L’art d’annoncer ce qui est déjà là
Magliulo commence par rappeler que cette idée est non seulement « ancienne », il la fait remonter à 2008, ce qui est discutable, car il existe des textes plus anciens, mais surtout peu appliquer dans les établissements. Jusque dans les années 80, cette activité est surtout portée par les conseillers d’orientation et souvent organisée à partir des CIO. Dans les années 90, avec la thématique de l’éducation à l’orientation, c’est le Ministère lui-même qui tente de réorganiser cette pratique à partir des établissements scolaires avec différents dispositifs qui se sont succédés (les différents « Parcours » [2], aujourd’hui, le Parcours Avenir[3]).
Le constat est triste : « Sans nier l’existence de nombreux établissements secondaires au sein desquels des actions efficaces ont lieu dans ce domaine, encore trop de collèges et lycées négligent cette « impérieuse nécessité ». Le Président de la République a donc décidé d’en faire une priorité, et pour cela de demander fermement que l’on relance ce type d’action. À cet effet, divers textes réglementaires et moyens pédagogiques sont en cours d’élaboration qui seront prochainement communiqués aux acteurs de terrain. »
La tête de l’État s’est donc exprimée, yapuka ! Sauf que. Entre l’injonction d’un Président et sa réalisation par un fonctionnaire dans un état de droit, il y a quelques étapes à franchir.
La transformation en loi, votée.
La publication par le Ministère d’un décret.
Puis la rédaction de circulaires…
La mise en musique par les recteurs
La mise en œuvre par les chefs d’établissement
Et surtout, surtout… l’engagement des personnels.
Une parole bienpensante
Si « Le travail sur le projet d‘orientation scolaire et professionnelle des élèves doit normalement reposer sur trois grands piliers : la connaissance des divers itinéraires de formation, la connaissance de soi et la connaissance des métiers. », comme le dit Magliulo, seul ce troisième pilier est désigné par notre Président.
Ce pilier de la connaissance des métiers a sans doute une forme d’évidence. Au fond, ysufi2 pour que les élèves choisissent bien. C’est sans doute pourquoi Magliulo centre son article sur l’examen de cette idée, un examen très intéressant que je vous recommande.
Les pratiques, quand il y en a, reposent pour l’essentiel sur le témoignage et la connaissance des métiers d’aujourd’hui or « ce qui préoccupe les élèves et leurs parents, c’est moins l’état actuel de l’univers des métiers, que celui qui les concernera lorsqu’ils se présenteront pour la première fois, au terme de leurs études initiales, à la porte du marché de l’emploi. » Or cet horizon pour les élèves de collège se situe au minimum à 2030. Il faut donc un effort particulier de vision prospective pour intervenir sur ce terrain.
La partie la plus développée de l’article présente diverses études prospectives en la matière, portant sur les métiers du futur ou de demain, et l’évolution du recrutement selon les types de métiers et les secteurs d’emploi.
Et la conclusion de Bruno Magliulo considère que « les propos tenus par le Chef de l’État le 25 août 2022 » permettent de relancer cette préoccupation. Mais, « Pour être véritablement utiles, ces diverses façons de présenter l’univers des métiers doivent faire l’effort de tenir compte de la nécessité de se projeter dans le futur, et pas simplement de se contenter de décrire les réalités d’aujourd’hui, comme on le fait trop souvent. Ce n’est pas simple, mais il y a en cela une impérieuse nécessité qui, le plus souvent, n’est pas suffisamment prise en compte. »
Remarques
Donc, si je comprends bien, d’après Magliulo, c’est ce troisième pilier, la connaissance des métiers, qui est le plus difficile à mettre en œuvre. Mais rappelons que la connaissance de soi est sans doute le pilier plus absent, à tel point qu’il ne figure plus, depuis le début des « parcours » dans leurs objectifs. Le trépied de l’orientation a donc déjà été abandonné.
Reste que différentes accélérations ont des conséquences sur le monde du travail au sens large.
Et les évolutions technologiques ne sont pas seules en cause. Les « aléas » interviennent là où on ne les attend pas nécessairement. Prenons l’exemple de la crise de l’énergie accélérée par la guerre en Ukraine. Différents secteurs, gros consommateurs sont touchés, et dont les conséquences sont médiatisées, les piscines municipales fermées [4], les remontées mécaniques également entraînant de difficultés dans l’exploitation des stations de ski. Et ce ne sont là que deux exemples. Ces réactions de fermeture ont des conséquences immédiates sur les emplois, mais aussi en dérivée sur les entreprises productrices des « outils ». Est-ce de simples réactions momentanées ou plus durables et donc avec de réelles conséquences également durables ?
Et les conséquences du dérèglement climatique que le tout monde constate brutalement aujourd’hui, aura des conséquences dans les métiers, les emplois, les secteurs. Ainsi, “Des enseignants de l’INSA Lyon, fameuse école d’ingénieurs, choisissent de remettre au goût du jour le modèle low-tech (comprendre : technologie sobre ou douce) pour questionner les missions de l’ingénierie et ses exécutants. Une démarche d’ensemble qui pourrait réconcilier la technique et la planète.” [5]
Plus globalement les évolutions dépendront des décisions des politiques concernant l’écologie.
La prospective sera donc sans doute de plus en plus difficile, et l’idée même d’orientation est en train de se déconstruire sous nos yeux. Il faut prendre au sérieux la remarque de Magliulo. « C’est ainsi qu’il faut comprendre une phrase importante figurant dans le rapport pré cité de Dell (la « Cité du futur » [6] : « La capacité à acquérir un nouveau savoir vaudra plus que le savoir déjà appris ». Autrement dit : on ne pourra plus compter durant toute sa vie professionnelle sur le bagage acquis durant sa formation initiale . »
Peut-il y avoir encore sérieusement une préoccupation d’orientation professionnelle dans l’éducation face à un tel avenir ?
Bernard Desclaux
Article publié sur le site :https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2022/09/11/publication-de-rentree-parole-jupiterienne/#_ftn1
[1] Bien mettre en œuvre en collège et lycées le « parcours de découverte des métiers et des formations » – Educavox, Ecole, pédagogie, enseignement, formation. https://www.educavox.fr/alaune/bien-mettre-en-oeuvre-en-college-et-lycees-le-parcours-de-decouverte-des-metiers-et-des-formations
[2] Un exemple de ces parcours, Posts Tagged ‘pdmf’ https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/tag/pdmf/
[3] Le Parcours Avenir https://www.education.gouv.fr/le-parcours-avenir-7598
[4] Quel avenir pour la natation à l’école face à la crise énergétique ? https://www.vousnousils.fr/2022/09/08/quel-avenir-pour-la-natation-a-lecole-face-a-la-crise-energetique-663113?utm_source=sendinblue&utm_medium=email&utm_campaign=Newsletter%20VousNousIls%20du%209%20septembre
[5] À l’INSA Lyon, les « low-tech » bousculent la formation d’ingénieur https://www.rue89lyon.fr/2022/09/05/insa-lyon-ingenieur-low-tech/
[6] The next era of Composite Graphics human|machine PARTNERSHIPS extension://elhekieabhbkpmcefcoobjddigjcaadp/https://www.delltechnologies.com/content/dam/delltechnologies/assets/perspectives/2030/pdf/SR1940_IFTFforDellTechnologies_Human-Machine_070517_readerhigh-res.pdf . Une présentation de cette étude dans un article du Figaro : Une étude affirme que 85 % des emplois de 2030 n’existent pas aujourd’hui https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/07/17/20002-20170717ARTFIG00212-une-etude-affirme-que-85-des-emplois-de-2030-n-existent-pas-aujourd-hui.php
Dernière modification le jeudi, 15 septembre 2022