publique, la collecte documentaire, les règles de mise en page, l'intervention sur le code si besoin en modifiant ou en créant des fichiers HTML ou CSS... Et tout cela peut être mis en œuvre et évalué dans n'importe quelle discipline, à tous les niveaux, examens y compris... Et puis, quel merveilleux encouragement à l'exercice d'une liberté fondamentale : l'expression publique !
Manipuler, traiter et analyser des données n'est plus réservé, si cela ne l'a jamais été un jour, aux seules mathématiques ou aux disciplines scientifiques. Écrire des algorithmes simples, construire une carte heuristique, programmer des interfaces, expérimenter et observer, comprendre les conventions de fonctionnement des réseaux, les problématiques de choix de formats et de licences sont des compétences nouvelles qu'il est maintenant possible de mettre en œuvre dans la plupart des disciplines, et pas seulement les disciplines scientifiques ou la technologie en collège.
Tout cela est possible dès maintenant, sans attendre de nouveaux programmes ou de nouveaux examens. Dans le cadre d'une stratégie forte d'impulsion, il convient de susciter et valoriser l'engagement de ceux qui veulent s'y mettre et partager. Cela concerne aussi les cadres dont il faut former massivement les moins engagés. Il faut enfin lever enfin un certain nombre de verrous. Ce serait un bon début.
Éclairer les disciplines ?
La mission de l’école est d’abord, je le rappelle, de former des jeunes citoyensémancipés, autonomes, responsables. Tout cela concourt à l’acquisition d’une citoyenneté numérique qui place les jeunes dans les meilleures conditions pour aborder leur vie d’adulte. Ils deviennent capables de pratiques critiques et raisonnées des médias et de l’information, tant en lecture qu’en production.
On sait simplement que, pour s’y préparer, les jeunes, nos élèves, devront avoir acquis à l’école une très grande culture générale et, notamment, une culture numérique fondamentale et humaniste.
Le numérique, c’est d’abord de la culture et de l’humain. Il ne faut jamais l’oublier !
Dernière modification le mercredi, 19 novembre 2014