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Les six derniers mois ont été ceux des réformes des voies générales et technologiques du lycée , des baccalauréats du même type, de la plateforme Parcoursup.... Ces réformes ont tellement occupé les esprits et la scène médiatique qu'on a fini par penser que la voie professionnelle constitue un cas à part, échappant au vent de réforme qui souffle avec puissance sur le système éducatif français depuis l'arrivée de Jean-Michel Blanquer à la tête du Ministère de l'éducation nationale.

La remise au Ministre de l'´Education nationale, le mercredi 22 février 2018, d'un rapport portant sur une possible rénovation de la voie professionnelle, est venue contredire cette vision des choses. Il est désormais clair qu'après les voies générales et technologiques, c'est le tour de la voie professionnelle. Découvrons les grandes lignes du rapport portant projet de réforme de la voie professionnelle, co-signé par Madame la députée Celine Calvez et le célèbre cuisinier étoilé Regis Marcon, un rapport publié peu de jours après que le Premier Ministre en personne ait présenté, le 9 février 2018, une série de vingt mesures visant à réformer l'apprentissage, dont il convient également de tenir compte tant il est clair que ces deux réformes seront intimement liées.

1. Une indéniable croissance quantitative, mais qui ne va pas sans problème :

Le rapport souligne qu'en matière d'orientation, la voie professionnelle secondaire remporte un net succès quantitatif : entre 2010 et 2017, le nombre des bacheliers professionnels a crû de 73%, passant de 110.000 à 190.000, apportant une forte contribution à la démocratisation de l'accès au baccalauréat. Selon les rapporteurs, ce succès quantitatif serait en grande partie le fruit de la réforme survenue au début des années 2010 qui, en instaurant un parcours en trois ans au lieu de quatre, et en supprimant l'obligation de passer par la case BEP, aurait fortement revalorisé le baccalauréat professionnel . C'est ce qui les conduit à écrire que "le fait d'avoir créé le bac pro en trois ans a changé les aspirations de ces jeunes", et donc l'image de la voie professionnelle .

EMais ce que ne prennent pas clairement en compte les rapporteurs, c'est que cette évolution quantitative est également le fruit d'une politique d'orientation par défaut en fin de classe de troisième. A l'évidence, l'orientation post collège vers la voie professionnelle demeure trop fréquemment une orientation par défaut : si un tiers des élèves de troisième sont désormais orientés vers la voie professionnelle, ce n'est un choix véritable que pour moins de la moitié d'entre eux. Les autres y viennent par défaut, faute d'être considérés comme ayant le niveau requis pour pouvoir accéder à la seconde générale et technologique qui a leur préférence. 

En outre, s'il est indéniable qu' aujourd'hui, plus de 55% des bacheliers professionnels poursuivent leurs études, alors qu'ils n'étaient que 25% dans ce cas en 2005, il n'en est pas moins vrai qu'ils y rencontrent de grosses difficultés. Faut-il rappeler que la filière dans laquelle ils réussissent le mieux (on est tenté de dire "le moins mal") est celle des BTS, dans laquelle ils ne sont que 58% à parvenir à se doter du diplôme final en deux ou trois ans (alors que les bacheliers technologiques et généraux y parviennent à 80%). Constatant que c'est pour l'accès au diplôme de BTS que les choses se passent le mieux pour les bacheliers professionnels qui prolongent leurs études, le Ministère de l'Education nationale applique depuis plusieurs années une politique de quotas de places qui leur sont réservées.

Cependant, ces formations sont sélectives, et bien qu'on en écarte de plus en plus les bacheliers technologiques et généraux au profit des bacheliers professionnels, nombre de ces derniers voient leurs demandes d'y accéder refoulées, les incitant à se rabattre par défaut vers des formations universitaires non sélectives dans lesquelles ils ne sont que 3% à parvenir à se doter du grade de licence (contre 18% des bacheliers technologiques et 60% des bacheliers généraux).

Ainsi, pour des milliers d'entre eux, l'accès au bac pro se solde par de cuisants échecs dans l'enseignement supérieur. Un vrai gâchis !

Pour améliorer significativement les choses en ce domaine, il faudrait pour le moins revoir le dispositif de formation aux BTS pour ces bacheliers, par exemple en développant fortement les parcours conduisant aux BTS en trois ans. Il a par ailleurs été décidé, dans le cadre du "plan étudiant", de créer 7000 places supplémentaires en STS, à réserver à des bacheliers professionnels. C'est bien, mais le compte n'y sera pas, loin s'en faut. Et nous ajouterons qu'il faut prendre garde à ne pas perdre de vue qu'un BTS - comme tout diplôme de l'enseignement professionnel - c'est d'abord fait pour répondre aux besoins du marché du travail, et non pour prioritairement satisfaire les demandes d'admission des bacheliers professionnels. Une trop forte inflation du nombre des BTS annuellement délivrés se solderait pour beaucoup de ces jeunes par une dégradation de la valeur individuelle de leur diplôme, et une amplification du phénomène de déqualification qui caractérise d'ores et déjà une part importante de ces jeunes diplômés.

2. Une insertion professionnelle qui demande à être améliorée :

Les rapporteurs soulignent que le but premier d'une nouvelle réforme de la voie professionnelle devrait être d'améliorer les conditions du passage à l'emploi de celles et ceux qui choisissent d'entrer dans la vie active à l'issue du baccalauréat professionnel. Ils sont certes en passe de devenir minoritaires (puisqu'une majorité croissante opte pour la poursuite des études), mais on sent bien, à lire ce rapport, que le sort de ceux qui choisissent le marché du travail préoccupe fortement les deux rapporteurs, et même qu'ils ne sont pas hostiles à l'idée de freiner le mouvement d'extension du nombre de ceux qui prolongent leurs études, au profit d'un recentrage vers les missions fondamentales d'un baccalauréat professionnel qui est de s'insérer sur le marché du travail. .

Or, le moins que l'on puisse dire est que, pour celles et ceux qui optent pour l'insertion professionnelle, les choses ne se passent pas très bien (du moins sur le plan global, car il existe fort heureusement certaines spécialités de bac pro qui tirent fort bien leurs diplômés vers l'emploi). D'après la dernière en date des études que réalise périodiquement (tous les trois ans) le très officiel CEREQ (Centre d'études et de recherche sur les emplois et les qualifications) sur l'insertion professionnelle des jeunes diplômés en France ("Quand l'école est finie : premiers pas dans la vie active", octobre 2017, accessible sur le site http://www.cereq.fr), les détenteurs d'un baccalauréat professionnel sont globalement 30% à subir un temps cumulé de chômage de plus d'un an au cours des trois premières années suivant l'obtention de ce diplôme, et 17% de plus à avoir vécu cela durant six à douze mois. Trois ans après leur sortie du système de formation, ils sont encore près de 20% à être au chômage. De plus, 60% de ceux qui ont trouvé un emploi ont dû accepter de faire leurs débuts sur des postes pour lesquels des qualifications de niveau V (CAP/BEP) suffisent, et donc, vivent une plus ou moins longue période de déqualification. Pire : si, trois ans après l'obtention de leur baccalauréat professionnel, 64% d'entre eux sont parvenus à trouver ou retrouver un emploi conforme à leur qualification de départ (niveau III), un gros tiers d'entre eux est maintenu à ce niveau de déqualification. La future réforme de la voie professionnelle devra s'efforcer de trouver remède à ces maux.

3. Vers une meilleure adaptation de l'offre de formation aux besoins du marché du travail ;

En 2018, il existe en France près de 90 spécialités de baccalauréat professionnel. on s'étonne de la survivance de certains baccalaureats professionnels qui correspondent à des spécialités en voie d'effacement au niveau de qualification IV, et dont le nombre d'implantations devrait manifestement être réduit, voire que l'on pourrait supprimer. Par exemple : n'y a-t-il pas trop de formations au bac pro "gestion administrative", alors qu'une part croissante des emplois de niveau IV sont occupés par des détenteurs de BTS tertiaires victimes de déqualification lors de leurs premières embauches ? Inversement, on est surpris aujourd'hui de constater l'absence de certaines spécialités de plus en plus demandées sur le marché den l'emploi, tout particulièrement dans le secteur des nouvelles technologies. Pourquoi, par exemple, n'existe-t-il pas de bac pro " métiers du data" ?

L'un des axes de la réforme sera donc très probablement celui d'une remise à plat de certains parcours : des regroupements, refontes de programmes... seront sans doute à faire. On y ajoutera quelques créations nouvelles, tout particulièrement dans le secteur des nouvelles technologies, dont les perspectives de recrutement sont prometteuses.

4. Vers une refonte des classes de seconde professionnelle visant à les rendre moins spécialisées ;

Un consensus majoritaire semble porter vers une importante refonte des classes de seconde professionnelle. Aujourd'hui, il en existe près de 90, chacune étant caractérisée par un plus ou moins haut degré de spécialisation. Outre que cela ne cadre plus avec une évolution des besoins en recrutement, qui appellent de plus en plus à un certain degré de polyvalence chez les jeunes diplômés, il y a le fait que cette hyper spécialisation oblige les élèves et leurs parents à être porteurs d'une vocation professionnelle précise dès la sortie du collège, donc à 15/16 ans, ce qui n'est pas raisonnable pour la plupart des élèves.

D'ou l'idée de regrouper les secondes professionnelles actuelles en une dizaine/quinzaine de "familles de métiers", de façon à ce que les élèves se voient offrir une "possibilité de parcours progressif avec une spécialisation plus poussée " qui ne commencerait qu'en première professionnellle. Aux yeux des rapporteurs, les actuelles classes de seconde professionnelle sont "trop compliquées pour les familles", rendant difficiles l'expression de choix positifs et motivés pour des élèves de troisième . De tels regroupements devraient être "plus lisibles", et donc permettre de bénéficier d'une année supplémentaire avant de choisir une spécialité pointue. C'est ainsi par exemple que pourrait être créée une seconde pro "métiers des services aux personnes" qui se subdiviserait en première entre diverses spécialités telles "accompagnement, soins et services à la personne (ASSP) à domicile", "ASSP en structure", "services aux personnes et aux territoires", "services de proximité et vie locale"...

Il en résulterait une remise à plat des programmes des futures secondes professionnelles. Une importante partie du temps consacré aux stages en milieu professionnel durant l'année de seconde pro du lycée actuel serait mise au service d'un enseignement de "découverte des métiers" du large secteur professionnel de chacun nouvelle seconde professionnelle, de façon à conduire les élèves vers des choix de spécialité qui se feraient en fin d'année de seconde . Bien sûr, cette "découverte des métiers" s'appuierait, entre autres types d'approche, sur des stages en milieu professionnel, mais aussi sur des conférences, des cours, des activité de recherche documentaire... L'accent serait mis sur les compétences transversales communes à la famille de métiers qui ferait l'objet de chaque seconde professionnelle. On y ajouterait bien sûr une palette d'enseignements généraux propres à chaque champ professionnel élargi. Ainsi, le choix de la spécialité serait repoussé en fin de seconde, et certaines réorientations plus facilement envisageables qu'au terme des secondes professionnelles actuelles.

5. Un parcours première/terminale spécialisé et nettement plus professionnel :

C'est à compter de la classe de première professionnelle que l'élève serait tenu de suivre de véritables périodes de formation par stages en milieu professionnel, périodes et contenus qui devraient faire l'objet d'échanges avec les représentants des branches professionnelles concernées. Leurs durée et rythme pourraient être définies localement, tout en étant soumis à un cadrage national qui fixerait un minimum de semaines. Conséquence logique de cette évolution : les formations aux baccalauréats professionnels par l'alternance (sous contrat d'apprentissage ou de professionnalisation) pourraient ne commencer qu'en première professionnelle.

Nouveauté importante : en fin de première, les élèves auraient à choisir entre un module de préparation à la recherche d'emploi ou un autre dit de préparation à la poursuite d'études. Ce module se déroulerait tout au long de l'année de classe terminale professionnelle. En l'état actuel des informations contenues dans le rapport, aucune précision n'est apportée concernant les horaires et programmes de ces deux modules, pas plus qu'il n'est abordé la question de savoir à quel(s) types de professeurs cet enseignement nouveau sera confié. Seule piste de reflexion suggérée : les rapporteurs envisagent de créer des modules de formation communs aux enseignants des disciplines générales et des disciplines professionnelles.

Cette proposition de choisir entre les deux modules de préparation ("à la recherche d'emploi" ou "à la poursuite des études") ne manque pas de surprendre car si on la met vraiment en œuvre, elle reviendra à contraindre les élèves à choisir entre poursuite des études ou recherche d'un emploi, un an avant la sortie du lycée professionnel. Or, à cet âge, la plupart d'entre eux n'ont pas encore tranché entre ces deux opportunités. En outre, cela reviendrait à réduire la part de celles et ceux de ces bacheliers qui prolongeront leurs études, ce qui est à contre courant des tendances observées ces quinze dernières années et validées par les autorités minsitérielles, et aurait un impact négatif en terme d'attractivité de la voie professionnelle, celle-ci étant fortement liée aux possibilités de poursuite des études.

6. Un appel au développement de la formation aux bacs pros par l'apprentissage :

Ce rapport ne cache pas son intérêt pour une importante augmentation de la part de ces formations qui se feraient par la voie de l´apprentissage. De ce point de vue, il est parfaitement en phase avec la série de mesures visant à réformer cette voie de formation professionnelle, annoncées par le Premier Ministre le 9 février 2018. Ces mesures visent clairement, entre autres objectifs, à pousser les lycées professionnels (LP) actuels à développer l'offre de formation par l'apprentissage. C'est nous semble-t-il ainsi que l'on peut interpréter la mesure numéro 9 de ce plan de réforme : "les campus des métiers seront favorisés et développés". A cet égard, il est précisé que l'on devra créer des "unités de formation par l'apprentissage" (UFA) dans tous les lycées professionnels,  et qu'il conviendra de "proposer des parcours diversifiés aux jeunes, notamment par le jeu des passerelles et allers-retours entre les CFA et les lycées professionnels". Et histoire de bien mettre les points sur les "i", il est anoncé que ce développement se fera par l'action conjointe de l'Etat, des Régions et des branches professionnelles, et que les futurs programmes de la voie professionnelle (que la formation se déroule sous statut scolaire ou par l'apprentissage) seront également le produit d'une concertation plus étroite qu'aujourd'hui entre ces trois partenaires. 

Ajoutons qu'en matière de validation des acquis des jeunes qui emprunteront cette voie professionnelle d'étude secondaires, il est évoqué l'idée d'introduire le concept de "blocs de compétences" comme moyen nouveau d'évaluation des acquis professionnels.

On peut se demander si de telles évolutions ne reviennent pas à ouvrir à plus ou moins long terme la porte à la possibilité de faire évoluer la voie professionnelle vers une voie "qualifiante" plus que "diplômante", a si bien qu'à terme, il deviendrait possible de former certains jeunes sous contrat de professionnalisation, donc avec un temps de présence nettement plus important en milieu professionnel, et corrélativement un temps de présence en milieu scolaire réduit d'autant. Ce serait alors un net franchissement de "ligne rouge" qui ne manquerait pas d'entraîner une réaction de la part de nombre de syndicats d' enseignants, et peut être même de chefs d'établissements. Cet aspect des choses est une "patate très très chaude".

Conclusion :

Le rapport qui vient d'être remis au Ministre ne l'engage en rien. Il est cependant porteur de pistes qui sont au cœur de la vaste concertation qui a commencé dès le lendemain de sa communication. Une seule certitude : le Ministre a la volonté de redorer le blason de cette voie d'études, et sans doute de la recentrer vers sa mission originelle qui est principalement de mieux "coller" aux besoins des professionnels.

Il pourrait alors en résulter deux conséquences : un recentrage des objectifs et contenus vers la dimension professionnelle, et une plus grande part de l'alternance, d'autant que la réforme de cette dernière contient très opportunément diverses mesures sociales et financières : une aide forfaitaire de 500 euros pour passer le permis de conduire, une augmentation de la rémunération des apprentis, un doublement des moyens permettant à certains apprentis de "bénéficier du programme Erasmus pour effectuer plusieurs mois de formation dans un autre pays d'Europe", la garantie qu'en cas d'interruption du contrat de travail les apprentis pourront poursuivre leur année de formation au sein du CFA et donc ne perdront plus leur année d'études, etc. .

Tout cela a commencé à être âprement discuté dans le cadre de la phase de concertation qui est ouverte depuis quelques temps . On saura dans quelques semaines ce qu'il en sortira.

Bruno MAGLIULO

Inspecteur d'académie honoraire

Dernière modification le samedi, 24 mars 2018
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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