Alors que les usages ont considérablement changé depuis que ces espaces ont vu le jour, nombre d’EPN (sur quelques 4700 en France selon la carte tenue à jour par Net public) connaîtraient une baisse voire une stagnation de leur fréquentation et de leurs activités. Ces espaces numériques très hétérogènes eux-mêmes servis par des politiques publiques très fluctuantes d’un territoire l’autre peuvent aujourd’hui paraître en danger et ce d’autant qu’ils sont général ! ement peu soutenus par les élus qui peinent à voir les enjeux de ces lieux. Allons-nous vers la fin des EPN ou leur transformation ? C’est la question que souhaite aborder ce dossier.
La difficile mesure de la fréquentation
La fréquentation des Espaces publics numériques (EPN) est-elle en baisse en France ?
En Bretagne, souligne M@rsouin dans la dernière édition de sa publication sur les usages de l’internet en Bretagne (.pdf) : “9 % des Bretons utilisent les EPN (contre 14 % en 2009) pour accéder à internet”. En Ardèche, la baisse a commencé depuis 2007 et n’a cessé de s’accélérer : – 14% en 2008, – 20% en 2011. Cette baisse de fréquentation n’est pas uniforme. En Rhône-Alpes, l’Observatoire des pratiques numériques vient de publier une étude sur les EPN (.pdf) qui m ! ontre que la part des EPN dont le public est en augmentation est plus importante que ceux dont le public est en diminution (même si la stagnation du public l’emporte pour presque 50 % des structures). En Provence Alpes-Côte d’Azur, les Espaces régionaux internet citoyens (Eric, l’équivalent régional qui désigne les EPN), selon la dernière étude publiée par la Région (.pdf), depuis les 3 dernières années, 50 % des ERIC constatent une augmentation de leurs adhérents, 35 % une fréquentation constante…
Mais pour certains cette augmentation n’est-elle pas conjoncturelle ? L’augmentation du nombre d’usagers est en partie liée à l’augmentation de la fréquentation des demandeurs d’emploi et la contrainte d’utiliser désormais l’internet pour répondre à une offre. Maintenant que les annonces de Pôle emploi passent majoritairement par le site internet, les chômeurs sont souvent renvoyés vers les EPN pour apprendre à se servir du site, comme l’explique avec énervement sur son blog Loïc Gervais, coordinateur des EPN à Thonon.
Pour Didier Paquelin directeur du programme de Recherche Aquitain sur usages et le développement des dispositifs numériques Raudin, la baisse de fréquentation des EPN n’est pas homogène et correspond à une évolution du public. A l’origine, les EPN cherchaient à toucher les publics les plus exclus, non équipés : retraités, demandeurs d’emploi… Aujourd’hui, 75 % des utilisateurs d’EPN en Aquitaine sont des utilisateurs équipés, des gens “déjà engagés dans des pratiques numériques”. “Si les équipements touchent toujours les gens les plus paupérisés, on voit aussi arriver de nouveaux publics en quête d’une dimension sociale plutôt que technique. Ils sont à la recherche d’un “tier ! s lieu “, d’un espace de sociabilité plutôt qu’une formation. “Les derniers traitements d’une enquête représentative en Aquitaine montrent qu’actuellement 5 % de la population fréquente ces lieux (soit environ 160 000 personnes), mais que 15 % se disent intéressés pour les utiliser autrement que pour avoir accès un simple équipement, et ce notamment dans les zones plus rurales.”
Les usages ont changé
Dans certaines structures, le recul de la fréquentation est important et pourrait bien s’accélérer encore, très vite : risquant de poser brutalement la question de l’utilité des EPN en des temps de rigueur budgétaire des collectivités territoriales.
Les raisons de cette chute de fréquentation ne sont pas encore bien claires. Les EPN auraient-ils rempli leurs missions ? Ont-ils accompagné tous les gens qu’ils avaient à former ? Les usages de base de l’internet sont-ils accomplis ? Les cours pour apprendre à utiliser un traitement de texte, un navigateur, un logiciel de mail, les outils de retouche photo et ceux de montage vidéo ont-ils porté leurs fruits (ou les outils sont-ils devenus plus simples d’utilisation ?) ? Les usagers sont-ils devenus suffisamment autonomes pour gérer leurs pratiques en ligne ?…
En partie. S’il demeure des publics en difficulté, que les structures de médiation prennent généralement assez bien en charge, qu’en est-il des autres publics ? Les EPN ont-ils participé à réduire la fracture numérique ? On peut l’espérer. Ont-ils réussi à renouveler leurs publics ? Pas si sûr !
Force est de reconnaître en tout cas que les usages ont évolué. Avec l’internet, la plupart des gens se débrouillent. Imparfaitement le plus souvent, mais les pratiques avancent. Les EPN sont nés à une époque où plus de 50 % des Français n’étaient pas connectés à l’internet, alors qu’en 2012, nous avons dépassé les 72 %, soit 3 Français sur 4. Et ils seront bientôt 1 sur 2 à être équipé d’un smartphone : 46 % des Français sont équipés d’un smartphone soit 23,8 millions rappelle la dernière étude Médiamétrie. Les pratiques changent. Rapidement. L’arrivée des smartphones puis des tablettes, leur explosion dan ! s les ventes (qui va s’accélérer avec les fêtes de fin d’années, avec l’arrivée de tablettes toujours moins chères, toujours plus conviviales) et leur démocratisation transforme également le rapport de plus en plus de gens à l’informatique et à l’internet.
Si dans les EPN la consultation d’internet ne faiblit pas (notamment pour les publics qui n’en disposent pas ou qui veulent en disposer dans un autre cadre que le cadre domestique), celle des formations, elle, semble en berne. La demande est moins forte. Si les animateurs travaillent encore avec les publics les plus éloignés de l’internet…, ils ont plus de mal à toucher les autres. A d’autres endroits, on entend l’écho contraire. Les formations font salle pleine et les postes de consultation restent vides.
Le recul de l’usage des EPN risque de faire peser les arbitrages budgétaires à venir à leur désavantage. Comment justifier la continuité de structures qui peinent à se renouveler… d’autant plus si le public commence à s’en éloigner ? Comment leurs rôles et leurs missions doivent-ils se réinventer ? La question risque vite, partout, de devenir brûlante.
“Il y a certainement une transformation en cours à ne pas louper”, estime Didier Paquelin. “Le mouvement EPN initié par Lionel Jospin en 1997 à Hourtin, s’inscrivait dans un contexte particulier où nous devions nous lancer dans la course à la nouvelle économie et les EPN d’alors voulaient former tout le monde à l’internet, sur le modèle de l’alphabétisation pour tous de Jules Ferry. Tout n’a pas échoué. Mais le contexte aujourd’hui est devenu bien différent. Ces structures doivent désormais prendre en compte une approche ascendante.”
Cependant, quand on observe d’un peu plus près la fréquentation de ces espaces d’autres constats sautent aux yeux. Les retraités et les demandeurs d’emplois demeurent partout le principal public de ses espaces, devant les scolaires et très loin devant les étudiants et les actifs. Les services proposés demeurent partout l’accès libre et l’initiation à la bureautique et à l’internet, devant l’aide aux démarches en ligne (notamment pour l’emploi)… mais loin devant les formations plus spécifiques (vidéo, retouche d’image) et les ateliers de sensibilisation et d’initiation. Même le jeu en réseau est bien souvent un épiphénomène…
Selon l’étude annuelle annuelle du Credoc sur la “diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française (2011)” (.pdf), la part des internautes qui se connectent depuis un lieu public (et qui rassemble autant les EPN que des bibliothèques, cybercafés, bureaux de poste ou centres commerciaux) ne cesse de progresser (15 % des usagers en 2011). Mais cette croissance relative ne doit pas masquer la réalité, souligne le consultant et formateur Philippe Cazeneuve. La réalité, c’est à la fois une multitude de lieux en perte de vitesse et à la fois une dynamique de création de lieux qui touche de nouveaux publics et créée de nouveaux services.
“Beaucoup d’espaces n’ont pas pris le virage de l’évolution du numérique. On n’y parle guère de tablettes ou de smartphone. On reste le plus souvent focalisé sur la bureautique et l’internet. Or, il faut désormais des lieux capables d’accueillir le matériel des gens. Investir sur des projets avec des espaces de plusieurs postes n’a plus grand sens. Les gens ne veulent plus faire de l’ordinateur de bureau. Le problème, c’est qu’on ne l’a pas intégré. La réactivité est faible dans les collectivités. On manque d’une vision prospective sur le fonctionnement de ces lieux et ce qu’ils pourraient apporter.”Les décideurs politiques ne portent pas de vision sur ce que pourraient devenir ces espaces, regrette Philippe Cazeneuve. “Bien sûr, il y a des pistes, pour les transfo ! rmer en FabLab, en espace de coworking, en tiers lieux… Mais ces espaces peuvent-ils être portés par des structures issues des collectivités territoriales ? Les statuts de la fonction publique territoriale peuvent-ils permettre de faire fonctionner un lieu innovant qui a besoin d’ouvrir le week-end ou tard le soir par exemple ?”
La transformation des publics
Ce n’est pas parce que les usages du numérique ont progressé que le besoin de médiation et d’accompagnement n’existe plus. Au contraire (voir par exemple Open data (2/4) : animer, animer et encore animer et Open data (3/4) : l’enjeu de la coproduction). Le besoin de médiation numérique intervient à la fois au niveau de la compréhension de la machine, de l’aide à l’utilisation, comme à un niveau plus complexe : appropriation et accompagnement des usages, développement de pratiques actives… Partout, on en appelle à une meilleure formation des usagers pour les rendre plus maîtres de leurs pratiques numériques, pour les rendre capables de copr ! oduire des services… L’accompagnement, on semble en avoir plus que jamais besoin. Et en même temps, il peine à se renouveler, à trouver son public.
“Ce qui commence à être compliqué, c’est la question du financement. La majorité des gens qui viennent dans les EPN ne sont pas des gens en risque d’exclusion par rapport au numérique”souligne encore Philippe Cazeneuve, soulignant par là que c’était l’une de leur principale mission.“Les espaces qui travaillent réellement avec des publics exclus sont loin d’être la majorité. L’essentiel du public a un accès chez lui, un ordinateur, et veut apprendre à mieux se servir de son matériel… Est-ce à la collectivité de financer le papi qui s’intéresse à la vidéo pour faire ses films de vacances ? On accompagne des pratiques qui relèvent des activités de loisir des MJC, mais est-ce à la collectivité de payer pour cela ? Les clubs de photo ou vidéo ! pourraient y pourvoir. Les collectivités financent l’accompagnement de l’achat de nouveau matériel pour le plus grand bonheur des marchands de matériel ! Or, seuls les lieux qui expérimentent sur l’innovation, qui montent des projets peuvent être un contrepoids à la tendance à la diffusion d’outils fermés.”
Pour Elisabeth Le Faucheur Joncour, responsable de projets au service internet et expression multimédia de la ville de Brest, la baisse n’est pas homogène. Sur Brest, le nombre de Papis (Points d’accès publics à l’internet) n’a cessé d’augmenter. On en dénombre plus de 100 pour 145 000 habitants. “Sur certains quartiers de la ville, ceux où la politique de la ville est la plus active, ceux où les ateliers sont gratuits et ouverts, la demande d’accompagnement est trop forte, et les animateurs peinent à y répondre. Les Papis qui travaillent à l’accompagnement de publics très éloignés de l’internet continuent de déborder de projets et d’activité. A Kérédern, un de ces quartiers, le projet monté par le Papi avec le bailleu ! r social pour développer l’internet en habitat social à 1 euro par mois a permis de toucher des personnes encore très éloignées du numérique.”
A Brest, une évaluation des points d’accès publics à l’internet est en cours, pour voir si le dispositif touche toujours les mêmes publics qu’à l’origine. En 2003, une personne sur deux qui venait dans un Papi était demandeur d’emploi. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
La diversité des EPN n’aide pas à coordonner l’action
Il reste difficile d’avoir une vision d’ensemble de l’action des EPN, car on regroupe sous ce nom générique, une très grande variété de situations, de labels et d’espaces : on désigne sous ce nom parfois une simple borne internet installée sans animateur dans un lieu public, parfois une véritable salle multimédia animée par des équipes d’animateurs aux profils variés qui démultiplient les activités… On désigne à la fois des structures qui sont accessibles quelques heures par semaines et d’autres ouvertes en continu. Sous le même vocable, on rassemble à la fois des structures associatives (comme c’est le cas des 2/3 des EPN de la Corse par exemple) et des structures portées par des collectivités territoriales (comme c’est le cas de 65 % des EPN).
“En Aquitaine, on dénombre 198 points d’accès publics soit environ 3,3 points d’accès pour 10 000 habitants (avec quelques zones blanches)”, rappelle Didier Paquelin. “Mais ces points d’accès recouvrent une grande variété de structure et d’offres : Cyberbases, Espaces publics numériques, Espaces culture multimédia, Ateliers multimédias informatiques, points d’accès à la téléformation… On compare des structures qui sont parfois ouvertes seulement 2 heures par semaine avec d’autres ouvertes en continu. Forcément, elles ne peuvent pas produire la même chose !”
“Les EPN sont un objet très mal qualifié, dont la trop grande diversité pose problème. S’il y a des liens entre structures et animateurs à l’échelle locale, la superposition des structures n’aide pas à organiser l’ensemble. Les EPN ont besoin d’entrer dans une logique de convergence et de transformation. Ils ont besoin d’un ancrage territorial plus fort”, estime Didier Paquelin. Les dynamiques sont d’ailleurs très différentes d’une région l’autre alors qu’elles jouent un rôle dans le fonctionnement en réseau, dans l’offre d’animation…
“Oui, le modèle de médiation numérique des EPN n’est plus vraiment adapté”, estime Emmanuel Vandamme, président de l’association Anis, l’association qui fédère les EPN du Nord-Pas-de-Calais. “Ceux qui sont restés dans une logique classique (lieu d’accès et formation) rencontrent souvent des difficultés de fréquentation. La démocratisation de terminaux d’accès plus facile à utiliser participe également à expliquer la désaffection.”
“Beaucoup de lieux n’arrivent pas à répondre à la demande, notamment dans les territoires les plus sous-équipés”, estime Philippe Cazeneuve. “A l’inverse, sur certains lieux créés depuis longtemps, on constate un phénomène d’usure, des publics comme des animations. Tout cela est lié à la dynamique de l’animation. Dans les structures de types cyberbases, où l’on trouve souvent plusieurs animateurs, une offre d’ateliers variée, les lieux ne désemplissent pas. Les lieux où il y a des moyens, où des projets se mettent en place, fonctionnent. Mais beaucoup d’espaces ne proposent que de la bureautique et de l’accès à l’internet, et ce n’est plus suffisant.”
Les fortes différences régionales n’aident pas à y voir plus clair. “En Bretagne, la dynamique est un peu passée. Le label cybercommune semble en panne”, estime Philippe Cazeneuve. “En Basse-Normandie ou en Paca, on trouve une animation du territoire qui fonctionne, un fonctionnement par projets qui tourne. Mais la plupart du temps, partout ailleurs, les animateurs demeurent isolés, sans grands soutiens politiques. Et pour eux, c’est plus dur”.
Hubert Guillaud
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