La phrase prononcée dès l’ouverture revient à un écrivain pourtant disparu depuis plus de quatre siècles et demi : " Science sans conscience… " Mais elle est toujours d’actualité si l’on croit que les problèmes du monde pourront être résolus avec toujours plus de créativité, de recherche et de science. Mais le temps n’est pas la seule frontière que le numérique rend floue. Il en est ainsi de la frontière entre vie publique et sphère privée, entre information et opinion…
Quels repères alors pour un jeune (la Petite Poucette du regretté Michel Serres, par exemple) qui utilise son Smartphone plusieurs heures tous les jours pour s’informer et pour communiquer ?
Comment trier le vrai du faux ? Où est sa liberté d’expression ? Comment s’appliquent, dans ce contexte, les valeurs que l’école essaie de lui transmettre ? Qu’en est-il là des droits de l’homme dont la déclaration ne semble plus avoir d’universelle que le nom ?
L’école peut-elle lui donner réponse à ces questions ? Elle se doit en tous cas de fournir à tous les élèves les compétences et les clés pour comprendre et analyser. Elle se doit d’accompagner la naissance d’un citoyen nouveau apte à garder la main sur les processus et les usages.
Ce jeune dont on parle est plongé, via les réseaux sociaux, dans la plus grande communauté de toute l’histoire de l’humanité.
Il est ainsi le récepteur d’une masse considérable d’informations qu’il lui faut trier, hiérarchiser, utiliser. Pour la première fois de l’histoire, il est lui-même producteur d’information. Ce sont des rôles nouveaux et donc des compétences nouvelles qu’il lui faut acquérir, à l’école bien sûr mais pas seulement à l’école qui n’a pas le monopole de l’éducation. Elle l’a de moins en moins.
Ce jeune va devoir se construire, être lui-même, tout en étant soumis à l’injonction " d’être à l’écran " qui lui assure de voir les autres, de se voir lui-même et d’être vu par les autres à tout moment. Il a le risque immense de confondre les traces qu’il laisse sur le web et ce qu’il est réellement : son identité numérique est en tension. Il faudra l’aider à analyser le stechno-discours, à opter pour un progrès par volonté plutôt que par nécessité, à être autonome, à garder le contrôle. Pour l’aider tout au long de sa vie on peut ouvrir pour lui et les moins jeunes des universités populaires du numérique.
Et l’éthique dans tout cela ?
Elle est perçue comme un point d’équilibre entre morale et déontologie. A la différence de la morale qui est injonctive, l’éthique ne prescrit pas, elle est réflexive.
Elle s’établit sur une culture commune. Bien que fondée sur l’intime, elle est sociale, parce que nécessairement co-construite et indispensable pour établir une relation de confiance numérique.
L’éthique doit être tout aussi contraignante pour ceux qui conçoivent les dispositifs que pour ceux qui les utilisent. L’éthique liée au numérique aura, elle aussi, du mal à être universelle car le numérique se construit sur les fondamentaux culturels de chaque pays et ceux-ci sont très différent.
Alors quels invariants pour bâtir une éthique de la confiance ?
La transparence d’abord, transparence des processus, des algorithmes, des utilisations des données; la recherche de l’équité entre individus, entre territoires qu’ils soient physiques, intellectuels ou culturels ; la place de l’humain au centre des pratiques pour que celles-ci soient voulues et non subies ; la responsabilisation de tous les acteurs, publics, privés, groupes d’individus et individus eux-mêmes ; l’école et plus largement l’éducation pour former des citoyens à la fois libres et responsables.
La construction sur ces bases d’une éthique du numérique est une condition sine qua non pour que l’humain soit augmenté par le numérique et non asservi ou affaibli par lui… Le combat n’est pas gagné d’avance.
Jacques Puyou
Dernière modification le mardi, 05 novembre 2019